Mon très Aimant Rédempteur et Seigneur Jésus-Christ, moi votre misérable serviteur, sachant combien réjouissent votre coeur ceux qui s'efforcent de glorifier votre très sainte Mère, que vous aimez tant, et que vous désirez si vivement de voir aimée et honorée de tout le monde, j'ai formé le dessein de publier ce livre qui traite de ses gloires. Or, je ne sais à qui je pourrais mieux recommander qu'à vous-même, puisque vous avez tant à coeur la gloire de cette auguste Mère. C'est donc à vous que je le dédie et le recommande. Daignez agréer ce faible hommage de mon amour pour vous et pour votre Mère chérie ; protégez-le ; remplissez ceux qui le liront d'une pleine confiance et d'un amour ardent envers cette Vierge Immaculée, en qui vous avez placé l'espérance et le refuge de toutes les âmes rachetées par vous. Et, pour récompense de mon humble travail, je vous prie de m'accorder autant d'amour envers Marie que j'ai voulu en allumer par cet ouvrage dans le coeur de tous mes lecteurs.
Je m'adresse aussi à vous, ô ma douce Souveraine et ma tendre Mère, Marie. Après Jésus, vous le savez, c'est en vous que j'ai mis toute l'espérance de mon salut éternel ; car, tout mon bien, ma conversion, ma vocation à quitter le monde, et toutes les autres grâces que j'ai reçues de Dieu, je m'en reconnais redevable à votre intercession. Vous savez aussi que, pressé de vous voir aimée de tous les hommes comme vous le méritez, et de vous donner quelque marque de ma gratitude pour les bienfaits que vous m'avez prodigués, j'ai cherché sans cesse, en public et en particulier, à vous faire connaître en tous lieux et à inspirer à tous le goût des douces et salutaires pratiques de votre culte. J'espère continuer ainsi jusqu'à mon dernier souffle ; mais mon âge déjà avancé et ma santé affaiblie m'avertissent que j'entrerai bientôt dans l'éternité ; c'est pourquoi j'ai voulu, avant de mourir, laisser au monde ce livre, afin qu'après moi il continue à vous louer et à porter aussi les autres à publier vos gloires et votre grande bonté envers vos dévots serviteurs. Ma bien-aimée Reine ! j'ai la confiance que ce pauvre don, quoique si inférieur à votre mérite, ne laissera pas d'être agréable à votre coeur généreux, car c'est un don tout d'amour. Étendez donc cette main si douce qui m'a délivrée du monde et de l'enfer, acceptez mon livre et protégez-le comme une chose qui vous appartient. Mais sachez que j'attends de vous, pour cette légère offrande, une récompense : faites que désormais je vous aime plus ardemment, et que chacun de ceux entre les mains de qui parviendra cet ouvrage, s'embrase d'amour pour vous ; qu'il sente aussitôt croître en lui le désir de vous aimer et de vous voir aimer aussi des autres, et qu'en conséquence il s'emploie de tout coeur à publier vos louanges et à augmenter autant qu'il le pourra chez les autres la confiance en votre puissante intercession. Ainsi j'espère, ainsi soit-il.
ALPHONSE MARIE DE LIGUORI, du Très Saint Rédempteur.
Mon cher Lecteur, et mon frère en Marie, puisque la dévotion qui m'a porté à écrire et qui vous porte maintenant à lire ce livre, nous rend tous deux heureux enfants de cette bonne Mère, si vous entendez dire que je pouvais m'épargner ce travail, vu qu'il existe déjà tant d'ouvrages savants et renommés sur le même sujet, répondez, je vous prie, par les paroles de l'abbé Francon, dans la Bibliothèque des Pères : "La louange de Marie est une source tellement abondante, que, plus on la dilate, plus elle se remplit, et, plus on la remplit, plus elle se dilate." En d'autres termes, cette bienheureuse Vierge est si grande et si sublime, que, plus on célèbre ses louanges, plus on trouve de nouveaux sujets de la louer. Et, selon la pensée de saint Augustin, quand même tous les membres des hommes se changeraient en autant de langues, ces langues, si nombreuses fussent-elles, ne sauraient la louer autant qu'elle le mérite.
J'ai vu, il est vrai, une quantité innombrable de livres, grands et petits, qui traitent des gloires de Marie ; mais, considérant qu'ils sont ou fort rares ou trop volumineux ou peu conformes à mon dessein, j'ai pris à tâche d'extraire de tous les auteurs que j'ai pu avoir en main, et d'exposer brièvement, comme on le verra dans cet ouvrage, ce qu'il y a de plus exquis et de plus substantiel dans les sentiments des Pères et des théologiens. Mon désir a été que les personnes pieuses puissent avoir à peu de frais un livre d'un usage facile et propre à leur inspirer un ardent amour envers Marie ; et les prêtres, des matériaux pour des prédications tendant à favoriser le progrès du culte de cette divine Mère.
On est naturellement porté à parler souvent et à faire l'éloge des personnes qu'on aime, afin de voir l'objet de ses affections estimé et loué aussi des autres ; il faut donc supposer bien faible l'amour de ceux qui, tout en se glorifiant d'aimer Marie, pensent peu à parler d'elle et à la faire aimer des autres. Bien différente est la conduite de ceux qui aiment véritablement cette très aimable Dame : ils voudraient publier ses louanges en tout lieu et la voir aimée de tout le monde ; aussi, chaque fois qu'ils le peuvent, soit en public, soit en particulier, ils tâchent de communiquer à tous les coeurs les heureuses flammes dont ils se sentent embrasés envers leur bien-aimée Reine.
Pour se persuader du bien qu'on se fait à soi-même, et qu'on procure aux peuples, en propageant la dévotion envers Marie, il est bon d'entendre ce qu'en disent les docteurs. Selon saint Bonaventure, ceux qui s'emploient à publier les gloires de Marie, sont assurés du paradis ; ce que confirme Richard de Saint-Laurent, en disant qu'honorer la Reine des Anges est la même chose que faire l'acquisition de la vie éternelle ; car, ajoute-t-il, cette Dame pleine de gratitude ne manquera pas d'honorer dans l'autre monde ceux qui ont soin de l'honorer dans celle-ci. Et qui d'ailleurs ignore cette promesse de Marie elle-même à ceux qui s'attachent à la faire connaître et aimer sur la terre : Ceux qui me font connaître auront la vie éternelle. Ces paroles, la sainte Église les applique à Marie, dans l'office de son Immaculée Conception. -- Réjois-toi donc, mon âme, s'écriait saint Bonaventure, qui a déployé tant de zèle à publier les grandeurs de Marie ; tressaille de joie en elle ; car des biens sans nombre sont réservés à ceux qui la glorifient. Et, puisque les saintes Écritures, ajoute un autre auteur, sont remplies des louanges de Marie, ne cessons pas de célébrer de coeur et de bouche cette divine Mère, afin qu'un jour elle nous conduise au royaume des Bienheureux.
Le bienheureux Héming, évêque, avait coutume de commencer ses sermons par les louanges de Marie. La sainte Vierge apparut un jour à sainte Brigitte, et lui parla ainsi : « Dites à ce prélat qui a coutume de commencer ses sermons par mes louanges, que je veux lui servir de mère, que je présenterai son âme à Dieu, et qu'il fera une bonne mort ». En effet, il mourut saintement, en priant, et dans une paix céleste. -- On rapporte ainsi d'un religieux dominicain, qui terminait ses sermons en parlant de Marie, qu'elle lui apparut au moment de sa mort, le défendit contre les démons, le fortifia, et conduisit elle-même dans le ciel son âme bienheureuse. -- Le dévot Thomas a Kempis présente Marie recommandant à son divin Fils ceux qui publient ses kouanges, et la fait ainsi parler : O mon Fils, ayez pitié d'une âme qui m'a aimée et glorifiée.
Pour ce qui concerne l'utilité que retire le peuple de la prédication des gloires de la divine Mère, saint Anselme affirme que, l'auguste sein de Marie étant la voie par laquelle le Fils de Dieu est venu ici-bas sauver les pécheurs, il ne peut se faire que la prédication des louanges de Marie n'amène pas les pécheurs à se convertir et à se sauver. Et s'il est vrai, comme je le pense, s'il est même indubitable, comme je le prouverai au Chapitre Ve de cet ouvrage, que toutes les grâces nous sont disposées uniquement par les mains de Marie, et que tous ceux qui se sauvent, ne sont sauvés que par l'entremise de cette divine Mère, on peut dire, par une conséquence nécessaire, que le salut de tous les hommes est attaché à la prédication des grandeurs de Marie, et de la confiance en son intercession. Et c'est par ce moyen, on le sait, que saint Bernardin de Sienne sanctifia l'Italie, et que saint Dominique convertit tant de provinces. Saint Louis Bertrand ne prêchait jamais sans exhorter la dévotion envers Marie ; il en est de même pour beaucoup d'autres.
Le Père Paul Segneri le Jeune, célèbre missionnaire, faisait dans toutes ses missions un sermon sur la dévotion à Marie,et il l'appelait son sermon favori. Et nous qui, dans nos missions, avons pour règle invariable de ne jamais ommettre le sermon sur la sainte Vierge, nous pouvons attester en toute vérité qu'aucun discours, pour l'ordinaire, n'excite autant la componction, et ne produit autant de fruit que le sermon sur la miséricorde de Marie. Je dis : Sur la MISÉRICORDE de Marie ; car, selon saint Bernard, nous louons, il est vrai, son humilité, nous admirons sa ; mais, parce que nous sommes de pauvres pécheurs, ce qui nous touche et nous attire davantage, c'est d'entendre parler de sa miséricorde ; et certes, c'est sa miséricorde que nous embrassons le plus affectueusement, que nous nous rappelons le plus souvent, et que nous invoquons le plus fréquemment.
Voilà pourquoi, dans cet ouvrage, laissant à d'autres le soin de décrire les autres prérogatives de Marie, je me suis principalement attaché à parler de sa grande miséricorde et de sa puissante intercession. Dans ce dessein, j'ai recueilli, autant qu'il m'a été possible par un travail de plusieurs années, tout ce que les saints Pères et les auteurs le plus célèbres ont dit de la miséricorde et de la puissance de Marie ; et comme cette miséricorde et cette puissance de la bienheureuse Vierge se trouvent merveilleusement caractérisées dans la magnifique antienne Salve Regina, que l'Église a elle-même approuvée et donnéee à réciter pendant la majeure partie de l'année à tout le clergé, régulier et séculier, j'ai entrepris d'expliquer cette dévote prière.
Pieux Lecteur, si vous agréez mon travail, comme je l'espère, je vous prie de me recommander à la sainte Vierge, afin qu'elle me donne une grande confiance en sa protection ; et si vous me faites la charité de demander pour moi cette grâce, qui que vous soyez, je vous promets de la demander aussi pour vous. Oh ! heureux celui qui s'attache fortement, par l'amour et la confiance, à ces deux ancres de salut, Jésus et Marie ! Certainement, il ne périra point ! Disons donc, mon cher Lecteur, et répétons l'un et l'autre du fond de notre coeur, avec le dévot Alphonse Rodriguez : Jésus et Marie, doux objets de mes amours ! que je souffre pour vous, que je meure pour vous, que je soit tout à vous, et plus aucunement à moi-même. Aimons Jésus et Marie, et tâchons de nous sanctifier ; c'est la plus grande fortune à laquelle nous puissions aspirer. Adieu ! au revoir dans le paradis, aux pieds de cette tendre Mère et de Fils si aimant, pour les louer, les remercier, et les aimer ensemble, en jouissant de leur douce présence pendant toute l'éternité ! Amen.
O Marie, doux refuge des
malheureux pécheurs, quand mon âme devra sortir de ce monde, je vous en
supplie, ma très douce Mère, par la douleur que vous
ressentîtes en voyant votre Fils qui se mourrait
sur la Croix, assistez-moi alors de votre miséricorde,
Éloignez de moi les ennemis infernau, et venez
vous-même recueillir mon âme, pour la présenter au
juge éternel. Ma souveraine, ne m'abandonnez
pas. Vous devez être, après Jésus, mon appui dans ce
moment redoutable. Priez votre Fils de
m'accorder dans sa bonté la faveur de mourir en
embrassant vos pieds, et d'exhaler mon âme dans ses
saintes plaies, en disant : Jésus et Marie, je vous
donne mon coeur et mon âme !
L'auguste Vierge Marie ayant été élevée à la dignité de Mère du Roi des rois, la sainte Église a raison de l'honorer et de voulour que tous l'honorent du glorieux titre de Reine.
Si le Fils est Roi, dit saint Anathase, la Mère a le droit d'être tenue pour Reine et d'en porter le nom. Oui, ajoute saint Bernardin de Sienne, quand Marie consentit à être la Mère du Verbe éternel, à l'instant même et par ce consentement, elle mérita et obtint la principauté de la terre, le domaine du monde, le sceptre et la qualité de Reine de toutes les créatures. Et, comme l'observe Arnauld de Chartres, si par la chair Marie est unie si intimement à Jésus, comment cette divine Mère serait-elle séparée de son Fils quant à la puissance souveraine ? Il faut donc le reconnaître, la dignité royale n'est pas seulement commune au Fils et à la Mère, mais ils n'ont qu'une seule et même royauté.
Or, si Jésus est Roi de l'univers, c'est de l'univers aussi que Marie est Reine : Reine du ciel, dit l'abbé Rupert, elle commande à bon droit à tout le royaume de son Fils. De là cette conséquence exprimée par saint Bernardin de Sienne : Autant de créatures servent Dieu, autant doivent servir Marie. Les anges, les hommes et tout ce qui existe au ciel et sur la terre, étant soumis à l'empire de Dieu, le sont pareillement à la domination de cette glorieuse Vierge. De là aussi cette exclamation de l'abbé Guéric, s'addressant à la divine Mère : Continuez donc, ô Marie, continuez de régner en toute sécurité ; disposez à votre gré des biens de votre Fils ; puisque vous êtes la Mère et l'Épouse du Roi de l'univers, vous êtes Reine, et avez droit à l'empire et à la domination sur toutes les créatures.
Marie est notre Reine ; mais sachons-le pour notre commune consolation, elle est une Reine pleine de douceur et de clémence, toute disposée à répandreses bienfaits sur notre misère. C'est pourquoi, la sainte Église veut qu'en la saluant dans la belle prière que nous méditons, nous lui donnions le titre de Mère de miséricorde. Selon la remarque du Bienheureux Albert le Grand, le nom même de Reine éveille l'idée de compassion, de sollicitude en faveur des pauvres, à la différence du nom d'Impératrice, qui signifie sévérité et rigueur. Et, d'après Sénèque, la vraie grandeur des rois et des reines consiste à soulager les malheureux. A la différence donc des tyrans qui gouvernent dans des vues exclusivement personnelles, les rois doivent se proposer pour unique fin le bien de leurs peuples. Et voilà pourquoi, dans la cérémonie de leur sacre, on leur oint la tête d'huile, emblême de miséricorde ; ils sont avertis par là que, sur le trône, ils devront surtout nourrir, envers leurs sujets, des sentiments de commisération et de bonté.
Il est donc dud evoir des rois de s'appliquer principalement aux oeuvres de miséricorde, mais non au point d'oublier l'exercice de la justice à l'égard des coupables, quand cela est nécessaire. Cependant, il n'en est pas ainsi de Marie : elle est Reine, mais elle n'est pas Reine de justice, obligée d'office à punir les malfaiteurs ; elle est Reine de miséricorde, et son unique attribution est d'avoir pitié des pécheurs et de leur ménager le pardon. Telle est la raison du nom de Reine de miséricorde, sous lequel l'Église nous apprend à l'invoquer. J'ai appris ces deux choses, chantait David, que la puissance appartient à Dieu, et que vous êtes, Seigneur, rempli de miséricorde. Voici sur ces paroles le commentaire du célèbre Gerson, chancelier de Paris : La royauté de Dieu comprend l'exercice de la justice et celui de la miséricorde ; or le seigneur l'a partagée : il s'est réservé à lui-même le règne de la justice, et il a cédé à Marie le règne de la miséricorde, voulant que toutes les grâces accordées aux hommes passent par les mains de cette douce Reine, pour être départies à son gré. Cette explication est confirmée par saint Thomas, dans sa préface aux Épîtres canoniques ; quand la Bienheureuse Vierge, dit-il, conçut et enfanta le Verbe divin, elle obtint la moitié du règne de Dieu, et devint Reine de miséricorde, Jésus-Christ restant Roi de justice.
Le Père Éternel a établi Jésus-Christ Roi de justice, et, en cette qualité, Juge universel du monde ; c'est ce que le Prophète célèbre en ces termes : O Dieu, donnez votre justice au Fils du Roi. Seigneur, ajoute ici un savant interprète, vous avez donné à votre Fils la justice, parce que vous avez donné la miséricorde à sa Mère. Avec non moins de bonheur, saint Bonaventure paraphrase ainsi les mêmes paroles du Psalmiste : Seigneur ! donnez votre justice au Roi, et votre miséricorde à la Reine, sa Mère. -- Ernest, archevêque de Prague, dit pareillement que le Père Éternel a confié au Fils l'office de juger et de punir et à la Mère celui de compatir et de soulager. A Marie peut donc s'appliquer la prophétie du même David : Dieu a fait couler sur votre front une huile d'allégresse. Oui, car Dieu a en quelque sorte sacré de ses propres mains Marie Reine de miséricorde, et nous a donné à nous tous, infortunés enfants d'Adam, un motif de vive allégresse dans la personne de cette grande Reine que nous avons au ciel, et qui est toute détrempée du baume de la miséricorde, comme dit saint Bonaventure, et toute pleine de l'huile d'une maternelle tendresse à notre égard.
Le bienheureux Albert le Grand fait intervenir ici, de la manière la plus heureuse, l'histoire de la reine Esther, qui fut d'ailleurs une des figures de notre Reine Marie.
On lit au livre d'Esther, que, sous le règne d'Assuérus, un édit fut publié qui condamnait à la mort tous les Juifs de ses États. Alors MArdochée, l'un des condamnés, recommanda leur salut à Esther, et la pria d'intercéder pour eux auprès du Roi, afin d'obtenir les révocations de la sentence. Au premier abord, Esther refusa de faire cette démarche, craignant d'accroître par là l'indignation d'Assuérus. Mais Mardochée lui envoya quelqu'un, chargé de lui faire des remontrances : elle ne devait pas, lui faisait-il dire, songer uniquement à sa propre sûreté, puisque le Seigneur l'avait élevée sur le trône pour procurer le salut de tous les Juif. Ne croyez pas que vous puissiez vous sauver seule, parce que, dans la maison du roi, vous tenez un rang supérieur à tous les Juifs. Ainsi parlait Mardochée à la reine Esther ; ainsi pourrions-nous aussi, nous, pauvres pécheurs, parler à notre Reine Marie, si jamais elle répugnait à nous obtenir de Dieu la remise de la peine due à nos péchés : Ne pensez pas qu'il vous soit permis de vous sauver seule, parce que, dans la maison du Roi, vous occupez un rang plus haut qu'aucun homme. Non, auguste Souveraine, ne pensez pas que Dieu vous ait élevée à la dignité de Reine du monde, uniquement en vue de votre bonheur ; il a voulu aussi que cette sublime grandeur vous mît à même de compatir plus efficacement à nos misères et de les soulager mieux.
Lorsqu'Assuérus vit Esther en sa présence, il lui demanda avec amour ce qu'elle désirait. O mon Roi, répondit-elle, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, accordez-moi le salut de mon peuple pour lequel j'implore votre clémence. -- Assuérus l'exauça et ordonna aussitôt que la séquence fût révoquée. Or, si Assuérus accorda le salut des Juifs à Esther, parce qu'il l'aimait, comment Dieu, qui aime Marie d'un amour immense, pourrait-il ne pas l'exaucer lorsqu'elle le prie pour les pauvres pécheurs qui réclament son intercession, et qu'elle lui dit : O mon Roi et mon Dieu, si j'ai trouvé grâce devant vous, si vous m'aimez, accordez-moi le salut de ces pécheurs pour lesquels j'intercède auprès de vous. - Si vous m'aimez !... Ah ! elle n'ignore pas, cette divine Mère, qu''elle est la bénie, la bienheureuse, celle qui, seule entre tous les enfants d'Adam, a trouvé la grâce perdue par l'homme ; elle sait qu'elle est la Bien-Aimée de son Seigneur, plus aimée que tous les saints et tous les anges ensemble ; comment donc Dieu pourrait-il ne pas l'exaucer ? Qui ne connaît pas la force des prières de Marie auprès de Dieu ? Une loi de clémence sort de ses lèvres, dit le Sage, chacune de ses prières est comme une loi aussitôt sanctionnée par le Seigneur, et qui garantit un arrêt de miséricorde à tous ceux pour qui elle intercède. - Saint Bernard demande pourquoi l'Église appelle Marie Reine de miséricorde, et il répond : C'est que l'on croit qu'elle ouvre l'abîme de la miséricorde divine à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut ; en sorte que nul pécheur, si criminel soit-il, ne se perd, pourvu que Marie le protège.
Mais n'est-il pas à craindre que Marie ne refuse de s'entremettre our certains pécheurs qui lui paraîtront trop souillés ? ou bien ne devons-nous pas nous laisser intimider par la majesté et la sainteté de cette grande Reine ? -- Oh ! non, réponds saint Grégoire VII ; autant elle est sainte et élevée, autant elle est douce et miséricordieuse envers les pécheurs qui l'invoquent avec un vrai désir de s'amender. Les airs de grandeur que prennent les rois et les reines de la terre, inspirent la terreur, et sont cause que leurs sujets craignent de paraître en leur présence ; mais demande saint Bernard, quelle appréhension pourrait empêcher les malheureux d'aller à cette Reine de miséricorde ? Elle ne laisse rien paraître de terrible ou d'austère en sa présence, elle ne montre que douceur et bonté à quiconque va la trouver ; "à tous, elle offre le lait et la laine" ; non contente de les donner à qui les lui demande, elle les offre même à tous ; elle leur offre le lait de la miséricorde pour les animer à la confiance, et la laine de sa protection pour les garantir des foudres de la justice divine.
Au rapport de Suétone, quelque faveur qu'on demandât à l'empereur Titus, il ne savait la refuser ; parfois même, il promettait plus qu'il ne pouvait tenir ; et à ceux qui l'avertissaient : un prince, répondait-il, ne doit renvoyer mécontent aucun de ceux qu'il a une fois admis en sa présence. Ainsi parlait Titus, mais, dans le fait, il lui arrivait peut-être souvent de faire de fausses promesse ou de manquer à sa parole. Notre Reine, au contraire, est incapable de nous tromper, et elle est assez puissante pour procurer tout ce qu'elle veut à ses dévots ; elle a d'ailleurs le coeur si bon, si compatissant, assure Lansperge, qu'elle ne saurait renvoyer sans consolation un malheureux qui la prie. Mais, ô Marie, s'écrie saint Bernard, comment pourriez-vous refuser votre appui aux misérables, quand vous êtes Reine de miséricorde ? quels sont les sujets de la miséricorde, sinon les misérables ? Vous êtes Reine de miséricorde, et moi, je suis le plus misérable de tous les pécheurs ; je tiens donc le premier rang parmi vos sujets, et vous devez prendre soin de moi plus que de tous les autres. Ayez donc pitié de nous, ô Reine de miséricorde, et pensez à nous sauver.
Et ne dîtes pas, ô Vierge sainte, semble ajouter saint Georges de Nicomédie ; ne dîtes pas que la multitude de nos péchés vous empêche de nous secourir ; car telles sont votre puissance et votre bonté, qu'il n'est pas de fautes si nombreuses qui puissent en dépasser les bornes. Rien ne résiste à votre puissance, parce que votre Créateur, qui est aussi le nôtre, regarde votre gloire comme la sienne, et croit se faire honneur à lui-même en honorant sa Mère ; aussi le fait-il avec une joie extrême : on dirait qu'en exauçant vos prières, il acquitte une dette. Oui, une dette, car, veut dire le saint, bien que Marie soit infiniment obligée envers son Fils, qui l'a choisie pour Mère, on ne peut nier qu'à son tour il ne soit, lui-même fort obligé envers Marie, puisqu'elle lui a donné l'être humain. Eh bien ! pour payer en quelque sorte à sa Mère tout ce qu'il lui doit, Jésus se plaît à accroître sa gloire, qui lui est si chère, et spécialement en lui accordant toutes ses requêtes.
Quelle confiance ne devons-nous donc pas avoir en cette auguste Reine, nous qui la savons si puissante auprès de Dieu, et en même temps si riche de miséricorde, que personne au monde n'est exclu de sa tendresse et de ses faveurs ! C'est ce que la bienheureuse Vierge a révélé elle-même à Sainte Brigitte : "Je suis, lui dit-elle un jour, la Reine du ciel et la Mère de miséricorde ; je suis la joie des justes et la porte par laquelle les pécheurs ont accès auprès de Dieu. Il n'est pas de pécheur maudit au point d'être privé des effets de ma miséricorde tant qu'il vit sur la terre ; car il n'en est aucun qui ne doive quelque grâce à mon intercession, ne fût-ce que celle d'être moins tenté par les démons. Aucun pécheur, ajute-t-elle, à moins qu'il ne soit tout à fait maudit (c'est-à-dire frappé de la malédiction finale et irrévocable qui se prononce contre les damnés), aucun pécheur n'est tellement rejeté de Dieu, qu'il ne puisse, en m'appelant à son aide, retourner à Dieu et obtenir miséricorde. Tout le monde, dit-elle encore, m'appelle Mère de miséricorde, et vraiment, c'est la miséricorde de Dieu envers les hommes qui m'a rendue si miséricordieuse à leur égard. Enfin, elle conclut en ces termes : Bien malheureux sera donc, dans la vie future, et malheureux à jamais, celui qui se sera damné faute de recourir à moi, comme il le pouvait, dans la vie présente, à moi, si miséricordieuse envers tous les hommes, et si désireuse de venir en aide aux pécheurs."
Voulons-nous donc assurer notre salut, allons souvent, allons sans cesse nous réfugier aux pieds de cette douce Reine, et, si la vue de nos péchés nous épouvante et nous décourage, souvenons-nous que Marie a été établie Reine de miséricorde pour sauver, par sa protection, les pécheurs les plus coupables et les plus désespérés pourvu qu'ils se recommandent à elle. Ils doivent former sa couronne dans le ciel, comme lui lui fait entendre l'Époux divin, en lui disant : Viens du Liban, mon Épouse ; viens du Liban, viens, tu seras couronnée . . . des cavernes des lions et des montagnes qui servent de retraite aux léopards. Quelles sont, en effet, ces retraites de bêtes monstrueuses, sinon les malheureux pécheurs ? leurs âmes ne sont-elles pas réceptacles de péchés divers, monstres les plus affreux que l'on puisse concevoir ? -- Oui, ô Marie ! je le dis avec l'abbé Rupert, c'est le salut de ces pauvres pécheurs qui sera votre couronne en paradis, couronne bien digne de vous et la mieux appropriée à une Reine de miséricorde.
On peut lire à ce sujet l'exemple suivant.
Il est raconté dans la vie de la soeur Catherine de Saint-Augustin, que, dans l'endroit où habitait cette servante de Dieu, se trouvait une femme appelée Marie, qui avait mené une vie scandaleuse dès sa jeunesse, et qui, parvenue à un âge avancé, persistait avec obstination dans ses désordres. Chassée enfin par les habitants, et réduite à se retirer dans une grotte solitaire, elle y mourut consumée par une horrible maladie, sans secours humains et sans sacrements. Après une telle vie et une telle mort, son cadavre fut enfoui comme celui d'un animal immonde. Soeur Catherine avait coutume de recommander instamment à Dieu les âmes de tous ceux qui passaient à l'autre vie ; néanmoins, ayant appris la triste fin de cette malheureuse, elle ne songea nullement à prier pour elle, la croyant, comme tout le monde, à jamais perdue. Quatre ans s'étaient écoulés, lorsqu'un jour se présenta devant elle une âme du purgatoire, qui lui dit : Soeur Catherine, quel malheur est le mien ! vous recommandez à Dieu les âmes de tous ceux qui meurent ; je suis la seule dont vous n'ayez pas eu compassion ! -- Et qui êtes-vous ? demanda la servante de Dieu. -- Je suis, répondit-elle, cette pauvre Marie qui mourut dans la grotte. -- Quoi ! êtes-vous donc sauvée ? -- Oui, je suis sauvée, grâce à la miséricorde de la sainte Vierge. -- Et comment ? - Quand je me vis près de mourir, me trouvant ainsi abandonnée de tout le monde et chargée de tant de péchés, je me tournai vers la Mère de Dieu et lui dis : Reine du ciel, vous êtes le refuge des pauvres délaissés, et me voici abandonnée de tout le monde ; vous êtes mon unique espérance, vous seule pouvez me secourir, ayez pitié de moi. La douce Marie m'obtint la grâce de faire un acte de contrition, je mourus et je fus sauvée. Cette bonne mère m'a procuré en outre la faveur de voir ma peine abrégée, en rachetant par l'intensité de mes souffrances une bonne partie des années qu'elles devaient durer. Il ne faut que quelques messes pour me délivrer du purgatoire ; je vous prie de me les faire dire, et je vous promets de ne jamais cesser, après cela, de prier Dieu et la bienheureuse Vierge pour vous. Soeur Catherine fit aussitôt célébrer des messes pour elle, et, au bout de quelques jours, cette âme lui apparut de nouveau, plus brillante que le soleil, et lui dit : Je vous remercie, ma chère Catherine ; je vais maintenant en paradis chanter les miséricordes de mon Dieu et prier pour vous.
O Marie, Mère de mon Dieu et ma souveraine Maîtresse, tel que se présenterait à une grande reine un misérable tout couvert de plaies et de souillures, tel je me présente à vous, qui êtes la Reine du ciel et de la terre ; du haut de ce trône glorieux où vous êtes assise, ne dédaignez pas, je vous en supplie, d'abaisser vos regards sur ce pauvre pécheur, Dieu vous a rendue riche comme vous l'êtes, pour que vous secouriez les pauvres, et il vous a établie Reine de miséricorde oiyr viys nettre à même de soulager les misérables L regardez-moi donc, et prenez compassion de moi ; regardez-moi et ne m'abandonnez pas que vous ne m'ayez changé de pécheur en saint. Je reconnais que je ne mérite rien, ou plutôt, en punition de mon ingratitude, je mériterais de me voir dépouillé de toutes les grâces qui me sont venues du Seigneur par votre entreprise ; heureusement, la Reine de miséricorde, ne va pas cherchant des mérites, mais des misères ; tout son désir est de scourir les nécessiteux ; et qui est plus pauvre et plus nécessiteux que moi ? O glorieuse Vierge, je sais que vous êtes la Reine du monde, et par conséquent ma Reine ; je veux me consacrer à votre service d'une manière plus spéciale, et vous laisser disposer de moi comme il vous plaît. Je vous dis donc avec saint Bonaventure : Gouvernez-moi, ô ma Reine, et ne me laissez pas à moi-même ; commandez-moi, employez-moi selon votre gré, et même châtiez-moim quand je ne vous obéis point ; oh ! combien me seront salutaires les châtiments de votre main ! J'estime plus l'honneur de vous servir que celui de commander à toute la terre. JE SUIS A VOUS, SAUVEZ-MOI. Recevez-moi au nombre des vôtres, ô Marie, et, comme tel, pensez à me sauver. Non, je ne veux plus m'appartenir à moi-même, je me donne à vous ! Et si dans le passé, je vous ai mal servie, ayant laissé échapper tant d'occasions de vous honorer, je veux désormais m'unir à vos serviteurs les plus affectionnés et les plus fidèles. Je ne veux pas qu'à partir de ce jour personne vous honore et vous aime plus que moi, ô mon aimable Reine. Je vous le promets et cette promesse, j'espère la tenir avec votre secours. Amen.
Les serviteurs de Marie se plaisent à l'appeler leur Mère ; ils ne savent même, ce semble, l'invoquer sous un autre titre ; jamais ils ne se lassent de la nommer ainsi. Ce n'est pas au hasard ni sans motif, car elle est bien réellement leur Mère. Marie est notre Mère à tous, non pas selon la chair, mais selon l'esprit : elle est la Mère de nos âmes et de notre salut.
Le péché avait dépouillé nos âmes de la grâce divine, qui est leur vie, et les avait livrées à la plus déplorable des morts. Dans l'excès de sa miséricorde et de son amour, Jésus, notre Rédempteur, vint à nous et nous rendit, au prix de sa mort sur la croix, la vie que nous avions perdue : Je suis venu, a-t-il dit lui-même, afin que mes brebis aient la vie, et qu'elles l'aient plus abondamment. Il dit : Plus abondamment, car selon les théologiens, Jésus-Christ nous apporta plus debien en nous rachetant, qu'Adam ne nous avait causé de mal par son péché. Ainsi, en nous réconciliant avec Dieu, Jésus est devenu, sous le régime de la loi de grâce, le Père de nos âmes ; c'est là ce qu'Isaïe avait prédit, en l'appelant le Père du siècle futur, le Prince de la paix. Or, si Jésus-Christ est le Père de nos âmes, Marie en est la Mère ; car, en nous donnant Jésus, elle nous a donné la véritable Vie, et, en offrant ensuite sur le Calvaire la vie de son Fils pour notre salut, elle nous a enfantés à la vie de la grâce.
Ce fut donc en deux circonstances, comme nous l'aprennent les saints Pères, que Marie devint Mère spirituelle.
Ce fut premièrement quand elle conçut dans son sein virginal le Fils de Dieu ; tel est l'enseignement du bienheureux Albert le Grand ; et saint Bernardin de Sienne nous l'explique en ces termes : Quand Marie, instruite par l'Ange des desseins de Dieu sur elle, donna le consentement que le Verbe éternel attendait pour devenir son Fils, elle demanda en même temps à Dieu, avec un amour immense, le slut du genre humain, et elle se dévoua tellement à l'oeuvre de notre rédemption que, comme la plus tendre des mères, elle nous porta tous dès lors dans les entrailles de sa charité.
Dans le récit de la naissance de notre Sauveur, saint Luc dit que Marie mit au monde son premier-né. Cela fait supposer, observe un auteur, qu'elle a eu d'autres enfants après celui-là ; mais, continue-t-il, puisqu'il est de foi que la Vierge n'a pas eu, selon la chair d'autres enfants que Jésus-Christ, il s'ensuit qu'elle a dû en avoir selon l'esprit, et c'est nout tous. Cette explication fut révélée par le Seigneur lui-même à sainte Gertrude : lisant un jour dans l'Évangile le passage en question, elle en fut troublée ; elle ne pouvait comprendre comment Jésus-Christ peut s'appeler le premier-né d'une Mère dont il est le Fils unique ; or, Dieu lui fit comprendre que Jésus est le premier-né de Marie selon la chair, et les autres hommes ses puînés selon l'esprit.
Ainsi s'entend encore ce qui est dit de la bienheureuse Vierge dans les Cantiques : Votre sein est comme un monceau de froment, tout environné de lis. -- Saint Ambroise commente ces paroles en disant que, dans le sein très pur de Marie, il n'y eut qu'un seul grain, à savoir, Jésus-Christ, lequel est néanmoins comparé à un morceau de froment, parce que dans ce seul grain étaient renfermés tous les élus, dont Marie devait être aussi la Mère. La même pensée est ainsi exprimée par l'abbé Guillaume : En mettant au monde Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Vie, Marie nous a tous enfantés au salut et à la vie.
En second lieu, Marie nous a enfantés à la grâce sur le Calvaire, lorsque, d'un coeur brisé par la douleur, elle offrit au Père Éternel pour notre salut la vie de son Fils bien-aimé. Saint Augustin affirme en effet qu'en contribuant alors par sa charité à faire naître les fidèles à la vie de la grâce, Marie devint notre Mère à tous, la Mère spirituelle de tous les membres du corps mystique de Jésus-Christ. Et c'est dans ce sens qu'on applique à la bienheureuse Vierge ces mots des Cantiques : Ils m'ont placée comme gardienne dans les vignes, et je n'ai pas gardé ma propre vigne. Car, dans son désir de sauver nos âmes, Marie consentit à sacrifier, à livrer à la mort son propre Fils : En vue du salut d'un grand nombre d'âmes, dit Guillaume, elle a abandonné son âme propre à la mort. Or, l'âme de Marie, n'était-ce pas son Jésus ? n'était-il pas la vie et l'unique amour de sa Mère ? Saint Siméon avait donc raison de prédire à cette tendre Mère qu'un jour son âme bénie serait transpercée d'un glaive cruel ; ce glaive fut la lance qui perça le côté de Jésus, et, je le répète, Jésus était l'âme de Marie. Eh bien ! ce fut en ce moment que, par ses douleurs, elle nous enfanta à la vie éternelle, et dès lors tous nous pouvons nous dire les enfants des douleurs de Marie. Cette Mère très aimante fut toujours parfaitement unie à la volonté de Dieu ; c'est pourquoi, voyant le Père porter l'amour enver nous jusqu'à vouloir sacrifier son Fils à notre salut, et le Fils nous aimer jusqu'à vouloir mourir pour nous, elle conforma son amour envers le genre humain à l'amour excessif du Père et du Fils. C'est la pensée de saint Bonaventure : Il ne faut nullement douter, écrit-il, que Marie n'ai voulu, elle aussi, livrer son Fils pour le salut du genre humain, afin que la Mère fût de toute façon la fidèle imitatrice du Père.
Il est vrai que Jésus a voulu être le seul à mourir pour la rédemption du genre humain, et, selon l'expression d'Isaïe, à fouler le vin de notre salut ; néanmoins, ayant égard à l'ardent désir qui pressait Marie de coopérer de son côté à ce grand ouvrage, il décida qu'elle y prendrait part en l'offrant, lui, Jésus, à l'autel du sacrifice, et qu'ainsi elle deviendrait la Mère de nos âmes. Ce mystère nous fut dévoilé par notre Sauvuer lui-même : sur le point d'expirer, il abaissa ses regards sur sa Mère et sur son disciple saint Jean, tous deux debout au pied de sa croix, et dit d'abord à Marie : Ecce filius tuus, voilà votre fils. C'est comme s'il eût dit : Voilà l'homme que vous venez de faire naître à la grâce en offrant ma vie pour son salut. S'adressant ensuite au disciple : Ecce Mater tua, lui dit-il, voilà votre Mère. Par ces paroles, remarque saint Bernardin, Jésus donnait Marie pour mère, non pas au seul saint Jean, mais à tous les hommes, en raison de son amour pour eux. Et c'est là, selon Silveira, le motif pour lequel saint Jean, qui rapporte lui-même ce fait dans son Évangile, se désigne sous le nom commun de disciple : Jésus dit au disciple : Voilà votre Mère ; le Sauveur ne parlait donc pas à Jean, mais au disciple ; c'est-à-dire qu'en lui il voyait tous ceux qui, par la foi, sont ses disciples ; et c'était à eux tous qu'il donnait Marie pour Mère.
Je suis la Mère du bel amour, dit Marie. Elle parle ainsi, observe un auteur, parce que son amour pour nos âmes les rend belles aux yeux de Dieu, et l'engage elle-même à nous adopter avec toute la tendresse d'une mère. Et quelle mère, s'écrie saint Bonaventure, quelle mère aune ses enfants et prend soin de leur bien-être, comme vous, ô très douce Reine, vous nous aimez et veillez sur tous nos intérêts ? Heureux ceux qui vivent sous la protection d'une Mère si aimante et si puissante ! Bien qu'au temps de David Marie ne fut pas encore née, cependant, au dire de saint Augustin, ce prophète demandait déjà à Dieu de le sauver à titre d'enfant de cette Vierge glorieuse : Sauvez, disait-il, le fils de votre Servante. De quelle servante ? demande ce saint Docteur, si ce n'est de celle qui a dit : Je suis la Servante du Seigneur ? Eh ! s'écrie Bellarmin, qui aura l'audace d'arracher les bras de Marie ses enfants, lorsqu'ils y cherchent un asile contre les poursuites de leurs ennemis ? Quel démon assez furieux, quelle passion assez violente pour les vaincre, s'ils placent leur confiance dans la protection d'une Mère si puissante ? Quand la baleine voit son petit exposé à périr dans une tempête ou à être pris par les pêcheurs, elle ouvr la bouche, dit-on, et le reçoit dans son sein. Ce qui est sûr, c'est qu'ainsi fait Marie : quand cette bonne Mère voit ses enfants exposé à de trop grand périls par la violence des tentations, elle les cache avec amour comme dans ses propres entrailles, assure Novarin, les y tient à l'abri du danger, et ne cesse de les garder jusqu'à ce qu'elle les ait mis en sûreté dans le port du salut.
O Mère pleine de tendresse ! ô Mère pleine de bonté ! soyez à jamais bénie ! et béni soit à jamais le Dieu qui vous a donnée à nous pour Mère, et pour refuge assuré contre tous les hasards de cette vie ! -- Dans une révélation faite par elle-même à sainte Brigitte, la très sainte Vierge s'est comparée à une mère qui, voyant son fils entre les épées de ses ennemis, n'épargnerait aucun effort pour lui sauver la vie. C'est ainsi que j'agis, ajouta-t-elle, et que j'agirai toujours en faveur de mes enfants, quelque coupables qu'ils soient, pourvu qu'ils invoquent mon secours. Voilà donc le moyen de vaincre l'enfer, et de le vaincre à coup sûr, dans tous les combats qu'il nous livre ; nous n'avons qu'à recourir à celle qui est la Mère de Dieu et la nôtre, en disant et en répétant sans cesse : Je me réfugie sous votre protection, ô sainte Mère de Dieu ! -- Combien de victoires les fidèles n'ont-ils pas remportées sur l'enfer par cette courte, mais puissante prière ! C'est par ce moyen qu'une grande servante de Dieu, la soeur Marie-Crucifiée, bénédictine, triomphait toujours des démons.
Courage donc, ô vous qui êtes les enfants de Marie ; et nous savons qu'elle reçoit pour ses enfants tous ceux qui désirent l'être ; courage et confiance ! Pouvez-vous craindre de périr, défendus et protégés comme vous l'êtes par une telle Mère ? Voici ce que doit se dire, à la suite de saint Bonaventure, quiconque aime cette bonne Mère et se met sous sa protection : O mon âme ! que crains-tu ? tu ne saurais perdre la cause de ton salut éternel, puisque la sentence est laissée à la décision de Jésus, qui est ton Frère, et de Marie, qui est ta Mère. -- La même pensée remplissait saint Anselme d'une joie qu'il nous communique en s'écriant : O heureuse confiance ! ô refuge assuré ! La Mère de Dieu et ma Mère ; avec quelle certitude ne devons-nous pas espérer, puisque l'affaire de notre salut est entre les mains d'un Frère si bon et d'une Mère si compatissante !
Écoutons donc la voix de notre Mère, qui nous appelle : Si quelqu'un est petit et faible comme un enfant, nous crie-t-elle, qu'il vienne à moi. Les enfants ont toujours à la bouche le nom de leur mère ; et, dans tous les dangers qui les menacent, à la moindre crainte qui les saisit, on les entend aussitôt s'écrier : Ma mère ! ma mère ! -- Ah ! douce Marie, ah ! douce Mère, c'est là précisément ce que vous désirez que, comme vos enfants, nous vous appelions à notre secours dans tous les périls, parce que vous voulez nous protéger et nous sauver, ainsi que vous avec toujours fait quand vos enfants ont eu recours à vous.
L'histoire des fondations de la Compagnie de Jésus au royaume de Naples rapporte ce qui suit d'un jeune gentilhomme écossais, nommé Guillaume Elphinstone, et parent du roi Jacques. Né dans l'hérésie, il en suivait les fausses doctrines ; mais, éclairé d'une lumière divine qui lui faisait entrevoir son erreur, il vint en France, où, grâce surtout à l'intercession de la bienheureuse Vierge, il connut enfin la vérité, abjura l'hérésie, et se fit catholique. Il passa ensuite à Rome. Là, un de ses amis, le voyant un jour fort affligé et en pleurs, lui en demanda la cause. Le jeune homme répondit que, pendant la nuit, sa mère lui était apprue et lui avait dit : Mon fils, que tu es heureux d'être entré dans le sein de la véritable Église ! pour moi, ayant eu le malheur de mourir dans l'hérésie, je suis à jamais perdue! Dès lors, il redoubla de ferveur dans la dévotion à Marie, qu'il choisit pour son unique Mère ; elle lui inspira la pensée d'embrasser la vie religieuse, et il en fit le voeu.
Cependant, comme il était malade, il se rendit à Naples, espérant que le changement d'air rétablirait sa santé ; mais le Seigneur voulait qu'il y mourût ; et qu'il mourût religieux. Peu après son arrivée en cette ville, sa maladie ayant été jugée mortelle, il obtint des pères jésuites, à force de prières et de larmes, son admission dans leur Ordre ; et lorsqu'il reçut le Viatique, il prononça ses voeux en présence du saint sacrement, et fut déclaré membre de la Compagnie.
Ainsi consolé, il attendrissait tout le monde par la vie effusion avec laquelle il remerciait Marie, sa bonne Mère, de l'avoir arraché à l'hérésie, ramené dans le sein de la véritable Église, et conduit enfin dans la maison de Dieu, pour y mourir au milieu des religieux, ses frères. Oh! s'écriait-il, quelle gloire de mourir environné de tous ces anges ! Comme on l'exhortait à prendre un peu de repos, il répondit : Ah! ce n'est pas le moment de me reposer, maintenant que la fin de ma vie approche. Au moment de mourir, il dit à ceux qui étaient présents : Mes frères, ne voyez-vous pas ici les anges du ciel qui m'assistent? Un des religieux, l'ayant entendu prononcer quelques mots à vois basse, lui demanda ce qu'il disait. Il répondit que son ange gardien lui avait révélé qu'il n'aurait que fort peu de temps à passer en purgatoire, et qu'il entrerait bientôt dans le ciel. Il reprit ensuite ses doux entretiens avec Marie, sa Mère bien-aimée; et, en répétant : Ma Mère! ma Mère!"comme un enfant qui s'endort dans les bras de sa mère, il expira paisiblement. Peu après, un saint religieux sut par révélation qu'il était déjà en paradis.
O Marie, ma très sainte Mère, comment est-il possible qu'ayant une Mère si sainte, je sois si pervers; qu'ayant une Mère si embrasée d'amour pour Dieu, je sois si attaché aux créature ; qu'ayant une Mère si riche de vertus, j'en sois si dénué ? Ah ! ma très aimable Mère, il est vrai, je ne mérite plus d'être appelé votre enfant, je m'en suis rendu trop indigne par ma mauvaise vie ; je serai content si vous daignez me recevoir au nombre de vos serviteurs ; pour être compté parmi les derniers de vos serviteurs, bien volontiers je donnerais tous les royaumes de a terre. Oui, je serai content, si vous m'accordez cette grâce ; cependant, ne me refusez pas celle de vous appeler ma Mère ; ce nom me console, me touche le coeur, et me rappelle l'obligation où je suis de vous aimer ; ce nom m'inspire une grande vonfiance en vous ; quand le souvenir de mes péchés et de la justice divine me remplit de terreur, je me sens fortifié et tout rassuré par la pensée que vous êtes ma Mère. Permettez-moi donc de vous dire : Ma Mère, ma très aimable Mère ! C'est ainsi que je vous appelle et veux toujours vous appeler. Après Dieu, vous devez être en tout temps dans cette vallée de larmes, mon espérance, mon refuge et mon amour. J'espère mourir dans ces sentiments, en remettant, à mon dernier soupir, mon âme entre vos mains bénies, et en vous disant : Ma Mère Marie, Marie ma Mère ! assistez-moi, ayez compassion de moi, Amen.
Après avoir établi que Marie est notre Mère, il est juste de considérer à quel point elle nous aime. L'amour des parents envers leurs enfants est un amour nécessaire ; c'est pour cette raison, suivant la remarque de saint Thomas, que la loi divine, qui impose aux enfants l'obligation d'aimer leurs parents, ne fait point aux parents un précepte formel d'aimer leurs enfants. La nature a si profondément implanté dans les entrailles de tout être vivant l'amour de sa progéniture, que, comme le dit saint Ambroise, les bêtes même les plus sauvages ne peuvent s'empêcher d'aimer leurs petits. On raconte même qu'aux cris de leurs petits, embarqués par les chasseurs, les tigres se jettent à la met, et suivent le vaisseau à la nage jusqu'à ce qu'ils le rejoignent. Si donc, nous dit notre tendre Mère Marie, si les tigres mêmes aiment tant leurs petits, comment pourrais-je, moi, cesser de vous aimer, d'aimer mes enfants ? Une mère peut-elle oublier son enfant, et perdre toute tendresse à l'égard du fruit de ses entrailles ? mais, quand même elle l'oublierait, moi, je ne l'oublierai point, disait le Seigneur à son peuple ; Marie nous dit la même chose : Non, quand même, par impossible, une mère oublierait son fils, il n'arrivera jamais que je renonce à ma tendresse envers une âme.
Marie, est notre Mère, comme nous l'avons dit, non par la chair, mais par l'amour : Je suis la Mère de belle dilection. C'est donc uniquement en raison de sa tendresse à notre égard qu'elle est notre Mère ; et voilà, remarque un auteur, pourquoi elle se glorifie d'être Mère d'amour ; nous ayant adoptés pour ses enfants, elle est toute amour pour nous. Qui pourrait expliquer l'amour que Marie nous porte parmi nos misères ? Selon le même auteur, en assistant à la mort de Jésus-Christ, elle brûlait d'un extrême désir de mourir avec son divin Fils pour l'amour de nous. Ainsi, ajoute saint Ambroise, pendant que le Fils mourait pour nous sur la croix, la Mère se présentait aux bourreaux, toute prête à donner également sa vie pour notre amour.
Mais nous nous ferons une plus juste idée du grand amour de cette bonne Mère envers nous, si nous en considérons les motifs.
Le premier, c'est son immense amour pour Dieu. Selon saint Jean, l'amour de Dieu et celui du prochain, sont l'objet du même précepte : C'est là un commendement que nous avons reçu de Dieu : elui qui aime Dieu, doit aimer aussi son frère ; aussi ces deux amours sont toujours unis, et l'un ne peut grandir sans que l'autre grandisse d'autant. Voyez les saints, qui aimaient Dieu si ardemment, que n'ont-ils pas fait pour le bien du prochain ! Dans leur désir de le sauver, ils en sont venus jusqu'à exposer et sacrifier leur liberté, et même leurs jours. Leurs histoires sont pleines de traits de la plus héroïque charité. Afin de venir en aide aux peuplades barbares de l'Inde, saint François Xavier gravissait en rampant des montagnes escarpées, et allait à travers milles dangers, trouver au fond des cavernes les malheureux qui y vivaient comme des bêtes sauvages, et qu'il voulait amener à Dieu. Dans ses missions aux hérétiques du Chablais, saint François de Sales se hasarda chaque jour, une année durant, à passer une rivière en se cramponnant des mains et des pieds sur une poutre parfois couverte de glaçons, afin d'aller sur l'autre rive prêcher ses obstinés. Saint Paulin se fit esclave, pour rendre à liberté le fils d'une pauvre veuve ; saint Fidèle de Sigmaringen s'estima heureux de perdre la vie en prêchant la vraie foi à un peuple hérétique. Comment les saints ont-ils pu pousser si loin l'amour du prochain ? C'est qu'ils aimaient Dieu très ardemment. Or, qui l'a plus aimé que Marie ? Elle a plus aimé Dieu au premier moment de sa vie, que ne l'ont aimé tous les saints et tous les anges dans tout le cours de leur existence, comme nous le feront voir au long, en parlant de ses vertus.
D'après une révélation de la bienheureuse Vierge elle-même à la soeur Marie-Crucifiée, le feu dont elle brûle pour Dieu, mettrait en cendres en un instant le ciel et la terre, et, auprès de ses ardeurs, toutes celles des séraphins sont comme le souffle d'un vent frais. Si donc, parmi tous les esprits célestes, aucun n'aime Dieu plus que Marie, nous n'avons ni n'auront jamais, Dieu seul excepté, qui nous aime plus que cette tendre Mère. Quand même on réunirait l'amour de toutes les mères pour leurs enfants, de tous les époux pour leurs épouses, de tous les saints et de tous les anges pour leurs protégés, tous ces amours n'égaleraient point ensemble celui que Marie porte à une seule âme. La tendresse de toutes les mères pour leurs enfants est une ombre en comparaison de celui que Marie porte à chacun de nous, assure Nieremberg ; et elle nous aime, à elle seule, immensément plus que tous les anges et tous les saints ensemble.
Un autre motif pour lequel notre sainte Mère nous aime beaucoup, c'est que nous lui fûmes donnés pour enfants, et recommandés par son bien-aimé Jésus, quand, sur le point d'expirer, il lui dit : Femme, voilà votre Fils. Comme il a été vu plus haut, il lui désignait ainsi tous les hommes dans la personne de saint Jean. Ces paroles furent les dernières que son divin Fils lui adressa en ce monde. Trop précieuses sont les suprêmes recommandations d'une personne chérie aux prises avec la mort, pour qu'on en puisse jamais perdre la mémoire.
De plus, nous sommes des enfants excessivement chers à Marie, parce que nous lui coûtons d'excessives douleurs. Une mère ressent toujours une affection spéciale pour l'enfant auquel elle n'a conservé la vie qu'à force de soins et de peines. Tels sommes-nous à l'égard de Marie : pour nous faire naître à la vie de la grâce, il lui a fallu -- quel supplice pour son coeur ! - il lui a fallu sacrifier elle-même la vie si précieuse de son Jésus, et se résigner à voir de ses yeux ce fils qui expirait dans les tourments. C'est à ce grand sacrifice de Marie, je le répète, que nous sommes redevables de la vie de la grâce ; sa tendresse pour nous, pour des enfants qui lui ont coûté tant de peines, est donc extrême. Ainsi, ce qui est dit du Père éternel, à savoir, qu'il a aimé les hommes jusqu'à livrer pour eux son Fils unique, nous pouvons, remarque saint Bonaventure, le dire pareillement de Marie : elle nous a aimés, elle aussi, au point de nous donner son Fils unique. Et quand nous le donna-t-elle ? Elle nous le donna,. répond le père Nieremberg, d'abord, quand elle lui permit d'aller à la mort. Elle nous le donna quand, les autres manquant à leur devoir par haine ou par crainte, elle pouvait bien, elle seule, défendre auprès des juges la vie de son Fils. Ne doit-on pas croire, en effet, que les paroles d'une mère si sage, si tendre à l'égard de son Fils, eussent pu faire assez d'impression, du moins sur Pilate, pour le dissuader de condamner à mort un homme dont il avait lui-même reconnu et proclamé l'innocence ? Mais non, Marie ne voulut pas prononcer le moindre mot en faveur de son Fils, afin de ne pas s'opposer à sa mort, à laquelle notre salut était attaché.
Elle nous le donna enfin, elle nous le donna mille et mille fois, pendant ces trois heures qu'elle passa au pied de la croix, veillant sur l'agonie de son Fils. Oui, autant d'instants il y eut dans ces trois heures, autant de fois elle fit pour nous, avec une douleur extrême et un extrême amour enver nous, le sacrifice de son Jésus. Et, selon saint Anselme et saint Antonin, telle était sa constance, qu'au défaut des bourreaux, elle l'eût crucifié elle-même pour obéir au Père éternel, qui voulait nous sauver par la mort de son Fils. Et, en effet, si Abraham eut la force de consentir à immoler son Fils de sa propre main, nous ne devons pas en douter, bien plus sainte plus obéissante qu'Abraham, Marie eût accompli le sacrifice avec plus de courage encore.
Mais, pour revenir à notre sujet, combien de reconnaissance ne devons-nous pas à Marie en retour d'un acte d'amour si généreux, je veux dire, du douloureux sacrifice qu'elle a fait de la vie de son Fils unique, afin de nous voir tous sauvés ! Magnifique fut le prix dont le Seigneur récompensa le sacrifice qu'Abraham avait voulu lui faire de son fils Isaac : mais nous, que pouvons-nous rendre à Marie pour nous avoir réellement sacrifié la vie de son Jésus, Fils bien plus auguste et bien plus aimé que le fils d'Abraham ? Cet amour de Marie nous impose une grande obligation de l'aimer ; car, selon la remarque de saint Bonaventure, jamais créature ne nous aimera à l'égal de Celle qui nous a abandonné son unique Fils, un Fils qui lui était plus cher que sa propre vie.
De là pour Marie un nouveau mortif qui la presse de nous aimer : elle considère en nous le prix auquel nous fûmes achetés, la mort de Jésus-Christ. Une reine qui aurait un serviteur racheté par son fils chéri au prix de vingt années de prisons et de souffrances, combien, à ce seul point de vue, n'estimerait-elle pas ce serviteur ! Marie sait que son Fils est venu en ce monde à l'unique fin de nous arracher à notre misère, ainsi qu'il l'a déclaré lui-même : Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ; elle sait que, pour nous racheter, il a bien voulu donner jusqu'à son sang, et s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Nous aimer peu après cela, ce serait, de la part de Marie, faire peu de cas du sang versé par son Fils pour notre rançon. Il fut révélé à la vierge sainte Élisabeth, qu'à partir de son entrée dans le temple, la vie de Marie fut une prière incessante pour qu'il plût à Dieu d'envoyer sans retard son Fils au secours du monde perdu ; or, nous devons le penser, elle nous aime bien plus encore, depuis qu'elle a vu son Fils nous priser si haut, et payer si cher notre délivrance.
Et, comme tous les hommes ont été rachetés par Jésus-Christ, Marie les aime et ne refuse à aucun ses faveurs. C'est d'elle qu'il s'agit dans ce passage de l'Apocalypse : Un grand signe parut dans le ciel : une Femme revêtue du soleil. Elle fut montrée ainsi à saint Jean, pour signifier que comme, selon le psaume, il n'est personne sur la terre qui échappe à la chaleur du soleil, de même nul homme vivant n'est exclu de la tendresse de Marie. C'est l'explication de l'Idiot : Par la chaleur du soleil, dit-il, il faut entendre ici l'amour de Marie. Eh ! s'écrie saint Antonin, qui pourrait comprendre la sollicitude de cette tendre Mère envers chacun de nous ? Elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, à tous elle prodigue ses bienfaits. Car elle a désiré le salut de tous les hommes et contribué au salut de tous. Il est certain, dit saint Bernard, qu'elle s'est vivement intéressées au bien du genre humain tout entier. On voit par là combien est utile la pratique familière plusieurs serviteurs de Marie, de prier le Seigneur qu'il leur accorde les grâces dont la bienheureuse Vierge lui fait pour eux la demande. Or, cette manière de prier, est fondée en raison, remarque Conelius a Lapide, car notre céleste Mère nous souhaite des biens plus excellents que nous n'en pouvons nous-mêmes désirer. Et, comme l'assure le pieux Bernardin de Bustis, Marie est plus empressée à nous combler de ses bienfaits, à nous dispenser des grâces, que nous-mêmes à les recevoirs. Aussi le bienheureux Albert le Grand lui applique-t-il ces paroles de la Sagesse : Elle prévient ceux qui la désirent, et elle se montre à eux la première. Oui, Marie, elle la trouvent avant de l'avoir cherchée. Telle est à notre égard la tendresse de cette bonne Mère, ajoute Richard, qu'à la première vue de nos besoins et avant même d'être invoquée par nous, elle vient à notre secours.
Mais si Marie est si bonne envers tout le monde, sans en excepter les ingrats qui l'aiment peu et qui sont négligents à l'invoquer, combien plus tendre sera-t-elle à l'égard de ceux qui l'aiment sincèrement et l'invoquent fréquemment ? Ceux qui l'aiment la découvrent aisément, et ceux qui la cherchent la trouve. Oh ! s'écrie le même bienheureux Albert, qu'il est facile à qui aime Marie de la trouver, et de faire l'heureuse expérience de sa bonté, de son amour ! J'aime ceux qui m'aiment, dit-elle par la bouche du Sage. Or, bien que cette très aimante Souveraine aime tous les hommes comme ses enfants, elle sait néanmoins ceux qui l'aiment davantage, assure Saint Bernard, et elle a pour eux des tendresses de choix. Selon l'Idiot, quand une âme est assez heureuse pour brûler ainsi de l'amour de Marie, celle-ci ne se contente pas de la chérir, elle s'abaisse jusqu'à la servir : Trouvez la Vierge Marie, dit-il, c'est trouver tous les biens, car elle aime ceux qui l'aiment, elle sert même ceux qui la servent.
Il est question, dans les chroniques des Dominicains, d'un frère nommé Léodat, qui avait coutume de se recommander deux cent fois le jour à cette Mère de miséricorde. Quand il fut sur le point de mourir, il vit tout à coup près de son lit une reile d'une merveilleuse beauté, qui lui dit : Léodat, voulez-vous mourir, et venir auprès de mon Fils et de moi ? Il répondit : Mais, qui êtes-vous ? Et la sainte Vierge reprit : Je suis la Mère de miséricorde, que vous avez tant de fois invoquée ; me voici venue pour vous prendre avec moi, allons-nous en en paradis. Léodat mourut ce jour-là même ; et, comme il y a tout lieu de le croire, il alla rejoindre Marie au séjour des Élus.
O douce Marie ! heureux celui qui vous aime ! -- Le saint frère Jean Berchmans, de la Compagnie de Jésus, disait : Si j'aime Marie, je suis assuré de la persévérence, et j'obtiendrai de Dieu tout ce que je désire. Aussi, le pieux jeune homme ne se lassait pas de renouveler sa résolution de l'aimer ; il répétait souvent en lui-même : Je veux aimer Marie ! Je veux aimer Marie !
Oh ! combien cette bonne Mère surpasse en amour tous ses enfants ! Qu'ils l'aiment autant qu'ils le pourront, dis saint Ignace martyr, jamais ils ne l'égaleront en amour.
Qu'ils l'aiment donc autant qu'un saint Stanislas Kotska, dont la tendresse pour sa céleste Mère était si vive, qu'à l'entrendre seulement parler d'elle on sentait le désir de l'aimer aussi. Il avait imaginé des expressions nouvelles et de nouveaux titres pour l'honorer. Il ne commençait aucune action, sans s'être tourné d'abord vers une image de Marie pour demander sa bénédiction. Quand il récitait en son honneur l'office, le rosaire, ou d'autres oraisons, c'était avec le sentiment, l'expression d'une personne qui parlerait face à face avec Marie. Entendait-il chanter le Salve Regina, l'embrasement de son coeur colorait son visage. Comme il allait un jour visiter une image de la bienheureuse Vierge avec un père de la Compagnie, celui-ci lui demanda s'il aimait beaucoup Marie : Mon père, répondit Stanilas, elle est ma Mère ! Que puis-je vous dire de plus ? Mais, racontait ensuite ce religieux, le saint jeune homme prononça ces mots d'une vois si émue, d'un air si affectueux, d'un coeur si pénétré, qu'on eût dit un ange qui parlait de Marie.
Qu'ils l'aiment autant qu'un bienheureux Herman Joseph, qui l'appelait son Épouse d'amour, Marie ayant daigné l'honorer du nom d'Époux ; autant qu'un saint Philippe de Néri, qui était tout consolé au seul souvenir de Marie, et qui la nommait ses Délices ; autant qu'un saint Bonaventure, qui, non content de lui donner les titre de Dame et de Mère, osait encore, pour mieux exprimer la tendresse de son affection, l'appeler son Coeur et son Ame.
Qu'ils l'aiment autant que ce grand serviteur de Marie, saint Bernard : il aimait tant cette douce Mère, qu'il l'appelait la Ravisseuse des coeurs : Raptrix cordium ; et, ne sachant comment lui dire l'amour dont il brûlait pour elle : N'est-il pas vrai, lui disait-il, que vous avez ravi mon coeur ?
Qu'ils l'appellent leur Amante, comme un saint Bernardin de Sienne, qui allait la visiter chaque jour dans une dévote image ; là il épanchait son coeur dans de tendres colloques avec sa Reine bien-aimée ; et, quand on lui demandait où il se rendait tous les jours, il répondait qu'il allait trouver son Amante.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint Louis de Gonzague, qui brûlait continuellement d'un sigrand amour envers Marie : rien qu'à entendre le nom si doux de cette Mère chérie, il sentait son coeur tout embrasé ; la flamme qui le consumait apparaissait à l'extérieur ; son visage en rougissait et attirait tout les regards.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint François Solano qui semblait transporter d'une sainte folie d'amour envers Marie ; parfois, devant une de ses images, on le voyait qui chantait en s'accompagnant d'un instrument de musique ; il voulait, disait-il, à l'imitation des amants du monde, donner une sérénade à la Reine de son coeur.
Qu'ils l'aiment comme l'ont aimée un si grand nombre de ses serviteurs, qui croyaient n'avoir jamais assez fait pour lui témoigner leur amour. -- Le père Jean de Trexo, de la Compagnie de Jésus, prenait plaisir à s'appeler esclave de Marie, et, en signe de sa serviture, il allait souvent la visiter dans une de ses églises ; là, que faisait-il ? à peine arrivé, il se livrait tellement aux tendres émotions de son amour pour Marie qu'il arrosait l'église de ses larmes, puis les essuyait avec la langue et le visage, baisant mille fois le pavé, tant il était touché de se trouver dans la maison de sa chère Dame. -- En récompense de sa dévotion, le père Jacques Martinez, de la même Compagnie, se voyait porté au ciel par les anges, en chacune des fêtes de Notre-Dame, pour être témoin de la pompe avec laquelle elles s'y célèbrent. Il avait coutume de dire : Je voudrais avoir tous les coeurs des anges et des saints, afin d'aimer Marie comme ils l'aiment ; je voudrais avoir les vies de tous les hommes, pour les consacrer toutes à l'amour de Marie.
Qu'ils parviennent à l'aimer autant que l'aimait Charles, fils de sainte Brigitte ; rien au monde, assurait-il, ne le réjouissait comme de savoir combien Marie est aimée de Dieu. Et, disait-il encore, si la grandeur de Marie pouvait subir quelque amoindrissement, de bon coeur je souffrirais n'importe quelle peine pour lui épargner cette perte ; il y a plus : si la gloire de Marie m'appartenait, j'y renoncerais en sa faveur, sachant qu'elle en est incomparablement plus digne que moi.
(NOTE DE L'ÉDITEUR) Nous qui traduisons notre Bienheureux Père, pourquoi n'ajouterions-nous pas :
Qu'ils l'aiment autant qu'un Saint Alphonse-Marie de Liguori, Fondateur de la Congrégation du très Saint Rédempteur, lequel sera dorénavant cité avec S. Bernard, S. Bonaventure, S. Anselme, parmi les plus fidèles et les plus zélés serviteurs de cette glorieuse Vierge.
Encore enfant, il passait déjà des heures entières dans une oraison extatique devant l'image de la Madone. Ce fut à ses pieds que, résolu de quitter le monde, il déposa son épée. Il s'obligea par voeu à réciter chaque jour le chapelet et à prêcher tous les samedis les gloires de Marie.
Il récitait l'Ave Maria à tous les quarts d'heure ; il jeûnait tous les samedis et la veille de toutes les fêtes de la Vierge, s'abstenant alors de toute boisson et se contentant d'un morceau de pain pour toute nourriture.
Jusque dans son extrême vieillesse il se plaisait à appeler Marie sa Mère : Le démon a voulu me jeter dans le désespoir, disait-il au sortir d'une violente tentation ; mais ma Mère Marie m'a secouru, je n'ai pas offensé Dieu.
Il aspirait à tenir après Dieu la première place parmi ceux qui aiment la Reine du ciel ; le nom béni de Marie se retrouve presque à toutes les pages de ses nombreux ouvrages, sans compter le livre des Gloires, le plus beau peut-être que l'ont ait composé sur ce sujet.
Enfin, il fit un précepte spécial aux membres de son Ordre de professer un amour filial envers la divine Mère.
De son côté, Marie sut bien faire éclater sa tendresse envers son cher Alphonse. Elle le guérit subitement d'une maladie mortelle occasionnée par un excès de travail.
Elle lui apparaissait fréquemment dans une grotte où il se livrait à la prière et à la pénitence, et lui donnait conseil sur tout ce qui concernait la Congrégation fondée par lui.
A plusieurs reprieses, elle se montra à lui et le ravit tandis qu'il prêchait et s'efforçait d'animer ses nombreux auditeurs à la confiance envers elle.
Elle lui apparut encore deux fois la veille de sa mort, comme il l'en avait priée tant de fois, et changea son agonie en une douce extase. (FIN DE LA NOTE DE L'ÉDITEUR)
Qu'à l'exemple d'Alphonse Rodriguez, ils désirent donner leur vie en preuve de leur amour pour Marie ; qu'à l'imitation du saint religieux François Binans, et de sainte Radegonde, femme du roi Clotaire, ils aillent jusqu'à graver avec une pointe de fer, l'aimable nom de Marie sur leur poitrine, ou bien que, pour rendre l'empreinte plus profonde et ineffaçable, ils l'y impriment à l'aide d'un fer rouge, comme firent dans le transport de leur amour ses dévots serviteurs Jean-Baptiste Archinto et Augustin d'Espinosa, tous deux de la Compagnie de Jésus.
En un mot, qu'ils fassent ou aspirent à faire tout ce qui est possible à un amant désireux de témoigner son affection à la personne qu'il aime : jamais ils n'arriveront à aimer Marie autant qu'elle les aime. Gracieuse Souveraine, s'écriait saint Pierre Damien, je sais qu'en fait d'amour vous l'emportez sur tous ceux qui vous aiment ; vous nous aimez d'un amour qui ne se laisse vaincre par aucun autre amour.
Le saint frère Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de Jésus, se trouvant un jour au pied d'une image de Marie, se sentit tellement embrasé d'amour pour cette glorieuse Vierge, qu'il laissa échapper ces paroles : Ma très aimable Mère, je sais que vous m'aimez ; mais vous ne m'aimez pas autant que je vous aime.
Alors Marie, comme blessée en son amour, lui répondit par cette image : Que dis-tu, Alphonse ? que dis-tu ? oh ! combien mon amour pour toi l'emporte sur ton amour envers moi ! Il y a, sache-le bien, moins de distance entre le ciel et la terre, qu'entre mon amour et le tien.
Saint Bonaventure a donc raison de s'écrier : Heureux ceux qui aiment et servent fidèlement cette tendre Mère ! -- Oui, heureux sont-ils, car cette Reine généreuse ne se laisse jamais vaincre en amour par ses dévots serviteurs : elle leur rend amour pour amour, dit un auteur, et, à ses faveurs passées, elle en ajoute toujours de nouvelles. Pareille en cela à Jésus, notre très aimant Rédempteur, elle leur paie au double, en les comblant de grâces, l'amour qu'ils ont pour elle.
J'emprunterai donc ici les amoureux accents de saint Anselme et je m'écrierai comme lui : Que mon coeur brûle à jamais, que mon âme se consume tout entière pour vous, ô Jésus, mon bien-aimé Sauveur, et ma chère Mère Marie ! Et, puisque, sans votre grâce, je ne puis vous aimer, ô Jésus et Marie, faites, je vous en supplie par vos mérites, et non par les miens, faites que je vous aime autant que vous le méritez. O Dieu plein d'amour pour les hommes ! vous avez pu mourir pour vos ennemis, et vous pourriez refuser, à qui vous le demande, la grâce de vous aimer, vous et votre sainte Mère ?
Une pauvre jeune fille chargée de la garde d'un troupeau, aimait tendrement la Vierge Marie, raconte le père Auriemma ; tout son plaisir était de se rendre sur une montagne, à une petite chapelle de Notre-Dame ; tandis que ses brebis paissaient à l'entour, elle se retirait dans ce sanctuaire, s'y entretenait avec sa Mère chérie et lui offrait ses hommages. Voyant la petite statue de la sainte Vierge sans ornements, elle entreprit de lui faire un manteau du travail de ses mains ; et un jour, ayant cueuilli quelques fleurs dans la campagne, elle en composa une guirlande, monta ensuite sur l'autel, et la mit sur la tête de la statue, en disant : Ma Mère ! je voudrais poser sur votre front une couronne d'or et de pierres ; mais, parce que je suis pauvre, recevez de moi cette pauvre couronne de fleurs, et acceptez-la en signe de l'amour que je vous porte. Cette pieuse bergère ne cessait point de servir et d'honorer ainsi sa Dame bien-aimée.
Voyons maintenant comment, de son côté, la bonne Mère récompensa les visites et l'affection de sa fille. Il arriva que deux religieux passant dans cette contrée, s'arrêtèrent sous un arbre pour se remettre des fatigues du voyage ; l'un s'endormit, pendant que l'autre veillait, et néanmoins tous deux eurent la même vision. Ils virent une troupe de vierges extrêmement belles, au milieu desquelles il s'en trouvait une qui surpassait toutes les autres en beauté et en majesté. L'un d'eux dit à celle-ci : Auguste Dame, qui êtes-vous ? et où allez-vous par ce chemin ? -- Je suis, répondit-elle, la Mère de Dieu ; je vais avec ces saintes vierges visiter, au hameau voisin, une jeune bergère qui est sur le point de mourir et qui m'a rendu visite bien des fois. Cela dit, la vision disparut ; et aussitôt les deux serviteurs de Dieu s'écrièrent en même temps : Allons aussi la voir. Ils se mirent en chemin, et trouvèrent bientôt l'habitation où était la mourante ; c'était une pauvre chaumière, où, étant entrés, ils la virent couchée sur un peu de paille. Ils la saluèrent, et elle leur dit : Mes frères, priez Dieu qu'il vous fasse voir la compagnie qui m'assiste. Ils se mirent à genoux, et aperçurent Marie, qui se tenait à côté de la mourante, avec une couronne en main, et la consolait. Alors, les saintes qui formaient son cortège, se mirent à chanter : et à ces doux accents, l'âme bénie de la pauvre fille s'étant détachée de son corps, Marie lui posa la couronne sur la tête, et la conduisit avec elle en paradis.
O douce Souveraine, vous dirai-je avec saint Bonaventure ; vous qui, par les marques de votre amour et par vos bienfaits, ravissez les coeurs de ceux qui vous servent, ravissez aussi mon misérable coeur, qui désire vous aimer beaucoup. Quoi ! auguste Mère, par votre beauté, vous avez touché le coeur d'un Dieu, vous l'avez attiré du ciel dans votre sein ; et moi je vivrais sans vous aimer ? Non, certes ; et je dis avec un autre de vos enfants qui vous a tant aimée, le pieux Jean Berchmans : Je suis résolu de ne me donner aucun repos, jusqu'à ce que je sois sûr d'avoir obtenu un amour tendre et constant pour vous, ma Mère, qui m'avez si tendrement aimé, lors même que j'étais ingrat envers vous. Où en serais-je maintenant, ô Marie ! si vous ne m'aviez pas aimé et ne m'aviez pas obtenu tant de miséricordes ? Si donc vous m'avez tant aimé et favorisé quand je ne vous aimais pas, combien plus dois-je espérer de votre bonté maintenant que je vous aime ! Oui, je vous aime, ô ma Mère ! et je voudrais avoir un coeur capable de vous aimer pour tous les malheureux qui ne vous aiment point ; je voudrais avoir une langue capable de vous louer autant que mille langues, pour faire connaître à tout le monde votre grandeur, votre sainteté, votre miséricorde, et votre amour envers ceux qui vous aiment.
Si j'avais des richesses, je voudrais les employer toutes à vous honorer ; si j'avais des sujets, je voudrais leur inspirer à tous votre amour ; je voudrais enfin sacrifier pour votre amour et votre gloire, s'il le fallait, ma vie même. Je vous aime donc, ô ma Mère ! mais, en même temps, hélas ! je crains de na pas vous aimer ; car j'entends dire que l'amour rend ceux qui aiment semblable à la personne aimée. Je dois donc croire que je vous aime bien peu, en me voyant si loin de vous ressembler ; vous si pure, et moi si souillé ! vous si humble, et moi si orgueuilleux ! vous si sainte, et moi si criminel ! Mais, ô Marie, c'est à vous de rémédier à mes maux ; montrez-moi votre amour en me rendant semblable à vous. Vous êtes assez puissante pour changer les coeurs ; prenez donc mon coeur et le changez ; faites voir au monde de quelle puissance vous disposez en faveur de ceux que vous aimez ; rendez-moi saint, faites que je sois votre digne enfant. Ainsi j'espère, ainsi soit-il.
La bienheureuse Vierge n'est pas seulement la Mère des âmes justes et innocentes ; elle nourrit encore, comme elle le déclarait un jour à sainte Brigitte, des sentiments tout maternels pour les pécheurs, pour ceux du moins qui sont résolus de s'amender. Oh ! quand un pécheur veut changer de vie, vient se jeter aux pieds de Marie il trouve cette bonne et miséricordieuse Mère bien plus empressée à l'embrasser et à le secourir, qu'aucune mère selon la chair ! C'est ce qu'écrivait Grégoire VII à la comtesse Mathilde, qu'il engageait à en faire l'expérience.
Ainsi, quiconque aspire à la dignité d'enfant de cette divine Mère, doit d'abord renoncer au péché ; après cela, il peut espérer d'être bien reçu par elle. Sur ces paroles des Proverbes, appliquées à la sainte Vierge : Ses enfants se sont levés, Richard de Saint-Laurent observe que le mot surrexerunt, se sont levés, est placé dans le texte avant les mots filii ejus, ses enfants, pour faire entendre qu'on ne peut être enfant de Marie, si l'on ne songe d'abord à sortir du péché. En effet, suivant la remarque de saint Pierre Chrysologue, ne pas marcher sur les traces de ses parents, c'est les renier ; et celui qui dans sa conduite se met en opposition avec Marie, celui-là déclare en fait qu'il ne veut pas être son enfant. Marie est humble, Marie est pure, Marie est charitable ; et lui, il est orgueilleux, il est adonné au vice, il hait son prochain : qu'est-ce à dire, sinon qu'il répudie le nom d'enfant d'une Mère si sainte ? -- Les enfants de Marie, reprend Richard, sont ceux qui tâchent de lui ressembler par la pratique des vertus, spécialement de la chasteté, de l'humilité, de la douceur, de la charité.
De quel front donc prétendrait-il à la qualité d'enfant de Marie, celui qui, par les désordres de sa vie, l'abreuve de déplaisirs ? Un pécheur la priait un jour et lui disait : Montrez que vous êtes ma Mère. -- Et toi, lui répondit-elle, montre que tu es mon fils Un autre l'ayant invoquée en l'appelant Mère de miséricorde, elle lui dit : Vous autres, pécheurs, quand vous voulez que je vous aide, vous m'appelez Mère de miséricorde ; et puis vous ne cessez, par vos péchés, de faire de moi une Mère de misère et de douleur. Celui-là est maudit de Dieu, qui afflige sa Mère, dit le Sage. Quelle est cette mère, demande Richard, sinon Marie ? Ainsi Dieu maudit ceux qui par leur mauvaise vie, ou plutôt par leur obstination, contristent le coeur de cette bonne Mère.
J'ai dit : par leur obstination; car lorsqu'un pécheur, quoique non encore dégagé des liens du péché, s'efforce néanmoins d'en sortir, et réclame pour cela le secours de Marie, cette tendre Mère ne laisse pas de lui venir en aide et de le faire rentrer en grâce avec Dieu. C'est ce que Sainte Brigitte entendit un jour de la bouche de Jésus-Christ même ; il disait, en s'adressant à sa mère : Vous prêtez cotre appui à quiconque désire sincèrement revenir à Dieu, et jamais vous n'en laissez aucun sans consolation. Ainsi, quand le pécheur s'obstine, Marie ne peut l'aimer, mais si, se trouvant retenu dans l'esclavage de Satan par quelque passion violente, il se recommande du moins à la Sainte Vierge, et la prie avec confiance et persévérance de le retirer du péché, sans aucun doute cette bonne Mère étendra vers lui sa main puissante, elle brisera ses chaînes, et le remettra au chemin du salut.
C'est une hérésie condamnée par le Concile de Trente, de prétendre que toutes les prières et toutes les oeuvres faites en état de péché, sont des péchés. Bien que difforme, faute d'être accompagnée de charité, la prière du pécheur ne laisse pas de lui être utile, dit Saint Bernard ; elle peut du moins l'aider à sortir du péché. C'est que, selon l'enseignement de saint Thomas, toute dénuée qu'elle est de mérite, elle conserve néanmoins la vertu de lui attirer la grâce du pardon ; parce que la force d'impétration de la prière ne lui vient pas des mérites de celui qui pries, mais de la bonté divine et des mérites et des promesses de Jésus-Christ, qui nous a dit : Quiconque demande, reçoit. Il n'en est pas autrement des prières adressées à la Mère de Dieu. Si celui qui prie ne mérite pas d'être exaucé, il le sera néanmoins, en vertu des mérites de Marie à qui il se recommande.
Aussi, saint Bernard exhorte tous les pécheurs à prier Marie, et à le faire avec une grande confiance ; le pécheur est, à la vérité, indigne d'être exaucé dit-il ; mais les mérites de Marie lui ont valu le privilège d'obtenir aux pécheurs toutes les grâces qu'elle sollicite de Dieu en leur faveur. Et en cela, ajoute le même saint, elle ne fait que s'acquitter du devoir d'une bonne mère : une mère qui saurait ses deux fils divisés par une haine mortelle, au point d'en vouloir aux jours l'un de l'autre, pourrait-elle faire moins de mettre tout en oeuvre pour les réconcilier ? Eh bien ! Marie est la Mère de Jésus et la Mère de l'homme ; quand elle voit l'homme devenu par le péché l'ennemi de Jésus-Christ, elle ne sait le souffrir, elle ne néglige rien en vue de rétablir la paix entre eux.
Tout ce que cette Reine très clémente exige du pécheur, c'est qu'il se recommande à elle et ait l'intention de se corriger. Lorsqu'elle voit à ses pieds un coupable qui implore sa miséricorde, elle ne regarde pas aux péchés dont il est chargé, mais seulement à l'intention qui l'amène : eût-il commis tous les péchés du monde, pourvu qu'il vienne avec une bonne volonté, cette tendre Mère ne dédaigne pas de l'embrasser et de guérit toutes les plaies de son âme ; car, non contente de porter le titre de Mère de miséricorde, elle prétend l'être en effet, et elle se montre telle par l'amour plein de tendresse qu'elle déploie en faveur des misérables. Tout cela a été dit expressément à sainte Brigitte par la Bienheurese Vierge elle-même en ces termes : Si coupable que soit un homme, s'il revient à moi touché d'un vrai repentir, je suis prête à l'accueillir sans retard ; et je ne refuse point d'appliquer le remède à ses plaies et de les guérir, car je m'appelle et je suis réellement la Mère de miséricorde.
Marie est la Mère des pécheurs qui veulent se convertir, et elle ne peut s'empêcher de s'apitoyer sur eux ; elle semble même ressentir, comme s'ils lui étaient propres, les maux des ses propres enfants. Lorsque la Chananéenne vint supplier le Sauveur de délivrer sa fille, elle lui dit : Ayez pitié de moi, Seigneur, Fils de David, ma fille est cruellement tourmentée par le démon. - Mais puisque que ce n'était pas elle, mais sa fille, qui était en proie aux tourments, ne semble-t-il pas qu'elle dût dire, non pas : Ayez pitié de moi, mais plutôt : Ayez pitié de ma fille ? -- Oh ! non, c'est avec raison qu'elle a dit : Ayez pitié de moi, parce que toutes les douleurs des enfants sont ressenties par leurs mère comme des douleurs personnelles. Et voilà précisément, assure Richard de Saint-Laurent, comment parle Marie, quand, invoquée par un pécheur, elle le recommande à Dieu : Seigneur, semble-t-elle lui dire, cette pauvre âme en état de péché est mon enfant ; ayez donc pitié, non pas tant d'elle que de moi, qui suis sa Mère.
Ah ! plût à Dieu que tous les pécheurs eussent recours à cette douce Mère ! assurément tous obtiendraient le pardon. -- O Marie, s'écrie tout émerveillé saint Bonaventure, vous recevez dans vos bras maternels le pécheur méprisé de tout le monde, et vous ne l'abandonnez point que vous ne l'ayez réconcilié avec son Juge. La pensée du saint est que l'homme en état de péché est haï et repoussé de tous les êtres ; il ne l'est pas jusqu'aux créatures inanimées, le feu, l'air, la terre, qui ne voulussent le châtier et venger sur lui l'honneur de leur Maître outragé. Mais, si ce malheureux a recours à Marie, le repossera-t-elle ainsi ? Non, certes ; s'il vient dans le but d'être aidé à se corriger, elle l'embrasse avec la tendresse d'une mère, et fait si bien, par sa puissante intercession, qu'elle le remet dans la grâce de Dieu.
Le second livre des Rois nous a conservé le discours adressé à David par le sage Thécuite : Seigneur, j'avais deux fils ; pour mon malheur, l'un des deux a tué l'autre, en sorte que j'ai déjà perdu un de mes fils ; or, la justice veut maintenant m'enlever mon autre fils, le seul qui me reste. Ayez pitié d'une pauvre mère ; faites que je ne demeure pas privée à la fois de mes deux enfants. -- David eut compassion de cette mère affligée, et lui accorda la grâce du coupable. Tel est, ce semble, le langage que Marie tient à Dieu, quand elle le voit irrité contre un pécheur qui se recommande à elle : Mon Dieu, lui dit-elle, j'avais deux fils, Jésus et l'homme ; l'homme a fait mourir mon Jésus sur la croix, et maintenant votre justice veut condamner l'homme. Seigneur, mon Jésus est mort, ayez compassion de moi ; et, si j'ai perdu l'un de mes fils, ne me faites pas perdre encore l'autre.
Oh ! non, assurément, Dieu ne condamne pas les pécheurs qui recourent à Marie, et pour qui elle intercède, puisqu'il l'a lui-même chargée de veiller sur eux comme sur ses enfants. Voici comment le dévot Lansperge fait parler le Seigneur : J'ai recommandé les pécheurs à Marie en les lui donnant pour enfants ; aussi, dans sa sollicitude à remplir son devoir de Mère, elle ne veut pas qu'aucun de ceux qui lui sont confiés, surtout s'ils l'invoquent, vienne à périr, et elle s'efforce autant qu'il est en elle, de me les ramener tous. -- Et Louis de Blois dit à son tour : Il n'est pas de termes pour exprimer la bonté, la miséricorde, la fidélité et la charité avec lesquelles notre Mère Marie cherche à nous sauver, quand nous l'appelons à notre secours.
Prosternons-nous donc devant cette bonne Mère conclut saint Bernard, embrassons ses pieds sacrés, et ne la quittons pas qu'elle ne nous ait bénis et acceptés pour ses enfants. Et qui pourrait douter de sa tendresse maternelle ? Quand même elle me donnerait la mort, dit un auteur, je ne cesserais point d'espérer en elle ; plein de cette confiance, je désire mourir auprès de son image, car, si j'ai ce bonheur, je serai sauvé. Tout pécheur qui recourt à cette Mère compatissante, doit donc lui dire aussi :
Ma Souveraine et ma Mère, je suis un pécheur, je mérite que vous me chassiez de votre présence et me traitiez en toute rigueur de justice ; néanmoins, quand même vous me rebuteriez, quand même vous me donneriez la mort, je ne cesserai jamais d'avoir la confiance que vous me sauverez. Oui, je mets toute ma confiance en vous ; que j'aie seulement le bonheur de mourir devant une de vos images, en me recommandant à votre miséricorde, et je suis assuré de ne point me perdre, mais d'aller vous louer dans le ciel en compagnie de vos nombreux serviteurs, qui, vous ayant invoquée au moment de la mort, on tous été sauvés par votre puissante intercession.
En lisant l'exemple suivant, on verra si jamais aucun pécheur peut douter de la miséricorde et de la tendresse maternelle de Marie, lorsqu'il réclame sa protection :
Vincent de Beauvais raconte que, dans une ville d'Angleterre, un jeune homme de sang noble, nommé Ernest, avait donné aux pauvres tout son patrimoine, et était entré dans un monastère, où il avait bientôt conquis l'estime de ses supérieurs par une vie très parfaite et spécialement par sa grande dévotion à la Sainte Vierge. Survint une peste qui obligea les habitants de la ville à s'adresser aux moines et à réclamer le secours de leurs prières. L'abbé commanda à Ernest d'aller se mettre en prières devant l'autel de Marie, et de ne pas se retirer que la Reine du ciel ne lui eût donné une réponse. Au bout de trois jours, Marie lui indiqua certaines prières que l'on devait réciter ; on le fit, et le fléau cessa. Or, il advint qu'Ernest s'étant ensuite refroidi dans sa dévotion à Notre-Dame, se vit assailli de fréquentes tentations, principalement contre la pureté ; le démon lui suggéra même l'idée de sortir du monastère ; et, faute de s'être recommandé à Marie, le malheureux en vint à former le projet de s'enfuir en escaladant le mur de clôture.
Comme donc il passait dans un corridor vis-à-vis d'une image de Marie, il entendit la Mère de Dieu qui lui disait : Mon fils, pourquoi me quittes-tu ? A ces mots, Ernest, interdit et confus, tomba par terre et répondit : Mais Vierge sainte, ne voyez-vous pas que je ne puis plus résister ? pourquoi ne venez-vous pas à mon secours ? La bonne Mère reprit : Et toi, pourquoi ne m'as-tu pas invoquée ? Si tu n'avais pas négligé de te recommander à moi, tu n'en serais pas venu là. A l'avenir, invoque-moi dans le péril, et ne crains rien. Le jeune homme retourna à sa cellule ; mais, les tentations revenant à la charge, il négligea, comme par le passé de se recommander à Marie, et il finit par s'enfuir du couvent.
Dès lors, il se livra à une vie criminelle, et, de péché en péché, il en vint jusqu'à louer une auberge pour y assassiner de nuit les voyageurs et s'emparer de leurs dépouilles. Il égorgea ainsi entre autres le cousin du gouverneur de l'endroit. Celui-ci lui fit son procès et, sur les indices qu'il put recueillir, il le condamna à la potence. Mais, pendant que le procès s'instruisait, arriva à l'auberge un jeune cavalier, et aussitôt le scélérat de songer à le traiter, comme d'ordinaire il traitait ses hôtes. Il entre la nuit dans la chambre de l'étranger pour l'assassiner, et que voit-il ? Au lieu du cavalier, il voit sur le lit un crucifix tout couvert de plaies, qui, le regardant avec bonté, lui dit : Ne te suffit-il pas, ingrat, que je sois mort une fois pour toi ? veux-tu de nouveau m'oter la vie ? eh bien ! lève le bras, et tue-moi ! Tout hors de lui-même, à cette vue, Ernest fond en larmes : Seigneur, s'écrie-t-il en sanglotant, je me rends à vous ; puisque vous daignez me faire miséricorde, je veux me convertir.
Il quitte aussitôt l'auberge et se dirige vers son monastère pour y faire pénitence ; mais, rencontré en chemin par les ministres de la justice, il est saisi et mené au juge ; il avoue tous ses forfaits ; on le condamne à la corde, on ne lui donne pas même le temps de se confesser. Pendant qu'on le traînait au supplice, il se recommanda à Marie ; elle lui conserva la vie, le détacha elle-même de la potence et lui dit : Retournes au couvent, fait pénitence ; et, quand tu me verras à la main la sentence du pardon de tes péchés, prépare-toi à la mort. Ernest rentra au monastère, raconta le tout à l'abbé, et fit une rigoureuse pénitence. Plusieurs années après, il vit Marie tenant à la main l'acte de son pardon ; aussitôt, il se prépara à la mort, et il mourut saintement.
O ma Souveraine, digne Mère de mon Dieu, très sainte Vierge, en me voyant si méprisable et si souillé, je ne devrais pas oser m'approcher de vous et vous appeler ma Mère ; mais je ne veux pas que mes misère me privent de la consolation et de la confiance dont je suis pénétré en vous donnant ce doux nom. J'ai mérité, il est vrai, que vous me repoussiez ; mais je vous prie de considérer ce qu'a fait et souffert pour moi votre divin Fils, Jésus ; et puis, repoussez-moi si vous le pouvez. Je suis un misérable pécheur ; plus que les autres, j'ai outragé la Majesté divine ; mais le mal est fait ; j'ai recours à vous, vous pouvez me secourir ; ô ma Mère, venez à mon aide.
Ne me dites pas que vous ne pouvez m'aider ; car je sais que vous êtes toute-puissante, vous obtenez de votre Dieu tout ce que vous désirez. Et si vous me répondez que vous ne voulez pas me secourir, dites-moi du moins à qui je dois m'adresser pour être soulagé dans mon excessive détresse. Souffrez qu'avec saint Anselme, je vous dise, à vous et à votre divin Fils : Ou bien ayez pitié de moi, vous mon Rédempteur, en me pardonnant et vous ma Mère, en intercédant pour moi ; ou apprenez-moi à qui je dois recourir, montrez-moi en qui je puis trouver plus de miséricorde et avoir plus de confiance. Ah ! certes, je ne saurais trouver personne, ni sur la terre, ni dans le ciel, qui ait plus que vous compassion des malheureux, et qui puisse mieux me secourir. Vous, Jésus, vous êtes mon Père ; et vous, Marie, vous êtes ma Mère. Vous aimez jusqu'aux plus misérables, et vous allez les chercher pour les sauver. Je suis un coupable digne de l'enfer, le plus misérable de tous les pécheurs ; mais vous n'avez pas besoin d'aller me chercher, et je ne prétends pas que vous le fassiez : je me présente à vous dans la ferme espérance que vous ne m'abandonnerez pas. Me voici à vos pieds : mon Jésus, pardonnez-moi ; Marie, ma Mère, secourez-moi.
L'Église veut que nous appelions Marie notre Vie. Pour bien comprendre ce titre, il faut savoir que, comme l'âme donne la vie au corps, ainsi la grâce de Dieu donne la vie à l'âme ; car, sans la grâce, l'âme peut paraître vivante, mais en réalité elle est morte, selon ce qui est dit dans l'Apocalypse. Ainsi Marie rend la vie aux pécheurs, quand, par son intercession, elle leur obtient de rentrer en grâce avec Dieu.
L'Église applique à Marie et lui met dans la bouche les paroles suivantes du livre des Proverbes ; Ceux qui sont diligents à recourir à moi dès le matin, c'est-à-dire, aussitôt qu'ils le peuvent, me trouveront certainement. Au lieu de : Me trouveront, on lit dans la version de Septante : Trouveront la grâce de Dieu. -- Un peu plus loin, il est dit : Celui qui m'aura trouvée, trouvera la vie, et recevra de Dieu le salut éternel. -- Écoutez, s'écrie là-dessus saint Bonaventure : honorez Marie, et vous aurez la vie et le salut.
Au dire de saint Bernardin de Sienne, ce qui empêcha Dieu d'anéantir l'humanité après le péché originel, ce fut son amour de prédilection pour cette Fille bénie qui devait naître d'Adam. Le saint ne doute nullement que toutes les miséricordes et toutes les grâces reçues par les pécheurs sous l'ancienne loi, ne leur aient été accordées à la seule considération de cette bienheureuse Vierge.
Elle est donc bien fondée, cette exhortation de saint Bernard : Cherchons la grâce, et cherchons-la par l'intermédiaire de Marie. Oui, si nous sommes assez malheureux pour avoir perdu la grâce de Dieu, cherchons-la ; et, afin de la recouvrer sûrement, adressons-nous à Marie ; car, si nous avons perdu cette perle précieuse, Marie l'a retrouvée ; et de là le nom d'inventrice de la grâce, que lui donne le même saint. Et n'est-ce pas là la vérité si consolante pour nous qu'exprimait l'ange Gabriel, quand il disait à la Vierge : Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé la grâce. Mais, puisque Marie n'avait jamais été privée de la grâce, comment le saint archange pouvait-il dire qu'elle l'avait trouvée ? La vierge Immaculée fut toujours unie à Dieu, toujours ornée de la grâce, ou plutôt toujours pleine de grâce, comme l'archange le fit connaître au monde, quand il la salua en ces termes : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. Ce n'est donc pas pour elle-même que Marie a trouvé la grâce dont elle fut toujours remplie ; pour qui donc ? Pour ceux qui l'avaient perdue, pour les pécheurs, répond le cardinal Hugues ; et, commentant les paroles de saint Gabriel, le pieux auteur ajoute : Qu'ils courent donc à Marie, les pécheurs qui ont perdu la grâce, et ils la trouveront sans faute auprès d'elle ; qu'ils lui disent avec assurance : Auguste Dame, une chose trouvée doit être restituée à qui l'a perdue ; vous devez donc nous rendre la grâce. Richard de Saint-Laurent développe la même pensée et conclut ainsi : Si donc nous désirons trouver la grâce du Seigneur, allons à Marie, qui l'a trouvée et qui la trouve toujours ; comme elle fut et sera toujours chère à Dieu, notre confiance en elle ne saurait être frustrée.
La sainte Vierge dit dans les Cantiques, que Dieu l'a placée en ce monde pour être notre défense, et qu'il l'a établie Médiatrice de paix entre lui et les pécheurs : Je suis un mur et mon sein est un asile assuré comme une forte tour, depuis qu'il m'a faite entremetteuse de la paix. Saint Bernard s'appuie sur ces paroles pour relever le courage du pécheur : Va, dit-il, va, pauvre pécheur, à cette Mère de miséricorde, et montre-lui les plaies que tes fautes ont laissées dans ton âme ; elle ne manquera pas de solliciter ton pardon auprès de son divin Fils, en lui rappelant qu'elle l'a nourri de son lait ; et ce Fils qui l'aime si tendrement, ne manquera pas de l'exaucer. -- Et la sainte Église elle-même nous met sur les lèvres une oraison où elle prie le Seigneur de nous accorder la faveur d'être aidés par la puissance secourable des prières de Marie à sortir du péché : O Dieu miséricordieux, venez en aide à notre fragilité, afin que, célébrant la mémoire de la sainte Mère de Dieu, nous puissions avec l'appui de son intercession, nous relever de nos iniquités.
Ainsi donc saint Laurent Justinen a raison d'appeler Marie l'Espérance des coupables, puisque seule elle leur obtient de Dieu le pardon de leurs fautes. Saint Bernard fait bien de lui décerner le titre d'Échelle des pécheurs, puisque cette Reine compatissante leur tend une main secourable, les retire de l'abîme où ils sont misérablement tombés, et les fait remonter à Dieu. Et saint Augustin n'a pas tort de la proclamer notre unique Espérance, puisque c'est par elle seule que nous espérons la rémission de tous nos péchés. Saint Jean Chrysostôme ne parle pas autrement que l'illustre évêque d'Hippone : Par elle, dit-il, nous obtenons le pardon de nos péchés. Et, plein de confiance en sa médiation, il lui adresse cette prière au nom de tous les pécheurs : Nous vous saluons, ô Mère de Dieu et notre Mère, Ciel où Dieu réside, Trône du haut duquel le Seigneur dispense toutes ses grâces ! priez sans cesse Jésus pour nous, afin que, par votre entremise, nous puissions trouver miséricorde au jour du jugement, et partager la gloire des élus dans l'éternité.
C'est avec raison, enfin, comme le remarque Innocent III, que Marie est comparée à l'aurore dans ce passage du Cantique : Quelle est celle-ci qui s'avance comme une aurore naissante ? Car la naissance de Marie mit fin au règne des cives, comme l'aurore met fin aux ombres de la nuit. Ainsi parle ce pontife. Or, le changement opéré autrefois dans le monde par cette bienheureuse naissance, se reproduit dans toute âme où naît la dévotion à Marie : elle en bannit les ténèbres du péché et guide ses pas dans la voie des vertus. De là l'exclamation de saint Germain : O Mère de Dieu, votre protection nous donne l'immortalité ; votre intercession, c'est la vie. Le même saint assure que le nom de Marie, dans la bouche de celui qui le prononce avec affection, est le signe de la vie, ou du moins le présage d'un prompt retour à la vie.
Sur les paroles du Cantique de Marie : Voici qu'à parti de ce moment toutes les nations m'appelleront bienheureuse, saint Bernard s'écrie : Oui, ô ma Souveraine, vous serez proclamée bienheureuse par tous les hommes, parce que votre intercession assure à tous vos serviteurs la vie de la grâce et la gloire céleste. En vous les pécheurs trouvent le pardon, les justes la persévRrance, et ensuite la vie éternelle. -- Ne perds donc pas confiance, ô pécheur, dit le pieux Bernardin de Bustis ; ne te décourage point, quand même tu te serais souillé de toutes les iniquités, mais recours avec assurance à cette glorieuse Reine ; tu la trouveras toujours les mains pleine de miséricorde, et plus désireuse de te combler de ses dons, que toi-même de les recevoir.
Un titre encore qui convient à Marie, selon saint André de Crète, c'est celui de Caution ou de Gage de notre réconciliation avec Dieu. Et, en effet, quand les pécheurs s'adressent à Marie, pour être réconciliés avec Dieu, non content de leur promettre leur pardon, Dieu leur en donne même un gage ; et ce gage n'est autre que Marie elle-même qu'il nous a donnée pour Avocate : tout pécheur qui se réfugie auprès d'elle, obtient par son entremise le pardon de ses fautes en vertu des mérites de Jésus-Christ. D'après la révélation faite par un ange à sainte Brigitte, les prophètes étaient ravis de joie dans la prévision que, fléchi par l'humilité et la pureté de Marie, Dieu allait faire grâce aux pécheurs, et recevoir dans son amitié ceux qui auraient provoqué sa colère.
Aucun pécheur ne doit jamais craindre d'être repoussé par Marie, quand il implore sa pitié ; non, car elle est une Mère de miséricorde, et, à ce titre, elle désire sauver les plus misérables. Marie est pour nous une Arche du salut, dit saint Bernard ; quiconque s'y réfugie, échappera au naufrage de la damnation éternelle. Dans l'arche de Noé les brutes même furent à couvert des eaux du déluge ; sous le manteau de Marie, les pécheurs même trouvent le salut. Sainte Gertrude vit un jour cette clémente Reine qui tenait son manteau ouvert : une multitude de lions, d'ours, de tigres et d'autres bêtes féroces, s'y étaient réfugiés ; et, bien loin de les chasser, Marie les retenait autour d'elle et les caressait doucement. Cet emblême apprit à la sainte que Marie ne repousse pas les pécheurs, si enfoncés soient-ils dans la fange du vice, mais qu'elle les accueuille avec tendresse et les met à l'abri de la mort éternelle. Entrons donc dans cette Arche, courons nous réfugier sous le manteau de Marie ; elle se gardera bien de nous rejeter, elle nous sauvera infailliblement.
Le père Bovio raconte l'admirable conversion d'une femme de mauvaise vie nommée Hélène. Étant entrée un jour sans intention dans une église, et y ayant entendu un sermon sur la dévotion du Rosaire, elle avait fait l'emplette d'un chapelet en retournant chez elle ; mais le tenait caché par respect humain. Elle se mit néanmoins à le réciter ; et, quoique ce fût d'abord sans décotion, la très sainte Vierge lui fit goûter tant de consolations et de douceurs dans cet exercice, qu'elle ne pouvait plus s'en détacher. Elle conçut en même temps une vive horreur de ses désordres, au point d'un predre le repos, et elle se vit ainsi comme forcée d'aller se confesser ; ce qu'elle fit avec tant de contrition, que le confesseur en était étonné. Après sa confession, elle alla se prosterner au pied d'un autel de Marie, pour remercier son Avocate ; elle y récita le Rosaire, et la Mère de Dieu, faisant parler la statue, lui dit : Hélène, tu assez offensé Dieu et moi ; désormais change de conduite et tu auras une bonne part dans mes faveurs. La pauvre pécheresse toute confuse, répondit : Ah ! Vierge sainte, il est vrai que jusqu'ici j'ai été une scélérate, mais vous qui pouvez tout, aidez-moi ; je me donne à vous, et je veux employer le reste de ma vie à faire pénitence de mes péchés.
Avec le secours de Marie, Hélène distribua aux pauvres tout ce qu'elle possédait, et se livra à une pénitence rigoureuse. Elle éprouva de terribles tentations, mais, sans faire autre chose que de se recommander à la Mère de Dieu, elle remportait toujours la victoire. Elle alla jusqu'à recevoir beaucoup de grâces surnaturelles, telles que visions, révélations, don de prophétie. Enfin, à sa mort, qui lui fut annoncée par Marie plusieurs jours d'avance, la bienheureuse Vierge vint la visiter elle-même avec son divin Fils ; et, lorsque cette pécheresse expira, on vit son âme, sous la forme d'une belle colombe, s'envoler aux cieux.
Voici, ô Mère de mon Dieu, mon unique espérance, Marie ! voici à vos pieds un malheureux pécheur qui implore votre pitié. Toute l'Église et tous les fidèles vous proclament le Refuge des pécheurs ; vous êtes donc mon refuge, c'est à vous de me sauver. Vous savez, vous dirai-je avec Guillaume de Paris, combien votre divin Fils désire notre salut. Vous savez ce que Jésus-Christ a souffert pour me sauver ; ô ma Mère, je vous présente les souffrances de Jésus : le froid qu'il endura dans l'étable de Bethléem, les pas qu'il fit dans le voyage d'Égypte, ses fatigues, ses sueurs, le sang qu'il répandit, la douleur qui le fit expirer à vos yeux sur la croix. Montrez, en me secourant, que vous aimez ce Fils adorable, puisque c'est au nom de votre amour pour lui que je vous prie de me secourir. Tendez la main à un malheureux qui est tombé, et qui vous supplie d'avoir pitié de lui.
Si j'étais un saint, je ne vous demanderais pas miséricorde ; mais parce que je suis un pécheur, j'ai recours à vous, qui êtes la Mère des miséricordes. Je sais que votre coeur compatissant trouve sa consolation à aider les misérables, quand leur obstination ne vous empêche pas de les aider ; consolez donc votre coeur compatissant et consolez-moi, aujourd'hui que vous avez occasion de sauver un malheureux condamné à l'enfer, aujourd'hui que vous pouvez m'aider, puisque je ne veux pas être obstiné. Je me remets entre vos mains : dites-moi ce que j'ai à faire, et obtenez-moi la force de l'exécuter ; je suis résolu de faire tout ce qui est en mon pouvoir, pour rentrer dans l'amitié de Dieu.
Je me réfugie sous votre manteau ; Jésus veut que j'aie recours à vous ; il veut que, pour votre gloire et pour la sienne, puisque vous êtes ma Mère, je sois redevable de mon salut, non seulement à son sang, mais encore à vos prières. C'est lui qui m'envoie auprès de vous, pour que vous me secouriez. O Marie, me voici, je recours à vous, et je mets en vous ma confiance ; vous qui priez pour tant d'autres, priez aussi, dites au moins une parole pour moi ; dites à Dieu que vous voulez mon salut, et Dieu me sauvera certainement ; dites-lui que je suis à vous, je ne vous demande pas autres chose.
La persévérance finale est un don de Dieu, don si excellent, que, comme l'a déclaré le Concile de Trente, il est purement gratuit, nous ne saurions le mériter ; néanmoins, selon l'enseignement de saint Augustin ; Dieu l'accorde à tous ceux qui le lui demandent ; et, suivant le Père Suarez, on l'obtient infailliblement si l'on a soin de le solliciter jusqu'à la fin de la vie ; car, dit Bellarmin, la persévérance doit être demandée tous les jours, pour être obtenue tous les jours. Or, s'il est vrai, dis-je, que toutes les grâces qui nous viennent de Dieu, passent par les mains de Marie, il sera également vrai que nous ne pouvons espérer et obtenir la grâce suprême de la persévérance, si ce n'est par l'entremise de Marie. Et nous l'obtiendrons indibutablement, si nous la lui demandons toujours avec confiance ; c'est la récompense qu'elle promet à tous ceux qui la servent fidèlement en cette vie : Ceux qui me glorifient auront la vie éternelle. Ces paroles lui sont appliquées par la sainte Église.
Pour conserver la vie de grâce, il faut que nous ayons la force de résister à tous les ennemis de notre salut ; or, cette force ne s'obtient que par le moyen de Marie ; Le don de force est entre mes mains, dit Marie ; Dieu me l'a remis afin que je le dispense à mes serviteurs. Par moi règnent les rois ; soutenus par moi, mes dévots règnent sur la terre, en commandant à tous leurs sens et à toutes leurs passions, et ils se rendent ainsi dignes de régner éternellement dans le ciel. Oh ! de quelle force victorieuse sont revêtus les sujets de cette grande Reine pour leurs luttes avec l'enfer ! A Marie convient ce passage des cantiques : Votre cou est comme la tour de David, munie de travaux avancés, et où l'on voit suspendus mille boucliers et toute l'armure des vaillants. Pour ceux qui l'aiment et qui l'invoquent dans le combat, elle est en effet pareille à une tour environnée de puissants moyens de défense ; ils trouvent en elle tous les boucliers et toutes les armes dont ils ont besoin pour repousser les attaques de Satan.
Pour la même raison, la très sainte Vierge se dit semblable au platane qui s'élève le long de la route, au bord d'un courant d'eau. Le platane est un nouvel emblême de la protection dont Marie favorice ceux qui se réfugient auprès d'elle ; car, selon la remarque du cardinal Hughes, cet arbre a des feuilles en forme de boucliers. Le bienheureux Amédée donne une autre explication : comme le feuillage du platane mes les voyageurs à couvert du soleil et de la pluie, ainsi, dit-il, Marie nous offre sous son manteau royal un abri contre l'ardeur des passions et la violence des tentations.
Malheur aux âmes qui se privent de cet abri salutaire, en négligeant d'honorer Marie et de l'invoquer dans les occasions dangereuses ! Si le soleil cessait de paraître, dit saint Bernard, que deviendrait le monde, sinon un chaos de ténèbres, et de ces ténèbres dont l'Esprit Saint dit qu'elles permettent aux bêtes sauvages de rôder en toute liberté. Dès qu'une âme n'est plus éclairée de la divine lumière, la nuit s'y fait et elle devient le repaire de tous les péchés et des démons. De là ce cri de saint Anselme : "Malheur à ceux qui méprisent la lumière du Soleil," c'est-à-dire la dévotion envers Marie !
Saint François de Borgia craignait avec raison pour la persévérance de ceux en qui il ne trouvait pas une dévotion particulière envers la bienheureuse Vierge. S'entretenant un jour avec des novices, il oulut savoir d'eux à quel saint chacun était surtout dévot, et, s'apercevant que quelques-uns manquaient cette dévotion spéciale à Marie, il avertit le maître des novices de surveiller plus attentivement ces pauvres jeunes gens ; or, qu'arriva-t-il ? tous perdirent malheureusement leur vocation et quittèrent l'institut.
Ce n'est donc pas à tort que saint Germain proclame Marie la Respiration des chrétiens ; en effet, comme le corps ne peut vivre sans respirer, de même l'âme ne peut vivre sans recurir et se recommander à cette divine Mère, par le moyen de qui nous naissons à la vie de grâce et nous la conservons sûrement. Voici les propres termes du saint : "De même que la respiration n'est pas seulement le signe mais encore la cause de la vie corporelle ; ainsi le nom de Marie, que les serviteurs de Dieu ont sans cesse sur les lèvres, est tout à la fois une preuve qu'ils ont la vie spirituelle, et un moyen qui produit et conserve en eux cette vie, et leur attire toutes sortes de biens."
Alain de la Roche pensa un jour se perdre, faute de s'être recommandé à Marie dans une violente tentation ; mais la Sainte Vierge lui apparut, et, afin qu'un autre fois il se tînt mieux sur ses gardes, elle lui donna un soufflet, en lui disant : "Si tu m'avais invoquée, tu ne te serais pas trouvé dans ce péril."
D'autre par, la Reine du Ciel nous adresse ces paroles : Heureux celui qui écoute ma voix, et qui a soin de venir sans cesse frapper à la porte de ma miséricorde, et réclamer de moi lumière et secours ! -- Marie s'emploie de grand coeur à procurer à ceux qui l'invoquent ainsi tous les secours nécessaires pour sortir du vice et marcher dans la voie de la vertu. De là les beaux titres de Lune, d'Aurore et de Soleil que lui donne Innocent III. Lune pour le malheureux plongré dans la nuit du péché, elle lui fait voir l'état de damnation où il se trouve. Aurore, c'est-à-dire, avant-courrière du soleil, pour l'âme qui se reconnaît déjà, elle l'aide à sortir du péché et à entrer dans l'amitié de Dieu. Soleil, enfin, pour l'âme en état de grâce, elle l'empêche de tomber de nouveau dans quelque précipice.
Les docteurs appliquent à Marie les paroles de l'Ecclésiastique : Ses liens sont des liens salutaires. -- La sainte Vierge lie ses serviteurs par ses exemples et ses secours, dit Richard de Saint-Laurent, de peur qu'ils n'aillent s'égarer dans les voies du vice. Saint Bonaventure explique dans le même sens cet autre texte, qu'on lit dans l'office de Marie : Je me tiens au milieu des saints. La divine Mère, dit-il, ne se tient pas seulement au milieu des saints, mais elle maintient les saints, afin qu'ils ne retournent pas en arrière ; elle soutient leurs vertus, afin qu'ils ne viennent pas à défaillir ; et elle contient les démons, afin qu'ils n'en reçoivent aucun dommage.
Il est dit des serviteurs de Marie, qu'ils sont couvers d'un double vêtement. Selon Cornelius, cela signifie que Marie orne ses fidèles serviteurs des vertus de son divin Fils et des siennes propres ; et, protégés par ce double vêtement, ils conservent la sainte persévérance.
Aussi saint Philippe de Nérie ne se laissait pas de répéter à ses pénitents : "Mes enfants, si vous désirez la persévérance, soyez dévots à la sainte Vierge." Le saint frère Jean Berchmans, de la Compagnie de Jésus, disait pareillement : "Celui qui aime Marie, aura la persévérance." Ici vient à propos la belle réflexion de Rupert sur la parabole de l'Enfant prodigue. Si ce jeune étourdi eût eu encore sa mère, dit-il, ou bien il n'aurait jamais quitté la maison paternelle, ou bien il y serait revenu beaucoup plus tôt. La pensée du pieux abbé est qu'un enfant de Marie ne s'éloigne jamais de Dieu, ou du moins ne tarde pas à être ramené par elle, si par malheur il vient à s'en éloigner.
Ah ! si tous les hommes aimaient cette Reine pleine de clémence et de tendresse, et si, dans les tentations, ils avaient toujours et aussitôt recours à elle, en verrait -- on jamais faire une chute ? en verrait -- un seul se perdre ? Celui-là tombe et se perd, qui ne recourt point à Marie. On lit au livre de l'Ecclésiastique : J'ai marché sur les flots de la mer ; ces mots, Richard de Saint-Laurent les applique à la Vierge et les commente ainsi : Je marche avec mes serviteurs au milieu des tempêtes qui viennent les assaillir ; je les environne de ma protection et les empêche d'être engouffrés dans l'abîme du péché.
Voici un trait raconté par le père Bernardin de Bustis. Un oiseau avait été dressé à dire : Ave Maria ; se voyant poursuivi par un épervier, il cria : Ave Maria ! et l'épervier tomba mort. -- Le Seigneur a voulu nous montrer par cet exemple, que, si un pauvre animal a pu être sauvé en prononçant le nom de Marie, à plus forte raison tout homme échappera-t-il aux mains du démon qui l'attaque, s'il a soin d'invoquer ce nom béni. Ainsi, dit saint Thomas de Villeneuve, lorsque les démons viennent nous tenter, nous n'avons qu'à imiter les poussins effrayés à la vue du mlan : de même qu'ils courent aussitôt se réfugier sous l'aile maternelle, allons sans retard, et sans raisonner avec la tentation, nous mettre en sûreté sous le manteau de Marie. Car c'est à vous, ô notre Reine et notre Mère, continue le même, c'est à vous de nous défendre ; car, après Dieu, nous n'avons pas d'autre refuge que vous ; vous êtes notre unique espérance, la seule protectrice en qui nous mettons notre confiance.
Concluons par ces paroles de saint Bernard : O vous, qui comprenez que, dans le tourbillon de ce siècle, vous naviguez sur une mer agitée par la tempête, plutôt que vous ne marchez sur la terre ferme, voulez-vous ne pas être submergé par les vents contraires ? gardez-vous de détourner les yeux de cette brillante Étoile. Etes-vous en danger de tomber dans le péché, pressé par de fâcheuses tentations, ou bien, dans vos doutes, ne savez-vous que résoudre ? regardez l'Étoile, pensez que Marie est assez puissante pour vous secourir, invoquez-la sans retard. Que son Nom puissant soit toujours dans votre coeur par la confiance, et sur vos lèvres par la fidélité à l'invoquer. En suivant Marie, vous ne sauriez vous écarter de la voie du salut ; pourvu que vous ayez soin de vous recommander à elle, vous ne tomberez point ; si elle vous protège, vous n'avez pas à craindre de vous perdre ; si elle vous guide, vous vous sauverez sans peine. En un mot, si Marie vous prend sous sa défense, vous arriverez certainement au royaume des Bienheureux. Faites ainsi et vous vivrez.
C'est une histoire célèbre que celle de sainte Marie d'Égypte, rapportée dans la Vie des Pères. A l'âge de douze ans, elle s'enfuit de la maison paternelle et se rendit à Alexandrie, où sa conduite devint le scandale de toute la ville. Après seize années de désordres, elle alla, courant le monde, jusqu'à Jérusalem, où l'on célébrait alors la fête de la Sainte Croix, et voulut, elle aussi, entrer dans l'Église, plus par curiosité que par dévotion ; mais, en arrivant à la porte, elle se sentit repoussée en arrière par une force invisible ; elle essaya une seconde fois d'entrer et fut encore repoussée ; une troisième et une quatrième tentative qu'elle fit, n'eurent pas plus de succès. S'étant alors retirée dans un coin du parvis, la malheureuse comprit, à l'aide d'une lumière céleste, qu'en punitions de sa mauvaise vie, Dieu la rejetait, et de sa présence et même de son temple.
Elle en était là quand, levant les yeux, elle aperçut pour son bonheur une peinture représentant la sainte Vierge ; elle s'adressa à cette Reine du ciel et lui dit, d'une voix entrecoupée de sanglots : "O Mère de Dieu, prenez pitié d'une pauvre pécheresse. Mes crimes me rendent indigne du moindre de vos regards, je le reconnais ; mais vous êtes le refuge des pécheurs ; pour l'amour de Jésus, votre Fils, assistez-moi ; faites que je puisse entrer dans l'église, car je suis résolue de changer de vie et d'aller faire pénitence en tel lieu qu'il vous plaira de m'indiquer." Une voix qu'elle prit pour celle de la bienheureuse Vierge, lui répondit au fond du coeur : "Eh bien ! puisque tu recours à moi, et que tu veux changer de vie, entre dans l'église, la porte n'en sera plus fermée pour toi." La pécheresse entre, et adore la Croix avec les sentiments de la plus vive componction. Elle retourne ensuite devant l'image de Marie : "Ma Reine, dit-elle, me voici, prête à vous obéir ; où voulez-vous que je me retire pour faire pénitence ? "-- Va, lui répondit la sainte Vierge, passe le Jourdain, et tu trouveras le lieu de ton repos." Elle se confessa, communia, passa le fleuve et arriva au désert, et comprit que c'était là le lieu de sa pénitence.
Pendant les dix-sept premières années que la saint vécut dans la solitude, quels assauts ne lui livrèrent pas les démons pour la faire retomber ! Et que fasait-elle alors ? pas autre chose que de se recommander à Marie ; et Marie lui obtint la force de résister pendant ces dix-sept années ; après quoi, ses combats cessèrent. Enfin, après avoir passé quarante-sept ans dans le désert, et se trouvent parvenue à la soixante-dix-septième année de son âge, elle fut découverte par l'abbé Zozime, que la Providence conduit en ce lieu. Elle lui raconta toute sa vie, et le pria de revenir l'année suivante pour lui apporter la sainte communion. L'abbé revint selon son désir, et la communia. Ensuite, la sainte lui renouvela sa prière de la visiter encore une fois. Zozime le fit, et il la trouva morte. Son corps était environné de lumière, et près de sa tête étaient tracés ces mots : "Ensevelissez ici le corps d'une misérable pécheresse que je suis, et priez Dieu pour moi." Le saint abbé la descendit dans une fosse qu'un lion vint creuser ; et, de retour au monastère, il racomta les merveilles de la divine miséricorde envers cette heureuse pénitente.
O Vierge sainte, Mère de miséricorde ! voici à vos pieds le perfide qui, payant d'ingratitude les grâces qu'il a reçues de Dieu par votre intercession, a trahi Dieu et vous. Mais sachez-le, ô douce Reine ! loin de diminuer ma confiance en vous, ma misère ne fait que l'augmenter ; car je vois qu'elle redouble votre compassion envers moi. Faites connaître, ô Marie, que, pour moi comme pour tous ceux qui vous invoquent, vous êtes pleine de bonté et de miséricorde. Je ne réclame de vous qu'un regard de compassion : si votre coeur a compassion de moi, il ne saura refuser de me protéger ; et, si vous me protégez, qu'ai-je à craindre ? Non, je ne craindrai rien : je ne craindrai pas mes péchés, puisque vous pouvez réparer le mal que j'ai fait ; je ne craindrai pas les démons, puisque vous êtes plus puissante que l'enfer ; je ne craindrai même pas la juste indignation de votre divin Fils, puisqu'une seule de vos paroles suffit pour l'apaiser.
Je me trompe, il me reste une crainte : je pourrais, au moment de la tentation, faire la faute de ne pas recourir à vous, et ce serait ma perte. Mais je suis résolu de ne jamais cesser de me recommander à vous, je vous en fais aujourd'hui la promesse, aidez-moi à la tenir. Voyez quelle belle occasion pour vous de contenter votre coeur en faisant le bonheur d'un misérable tel que je suis. O Mère de Dieu, j'ai une grande confiance en vous. J'attends de vous la grâce de pleurer mes péchés comme je le dois, et la force de n'y plus retomber : si je suis malade, vous pouvez me guérir ; si mes fautes m'ont rendu faible, votre secours me rendra fort. J'espère tout de vous, ô Marie, parce que vous pouvez tout auprès de Dieu. Amen.
L'ami sincère aime en tout temps ; et le frère se connaît dans l'affliction. Les vrais amis et les vrais parents ne sont pas bien connus dans les temps de prospérité, mais seulement dans la détresse et la misère. Les partisans du monde restent attachés à un ami tant que la fortune lui sourit ; mais qu'il vienne à essuyer quelque disgrâce, que surtout la mort approche, et aussitôt les amis de s'éloigner. Marie n'agit pas ainsi avec ceux qui lui sont dévoués : bonne Maîtresse et bonne Mère, elle ne saurait abandonner ses fidèles serviteurs dans leurs tribulations, surtout dans les angoisses de la mort, qui sont les plus terribles qu'on puisse éprouver ici-bas ; et, après avoir été notre Vie durant tout le temps de cet exil, elle devient notre Douceur au terme de ntore carrière, en nous ménageant une mort douce et heureuse.
En effet, depuis le jour mémorable où elle eut à la fois le bonheur et la douleur d'être présente à la mort de Jésus-Christ, son Fils, qui est le Chef des prédestinés, Marie est en possession du privilège d'assister tous les prédestinés à l'heure de la mor. C'est pourquoi l'Église nous fait prier cette bienheureuse Vierge de venir à notre secours principalement à nos derniers moments : Priez pour nous, pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort.
Bien cruelles sont les angoisses des pauvres mourants ! remords des péchés commis, incertitude du salut, tout est pour les tourmenter. En ce moment où l'âme va passer à l'éternité, l'enfer fait appel plus que jamais à toutes ses armes ; il met en jeu toutes ses forces pour s'en rendre maître ; il sait qu'il lui reste peu de temps pour la gagner, et que, s'il la perd alors, c'est pour toujours : Le diable descend vers vous plein d'une grande fureur, sachant qu'il n'a plus qu'un peu de temps. Alors, le démon qui la tentait ordinairement pendant sa vie, ne vient pas seul l'attaquer, mais il en appelle d'autres à son aide, et la maison se remplit d'esprits invernaux qui unissent leurs efforts pour la perdre : Leur demeure se remplira de dragons.
On raconte de saint André d'Avellin, qu'au temps de sa mort, dix mille démons vinrent le tenter ; ils lui livrère surtout de rudes assauts quand il fut à l'agonie ; tous les religieux présents étaient épouvantés du spectacle qui s'offrait à leurs regards. Le visage du sain se gonflait jusqu'à paraître tout noir par l'effet de son agitation intérieure ; il tremblait de tous ses membres et se débattait étrangement ; de ses yeux sortaient deux torrents de larmes, sa tête était en proie à des secousses violentes : autant d'indices de l'horrible combat qu'il soutenait contre l'enfer. Tous les assistants, émus jusqu'aux larmes, redoublaient de prières et tremblaient de crainte, en voyant un saint mourir de la sorte. On se consolait toutefois, en le voyant tourner souvent les yeux vers une pieuse image de Marie, comme pour réclamer son secours ; et on se souvenait de lui avoir entendu dire bien des fois, dans le courant de sa vie, que la sainte Vierge serait son refuge à l'heure de sa mort.
Il plut enfin au Seigneur de mettre fin à ce combat par une glorieuse victoire : les convulsions cessèrent, le visage désenflé reprit sa première couleur, et on vit le saint, tenant les yeux tranquillement fixés sur l'image, faire une dévote inclination comme pour remercier Marie, laquelle, pense-t-on, se faisait voir à lui ; après cela, il remit paisiblement son âme bénie entre les mains de la divine Mère, et ses traits prirent une expression de paix céleste. En ce moment-là même, une religieuse capucine à l'agonie, se tourna vers les soeurs qui l'assistaient, et leur dit : "Récitez l' Ave Maria ; car un saint vient de mourir."
A l'aspect de la Reine, les rebelles prennent la fuite. Si, à l'heure de la mort, nous avons Marie de notre côté, que pourrons-nous craindre de la part de tous nos ennemis infernaux ? Dans les craintes que lui inspirait la pensée de cette lutte suprême, David reprenait courage en s'appuyant sur le sacrifice du Rédempteur futur et sur l'intercession de la Vierge Marie ; Alors même, disait-il que je marcherais au sein des ombres de la mort, je ne craindrais rien... votre verge et votre bâton me rassurent. Par le mot bâton, le cardinal Hughes entend ici la croix du Sauveur : et, par le mot verge, notre Médiatrice Marie, qui fut prédite en ces termes par Isaïe : Il sortira une verge de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine. Vierge puissante, dit saint Pierre Damien, par elle sont réprimées toutes les violences des esprits infernaux. Courage donc, s'écrie saint Antonin ; car, "si Marie est vec nous, qui osera nous attaquer" ?
Quand le père Mauel Padial, jésuite, était près de mourir, Marie lui apparut, et lui adressa ces consolantes paroles : "Voici enfin le moment où les anges vont te féliciter et te dire : O heureux travaux ! O mortifiction bien récompensées "! On vit ensuite une troupe de démons qui fuyaient, en criant avec désespoir : "Hélas ! nouve ne pouvons rien ; celle qui est sans tache, le protège" ! Le Père Gaspard Hayewood fut assailli par les démons à ses derniers moments et violemment tenté contre la foi ; il se recommanda aussitôt à la sainte Vierge, et on l'entendit ensuite s'écrier : "Je vous rends grâces, ô Marie, d'être venue à mon secours" !
Selon saint Bonaventure, quand un serviteur de Marie est sur le point de mourir, elle lui envoie saint Michel et tous les anges dont il est le chef, afin qu'ils le défendent contre les attaques des démons ; elle les charge de recevoir les âmes de tous ceux qui ont eu l'heureuse habitude d'implorer avec ferveur sa maternelle protection.
Lorsqu'une âme va sortir de ce monde, l'enfer s'émeut, dit Isaïe, et il envoie les plus terribles d'entre les démons la tenter avant qu'elle quitte son corps, et l'accuser au tribunal de Jésus-Christ, quand elle s'y présentera : L'enfer s'est mis en mouvement à ton arrivée ; il suscitera contre toi des géants. Mais, si cette âme est défendue par Marie, les démons n'oseront entreprendre de l'accuser, assure Richard ; ils savent trop bien que le divin Juge n'a jamais condamné et ne condamnera jamais une âme protégée par son auguste Mère.
Dans son épître à sainte Eustochie, saint Jérôme enseigne que, non contente de secourir ses chers serviteurs au moment de leur mort, Marie vient encore à leur rencontre quand ils passent à l'autre vie, les encourage par sa douce présence, et les accompagne au tribunal suprême : "Quel jour que celui où Marie, Mère du Seigneur, viendra au devant de vous, suivie du choeur des vierges" ! et cela est conforme à ce que la bienheureuse Vierge a dit elle-même à sainte Brigitte, touchant ses serviteurs à leurs derniers moments : "Moi, leur Maîtresse bien-aimée et leur Mère, j'irai à leur rencontre quand ils seront pour mourir, afin que, dans la mort même, ils trouvent consolation et soulagement."
Saint Vincent Ferrier ajoute qu'elle reçoit leurs âmes. Oui, cette Reine pleine de tendresse les reçoit en quelque sorte dans les plis de son manteau, et les présente elle-même à leur Juge, qui est son Fils ; et ainsi elle leur obtient infailliblement la grâce du salut. Tel fut, par exemple, le bonheur de Charles, fils de sainte Brigitte : comme il était mort dans le périlleux métier des armes et loin de sa mère, la sainte craignait pour son salut, mais la bienheureuse Vierge lui révéla que Charles était sauvé , grâce à son amour pour elle. Elle-même, ajouta-t-elle, l'avait assisté dans ses derniers moments, et lui avait suggéré les actes que tout chrétien doit faire en cette circonstance. Sainte Brigitte vit en même temps Jésus-Christ sur un trône, et le démon qui portait deux accusations contre la divine Mère. En premier lieu, disait-il, elle m'a empêché de tenter Charles au moment de sa mort ; en second lie, elle a présenté elle-même au jugement l'âme de ce soldat, et l'a ainsi sauvée, sans même me permettre d'exposer les droits que je prétends avoir sur cette âme. La sainte vit ensuite le démon reoussé par le divin Juge, et l'âme de Charles porté au ciel.
Oh ! quel bonheur pour vous, mon cher frère, si à la mort, vous vous trouvez attaché à la Mère de Dieu par les douces chaîne de l'amour ! Ses chaînes sont des chaînes de salut, c'est-à-dire qu'elles vous assurent le salut éternel. Elles vous feront goûter à la mort une heureuse paix, qui sera pour vous le commencement d'un repos et d'un bonheur sans fin. -- Le Père Binet rapporte qu'un pieux serviteur de Marie disait en mourant : "Si vous saviez quel contentement on sent en son âme, au moment de la mort, d'avoir essayé de bien servir la très sainte Mère de Dieu durant le cours de sa vie, vous en seriez étonné et consolé ; je ne saurai dire la joie que je ressens en mon coeur à l'heure que vous me voyez." -- Ainsi mourut également le Père Suarez, si dévot envers la sainte Vierge qu'il aurait donné toute sa science, disait-il, pour le mérite d'un seul Ave Maria ; il déclara au moment d'expirer, qu'avant d'en avoir fait l'expérienve, il ne se serait jamais imaginé que la mort pût être si douce.
Tel sera sans doute aussi votre contentement, pieux lecteur, telle sera votre joie au moment de la mort, si vous pouvez vous rendre alors le témoignange d'avoir aimé cette bonne Mère, toujours fidèle à récompenser ceux de ses enfants qui ont été fidèles à la servir et à l'honorer par des visites, par la récitation du rosaire, par des jeûnes, et surtout à la remercier, à la louer, et à implorer souvent sa puissante protection. Vous ne serez même pas privé de cette consolation pour avoir vécu un temps dans le péché, si désormais vous tâchez de vous bien conduire et de servir fidèlement cette Reine si clémente et si généreuse ; dans les angoisses de votre dernière heure, et dans les tentations par où le démon cherchera à vous jeter dans le désespoir, elle vous fortifiera et portera la bonté jusqu'à venir elle-même vous assister au moment de votre mort.
Saint Pierre Damien raconte qu'un jour son frère Martin, ayant eu le malheur d'offenser Dieu, se rendit devant un autel de Marie pour se consacrer à elle en qualité d'esclave ; en signe de quoi, il se passa sa ceinture autour du cou, et parla ainsi : "O ma Souveraine, Miroir de pureté ! je suis un pauvre pécheur, j'ai offensé mon Dieu et vous, en blessant la chasteté ; je ne puis mieux réparer ma faute qu'en m'offrant à vous pour esclave ; me voici donc à vos pieds, recevez-moi, tout rebelle que je suis, ne me rejetez pas." Ensuite, il déposa sur le marchepied de l'autel une certaine somme d'argent, qu'il promit de payer chaque année comme esclave tributaire de Marie. Quand il fut près de mourir, on l'entendit un matin qui s'écriait : "Levez-vous ; saluez ma Souveraine" ! Puis, il ajouta : "O Reine du ciel ! quelle est votre bonté de daigner visiter ce pauvre serviteur ! De grâce, bénissez-moi, ma Souveraine, et ne permettez pas que je me perde, après que vous m'avez honoré de votre présence." Pierre étant alors arrivé, Martin lui raconta comment la sainte Vierge l'avait visité et béni, se plaignant de ce que les assistants ne s'étaient pas levés en présence de la Mère de Dieu. Peu après, il passa doucement dans le sein du Seigneur.
Oui, mon cher lecteur, telle aussi sera votre mort, si vous êtes fidèles à Marie ; eussiez-vous d'ailleurs offensé Dieu dans le passé, elle ne laissera pas de faire que votre fin soit douce et heureuse. Et si alors, une crainte excessive au souvenir de vos péchés d'autrefois, ébranle votre confiance, elle viendra elle-même soutenir votre courage. Ainsi fit-elle pour Adolphe, comte d'Alsace, dont l'histoire se lit aux chroniques des Frères Mineurs. Ce prince avait renoncé au monde pour entre dans l'ordre de Saint François, et s'y était distingué par sa dévotion à la Mère de Dieu. Sur la fin de ses jours, il se remit devant les yeux la vie qu'il avait menée dans le siècle et la rigueur des divins jugements ; ces pensées lui inspirèrent des doutes touchant son salut et une vive crainte de la mort. Mais, quand les pieux serviteurs de Marie sont dans la peine, elle ne dort pas. Escortée d'une multitude de saints, elle se présenta tout à coup au mourant , et le rassura par ses tendres paroles : Mon cher Adolphe, tu m'appartiens, tu t'es donné à moi, et tu redoutes la mort ? -- A ces mots le serviteur de Marie se sentit entièrement consolé, toutes ses craintes s'évanouirent, et il mourut au sein d'une paix profonde et d'un doux consentement.
Ayons bon courage, nous aussi, bien que pécheurs ; et si, pendant le reste de notre pélerinage ici-bas, nous servons Marie avec amour, espérons qu'elle viendra nous secourir dans les angoisses de notre mort, et nous consoler par sa présence. Notre bonne Reine en fit la promesse, un jour qu'elle s'entretenait avec sainte Mechtilde : "Tous ceux, lui dit-elle, qui me servent pieusement, peuvent compter qu'à leur heure dernière, je me ferai un devoir de me tenir à leurs côtés, comme la plus tendre des mères pour les consoler et les défendre." O Dieu ! à ce moment où nous attendrons la décision de notre éternel sort, quelle joie pour nous, de voir auprès de nous la Reine du ciel qui nous assistera et relèvera notre confiance, en nous assurant de sa protection !
C'est là une faveut dont on voit dans les livres une multitude innombrable d'exemples, outre ceux que nous avons déjà cités. Elle fut accordée à sainte Claire, à saint Félix de Cantalice, à sainte Claire de Montefalco, à sainte Thérèse, à saint Pierre d'Alcantara. Mais, pour notre commune consolation, nous en relaterons quelques autres encores. Au rapport du Père Crassetm sainte Marie d'Oignies vit un jour la bienheureuse Vierge au chevet d'une pieuse veuve de Willembroc ; elle se tenait tout à côté de la malade ; et, comme celle-ci était en proie aux brûlantes ardeurs de la fièvre, elle la consolait et la rafraîchissait à l'aide d'un éventail. Saint Jean de Dieu allait mourir et attendait la visite de Marie, à laquelle il était très dévot ; mais, ne la voyant point paraître, il en était tout triste, et peut-être même s'en plaignait-il. Tout à coup, le moment suprême arrivé, la divine Mère lui apparut, et, comme pour lui reprocher son peu de confiance, elle lui adressa ces tendres paroles, qui doivent remplir de courage tous ses serviteurs : "Cette heure est celle où jamais je ne délaisse mes serviteurs dévoués." C'est comme si elle eût dit : Mon cher Jean, que pensais-tu ? que je t'avais abandonné ? Ne sais-tu donc pas que je ne saurais abandonner mes serviteurs à l'heure de la mort ? Je ne suis pas accourue plus tôt parce que le temps n'était pas encore venu ; maintenant qu'il est arrivé, me voici prête à te prendre avec moi ; allons en paradis. -- Peu après, le saint expira, et son âme s'envola vers les cieux, pour y remercier à jamais sa très aimante Reine.
Terminons cet entretien, par l'exemple suivant, qui montre jusqu'où va la tendresse de cette bonne Mère envers ses enfants, lorsqu'ils se trouvent au lit de la mort.
Un curé avait été appelé auprès d'un homme riche qui allait mourir. Il le trouva dans une maison bien meublée, entouré des soins de ses domestiques, de ses parents et des amis ; mais il vit en même temps les démons sous forme de chiens, qui attendaient sa mort pour s'emparer de son âme ; et ils l'eurent en effet, car ce malheureux mourut dans le péché. Or, pendant que le curé était là occupé, on vint le demander de la part d'une pauvre femme, proche, elle aussi de sa fin, et qui désirait recevoir les Sacrements. Le curé ne pouvait abandonner ce riche dans un moment si critique ; il envoya à sa place un autre prêtre, qui prit le saint ciboire et partit.
Arrivé au logis de cette bonne femme, le prêtre ne vit ni domestique, ni compagnie, ni meubles précieux, parce que la malade était pauvre et n'avait guère pour lit qu'un peu de paille ; mais que voit-il ? dans la chambre, une grande lumière, et, près du lit de la mourante, la Mère de Dieu, qui la consolait, et essuyait avec un linge son front couvert des sueurs de l'agonie. A la vue de la sainte Vierge, le prêtre n'osait approcher ; mais, sur un signe qu'elle lui fit, il entra, et Marie, lui indiquant un escabeau, l'invita à s'asseoir pour entendre la confession de sa servante. Celle-ci se confessa, et, après avoir communié avec beaucoup de dévotion, elle expira heureusement entre les bras de Marie.
O ma très douce Mère, quelle sera la mort d'un pauvre pécheur tel que moi ? Dès à présent, quand je pense au moment redoutable où je devrai quitter cette vie et comparaître au tribunal de Dieu, et qu'en même temps je me rappelle avoir tant de fois écrit moi-même, par des actes pervers, la sentence de ma condamnation, je tremble, je demeure confondu, et je crains beaucoup pour mon salut éternel. O Marie, c'est dans le sang de Jésus et dans votre intercession que sont mes espérances. Vous êtes la Reine du ciel, la Maîtresse de l'univers ; vous êtes, c'est tout dire, la Mère de Dieu ! Vous êtes donc bien grande ! Mais votre grandeur ne vous éloigne pas de nous, au contraire, elle vous dispose à une plus vive compassion pour nos misères.
Les amis d'ici-bas ne se voient pas plus tôt revêtus de quelque dignité, qu'ils se tiennent sur la réserve ; ils ne daignent même plus accorder un regard à un ancien ami victime des revers dela fortune. Votre noble et tendre coeur n'est pas ainsi fait : où vous voyez plus de misère, c'est là surtout que vous portez votre assistance ; à peine invoquée, vous volez aussitôt à notre secours ; vos faveurs préviennent même nos prières ; vous nous consolez dans nos affections, vous dissipez les tempêtes, vous terrassez nos ennemis ; en un mot, vous ne laissez échapper aucune occasion de nous faire du bien. Bénie soit à jamais la divine Bonté, qui a réuni en vous tant de majesté et tant de tendresse, tant d'élévation et tant de charité ! J'en remercie sans cesse le Seigneur, et je m'en félicite moi-même, parce que je mets tout mon bonheur dans le vôtre.
O consolatrice des affligés, consolez un affligé qui se recommande à vous ; je me sens tourmenté par les remords d'une conscience chargée d'innombrables péchés ; j'ignore si je les ai pleurés comme je devais ; je vois toutes mes oeuvres pleine d'imperfections et de souillures ; l'enfer attend ma mort pour m'accuser ; la divine justice outragée veut être satisfaite. Ma Mère qu'en sera-t-il de moi ? Si vous ne venez à mon aide, je suis perdu. Dites-moi : voulez-vous me secourir ?
O Vierge compatissante, consolez-moi ; obtenez-moi une vraie douleur de mes péchés ; obtenez-moi la force de me corriger et d'être fidèle à Dieu le reste de mes jours. Et, quand je me trouverai dans les extrêmes angoisses de la mort, ô Marie, mon espérance, ne m'abandonnez pas. Assistez-moi plus que jamais à cette heure, et soutenez-moi, afin que je ne tombe pas dans le désespoir à la vue de mes fautes, que le démon me remettra sous les yeux.
Ma Reine, pardonnez ma témérité ; venez vous-même alors me consoler par votre présence. Cette grâce, vous l'avez faite à tant d'autres ; je la réclame aussi pour moi. Si ma témérité est grande, plus grande encore est votre bonté, qui va chercher les plus misérables pour les consoler ; c'est là ce qui fait ma confiance. Que votre gloire éternelle soit d'avoir sauvé de l'enfer un malheureux damné, et de l'avoir conduit dans votre royaume, où j'espère avoir un jour le bonheur de me tenir à vos pieds pour vous rendre grâces, vous bénir et vous aimer, sans cesse et sans fin. O Marie ! je vous attends, ne me privez pas cette consolation ! Fiat, fiat ! Amen, amen !
Les hérétiques modernes sont révoltés de nous entendre saluer et invoquer Marie comme notre Espérance. Spes nostra, salve ! Dieu seul, disent-ils, est notre espérance, et il maudit quiconque met son espérance dans la créature, car il est écrit : Malédiction à l'homme qui se confie en un homme. Comment donc Marie peut-elle être notre espérance, puisqu'elle est une simple créature ? Ainsi disent les hérétiques ; mais, nonobstant leurs clameurs, la sainte Église veut que, chaque jour, tous les ecclésiastiques et tous les religieux élèvent la voix vers Marie, et qu'au nom de tous les fidèles, ils l'invoquent et la saluent du nom si doux de notre Espérance, Espérance de tous les hommes : Spes nostra, salve ! "ô notre Espérance, nous vous saluons" !
Selon saint Thomas, il est deux manières de placer son espérance en une personne, selon qu'on la considère comme cause principale, ou comme cause intermédiaire, Ceux qui attendent du roi quelque faveur, l'attendent de lui comme souverain, et de son ministre ou favori comme intercesseur. Si la grâce est accordée, elle viendra principalement du roi, mais par l'intercession de son favori ; ainsi, celui qui la sollicite, a bien raison d'appeler l'intercesseur son espérance. Le Roi du ciel, en raison de sa bonté infinie, désire extrêmement nous enrichir de ses grâces ; mais pour cela la confiance est nécessaire de notre part ; voulant donc augmenter en nous cette confiance, il nous a donné pour Mère et pour Avocate sa propre Mère, et l'a investie de tout pouvoir pour nous appuyer ; il veut en conséquence que nous mettions en elle l'espoir de notre salut et de tous les biens. Ceux qui placent leur espérance dans les créatures, et d'une manière indépendante de Dieu, comme font les pécheurs, qui ne reculent pas devant l'offense de Dieu, pour gagner l'amitié ou la faveur d'un homme, ceux-là sans aucun doute sont maudits de Dieu, ainsi que le déclare le prophète. Mais ceux qui espère en Marie comme Mère de Dieu, ayant le pouvoir de leur obtenir la grâce et la gloire, sont bénis du Seigneur ; ils font ce qui est agréable à son coeur, car Dieu se plaît à voir honorer cette sublime créature, qui l'a aimé et glorifié en ce monde plus que tous les hommes et tous les anges.
C'est donc à juste titre que nous proclamons la bienheureuse Vierge notre Espérance, puisque, selon le cardinal Bellarmin, nous espérons obtenir par son intercession ce que n'obtiendraient pas nos prières seules -- Nous la prions, dit Suarez, afin que la dignité d'une telle Médiatrice supplée à notre bassesse. Or, ajoute-t-il, prier Marie avec une telle espérance, ce n'est pas témoigner que nous nous défions de la miséricorde divine, mais que nous tremblons à la pensée de notre indignité.
Ainsi, l'Église a raison d'appeler Marie, par un mot emprunté à l'Ecclésiastique, la Mère de la sainte espérance, c'est-à-dire, celle qui fait naître en nous, non la vaine espérance des biens misérables et passagers de cette vie, mais la sainte espérance des biens immenses et éternels de la vie future.
Saint Ephrem, s'adressant à la divine Mère, s'écrie : "Recevez mes hommages, ô Marie, ô l'espérance de mon âme, le slut assuré des chrétiens, le refuge des pécheurs, le rampart des fidèles et le salut du monde entier" ! -- Saint Bonaventure nous avertit qu'après Dieu, nous n'avons pas d'autre espérance que Marie. Et saint Ephrem, considérant l'ordre présent de la Providence, selon lequel Dieu a décrété, comme l'affirme saint Bernard, que tous ceux qui se sauvent, soient redevables de leur salut à l'intercession de Marie, saint Ephrem, disons-nous la prie en ces termes : O grande Reine ! ne cessez point de veiller sur nous et de nous couvrir du manteau de votre protection, car après Dieu, vous être notre seul espoir. Saint Thomas de Villeneuve proclame également Marie notre unique refuge, notre unique ressource, notre unique asile.
Tous ces beaux titres décernés à la divine Mère, saint Bernard semble vouloir les justifier quand il écrit : "Considère, ô homme, le dessein de Dieu, en vue de nous dispenser ses miséricordes avec plus d'abondance : ayant décrété le rachat du genre humain, il a remis entre les mains de Marie tout le prix de la rédemption afin qu'elle le leur distribue à son gré."
Quand Dieu commanda à Moïse de faire le propitiatoire : Tu le feras, dit-il, d'un or très pur ; c'est de là que je te parlerai et te donnerai mes ordres. Selon la remarque d'un auteur, Marie est le vrai propitiatoire d'où le Seigneur parle aux hommes, et leur accorde le pardon de leurs fautes, ses grâces, et tous ses bienfaits : "Vous êtes pour l'univers entier le propitiatoire d'où le Seigneur nous parle au coeur, rend des oracles pleins de douceur et de clémence, nous distribue ses faveurs, et répand, en un mot, tous les biens sur nous." Avant de s'incarner dans le sein de Marie, le Verbe divin lui fit demander son consentement par un archange. Pourquoi cela ? Il voulait, répond saint Irénée, que de Marie nous vinssent tous les biens, notamment l'Incarnation, qui les renferme tous. Ainsi, conclut le savant Idiot, tout ce que les hommes ont reçu ou recevront jamais de biens, de secours, de grâces, c'est pas l'intercession et par les mains de Marie que Dieu le leur a toujours accordé, et le leur accordera toujours.
O Marie, s'écrier avec raison le pieux Louis de Blois, quel sera l'insensé, le malheureux qui refusera de vous aimer, vous, si aimable et si généreuse envers ceux qui vous aiment ! Vous éclairez l'esprit de ceux qui s'adressent à vous dans leurs doutes et leurs perpléxités ; vous consolez dans leurs afflictions ceux qui se confient en vous ; vous secourez ceux qui vous invoquent dans le péril. Après votre divin Fils, vous êtes le salut assuré de vos serviteurs fidèles. Je vous salue donc, ô espérance des désespérés et secours des abandonnés ! O Marie, vous êtes toute-puissante, puisque votre Fils vous honore au point d'accomplir sans nul retard vos désirs.
A son tour, saint Germain voyait en Marie la source de tous les biens et en attendait la délivrance de tous les maux. "O ma Souveraine, lui disait-il, par la volonté de Dieu, vous êtes ma consolation, le guide de mon pèlerinage, la force de ma faiblesse, la richesse de mon indigence, le remède de mes blessures, le soulagement de mes douleurs ; vous seule pouvez briser mes chaînes, sur vous je fonde l'espoir de mon salut ; exaucez mes prières, soyez touchée de mes soupirs, ô vous, ma Maîtresse, mon refuge, ma vie, mon secours, ma force et mon espérance" !
Elle est donc pleine de justesse, l'application que fait saint Antonin à Marie, de ces mots de la Sagesse : Tous les biens me sont venus conjointement avec elle. Et, en effet, comme l'affirme ce saint, Marie étant la Mère et la Dispensatrice de tous les biens, le genre humains, et spécialement quiconque qui est attaché au service de cette grande Reine, peut se féliciter d'avoir obtenu tous les biens par le moyen de Marie et de la dévotion envers elle. De là cette affirmation absolue de l'abbé De Celles : "Qui trouve Marie, trouve tous les biens." Il trouve toutes les grâces, toutes les evertus, car, par sa puissante intercession, elle lui obtient tout ce dont il a besoin, et l'enrichit de tous les dons célestes. Elle-même nous fait savoir par la bouche du Sage, qu'elle tient entre ses mains toutes les richesses de Dieu, c'est-à-dire, les divines miséricordes, pour les distribuer à ceux dont elle est aimée. Nous devons donc, selon l'avertissement de saint Bonaventure, tenir sans cesse les yeux fixés sur les mains de cette tendre Mère, afin de recevoir par son moyen les biens que nous souhaitons.
Oh ! combien d'orgueilleux ont trouvé l'humilité dans la dévotion à Marie ! combien de colères, la mansuétude ! combien d'aveugles, la lumière ! combien de désespéré, la confiance ! combien d'âmes perdues, le salut ! Mais tout cela, n'est-il pas renfermé dans quelques mots prophétiques de Marie elle-même ? Dans le sublime cantique qu'elle chanta chez Élisabeth, n'a-t-elle pas dit : Voici que désormais toutes les nations me proclameront bienheureuse ? Ces paroles, saint Bernard les lui redit en les complétant : Oui, toutes les générations vous proclameront bienheureuse, parce qu'à toutes les générations vous avez donné la vie et la gloire ; car en vous les pécheurs trouvent le pardon, et les justes la persévérance dans la grâce de Dieu.
Le pieux Lansperge fait ainsi parler Notre-Seigneur à l'humanité entière : Pauvres enfants d'Adam, qui vivez au milieu de tant d'ennemis et parmi tant de misères, ayez soin d'honorer avec une affection particulière celle qui est ma Mère et la vôtre. Car j'ai donné Marie au monde comme le modèle dont vous puissiez apprendre à vivre saintement, et comme le refuge auquel vous puissiez recourir dans vos afflictions. Je l'ai formée moi-même de telle sorte que personne ne puisse la craindre ni avoir de répugnance à l'invoquer ; c'est pourquoi je l'ai créée avec un naturel si plein de bonté et de compassion, qu'elle ne saurait mépriser aucun de ceux qui ont recours à elle, ni refuser une faveur qu'on lui demande ; elle tient ouvert à tous le sein de sa miséricorde, et ne permet jamais qu'après s'être jeté à ses pieds, on se retire sans être consolé. -- Louée soit donc et bénie à jamais l'immense bonté de notre Dieu, qui nous a donné cette Mère, et cette Avocate si tendre et si aimante.
O Dieu ! quelle tendresse dans les sentiments de confiance que saint Bonaventure, si embrasé du divin amour, ressentait à l'égard de notre très aimant Rédempteur Jésus, et de notre très aimante Avocate Marie ! Le Seigneur m'eût-il réprouvé, disait-il, je sais qu'il ne peut se refuser à quiconque l'aime et le cherche de coeur. Je le serrerai dans les bras de mon amour, et, s'il ne me bénit, je ne le laisserai point aller ; il ne pourra se retirer, sans m'entraîner avec lui. Si je ne puis faire autre chose, je me cacherai au moins dans ses plaies ; tant que je demeurerai là, il ne pourra me trouver hors de lui. -- Enfin, ajoutait-il, si, en haine de mes péchés, mon Rédempteur me chasse loin de lui, j'irai me jeter aux pieds de sa Mère ; et là prosterné, je ne partirai point qu'elle ne m'ait obtenu mon pardon. Car cette Mère de miséricorde ne sait et n'a jamais su être insensible aux misères, ni refuser d'exaucer les misérables qui ont recours à sa protection. Ainsi, concluait le saint, si ce n'est par obligation, au moins par compassion, elle ne manquera pas d'engager son divin Fils à me pardonner.
Terminons, en disant avec Euthymius : Abaissez, ô Mère de miséricorde, abaissez vos regards miséricordieux sur nous, qui sommes vos serviteurs, et qui avons mis en vous toute notre espérance.
On lit dans le Trésir du Rosaire, qu'un gentil homme, animé d'une grande dévotion envers la Mère de Dieu, s'était fait dans sa maison un pieux oratoire où il allait souvent prier devant une belle image de Marie, non seulement pendant le jour, mais encore pendant la nuit, interrompant son repos pour honorer ainsi sa Reine bien-aimée. Or, son épouse, personne du reste de beaucoup de piété, observant qu'il se levait dans le plus profond silence de la nuit, sortait de la chambre, et ne revenait qu'au bout d'un temps considérable, conçut malheureusement de mauvais soupçons. Tourmentée par cette cruelle épine, elle hasarda un jour de demander à son mari s'il aimait une autre femme qu'elle. Il lui répondit en souriant : "Sache que j'aime la dame la plus aimable du monde. Je lui ai donné tout mon coeur, et je mourrais plutôt que de cesser de l'aimer. Si tu la connaissais davantage, tu me dirais toi-même de l'aimer davantage."
Il entendait parler de la Sainte Vierge, qu'il aimait d'un amour si tendre ; mais la pauvre femme, ne faisant que tomber dans une plus grande inquiétude, voulut s'assurer de la vérité et l'interrogea de nouveau, afin de savoir si c'était pour aller trouver cette dame qu'il se levait la nuit et sortait de l'appartement. Le gentilhomme, qui ne connaissait pas la violente agitation de son épouse, répondit que oui. Ainsi persuadée d'une chose qui n'était pas, et aveuglée par la passion, que fit alors cette malheureuse ? Une nuit que son mari était sorti de sa chambre à l'ordinaire, de désespoir, elle prit un couteau et se coupa la gorge ; peu après, elle expira.
Le mari, ayant accompli sa dévotion, retourne dans l'appartement, va pour se remettre au lit, et le trouve tout trempé ; il appelle sa femme, et elle ne répond point ; il la secoue de la main, et elle reste insensible. A la fin, ayant pris de la lumière, il voit le lit plein de sang et son épouse étendue morte. Il comprit alors qu'elle s'était tuée dans un accès de jalous, et que fit-il ? Il ferma la chambre à clef, et revint à la chapelle, se prosterna devant la sainte Vierge, et là, pleurant à chaudes larmes, il se mit à dire : "Ma Mère ! voyez dans quelle affliction je me trouve ; si vous ne me consolez, à qui dois-je recourir ? Songez que c'est pour être venu ici vous honorer, que j'ai le malheur de voir mon épouse morte et damnée. Ma Mère ! vous le pouvez, ah ! réparez ce malheur." Lorsqu'on invoque avec conviance cette Mère de Miséricorde, on en obtient tout ce qu'on veut. A peine le gentilhomme a-t-il fini sa prière, qu'il entend une servante lui dire : "Monsieur, veuillez retourner à votre chambre ; Madame vous demande." Mais, dans l'excès de sa joie, il n'ose croire cette heureuse nouvelle : "Allez voir," répond-il, "s'il est bien vrai qu'elle me demande." -- "Oui, dit la servante au retour, "venez vite ; Madame vous attend."
Il va, ouvre la chambre, et voit son épouse pleine de vie, qui, se jetant à ses pieds, les arrose de ses larmes et le prie de lui pardonner, en disant : "Ah ! mon fidèle époux ! grâce à vos prières, la Mère de Dieu m'a délivrée de l'enfer" ! Alors tous deux, pleurant de joie, se rendirent à l'oratoire pour remercier la bienheureuse Vierge. Le lendemain, le mari invita tous ses parents à un festin, et leur fit raconter le fait par sa femme elle-même ; celle-ci leur montra la marque de sa blessure, qui était encore visible ; et toute la famille conçut pour la divine Mère des sentiments de confiance plus vifs que jamais.
O Mère du saint amour, notre vie, notre refuge, et notre espérance ! vous savez que Jésus-Christ, votre Fils, non content de se faire notre perpétuel avocat auprès de son Père, veut en outre que vous intercédiez auprès de lui-même pour nous obtenir les divines miséricordes. Il a décrété que vos prières nous aideraient à nous sauver, et il leur a donné tant de force qu'elles sont toujours exaucées. C'est donc à vous, ô espérance des malheureux, c'est à vous que je m'adresse, moi misérable pécheur ; j'espère que, par les mérites de Jésus-Christ et par votre intercession, je ferai mon salut. Telle est ma confiance, et elle va si loin que, si mon salut éternel était entre mes mains, je le remettrais dans les vôtres ; car je me fie plus en votre miséricorde et en votre protection que dans toutes mes oeuvres. Ma Mère et mon espérance, ne m'abandonnez pas, comme je le mériterais ; considérez ma misère, et laissez-vous toucher de ma compassion ; secourez-moi et sauvez-moi. Bien des fois, je le confesse, mes péchés ont fermé la porte aux lumières et aux secours que vous m'avez obtenu de Dieu ; mais votre compassion pour les misérables et votre pouvoir auprès du Seigneur surpassent le nombre et la malice de mes iniquités. C'est une chose connue du ciel et de la terre que celui que vous protégez ne saurait se perdre. Que je sois donc oublié de toutes les créatures, mais non de vous, ô Mère du Tout-Puissant ! Dites à Dieu que je suis votre serviteur, dites-lui que vous prenez ma défense, et je serai sauvé. O Marie, je me confie en vous ; c'est avec cette confiance que je vie et que je veux et espère mourir, disant toujours : "Mon unique espérance est Jésus, et, après Jésus, la vierge Marie."
Après avoir créé la terre, Dieu fit deux grands luminaires, l'un plus grand, pour présider au jour, l'autre moindre, pour présider à la nuit. Selon le cardinal Hughes, le premier de ces deux luminaires, le soleil, est la figure de Jésus-Christ, dont la lumière éclaire les justes qui vivent dans la grâce de Dieu ; et le second, la lune, est la figure de Marie, dont la douce lueur reste aux malheureux plongés dans la nuit du péché. Marie étant donc cet astre propice aux pécheurs, que doit faire le malheureux qui se trouve environné des ténèbres de l'iniquité ? Puisqu'il a perdu la lumière du Soleil de Justice en perdant la grâce divine, répond Innocent III, qu'il tourne ses regards vers l'astre qui brille pour lui ; qu'il invoque Marie ; elle l'éclairera sur le malheur de son état et lui donnera la force d'en sortir sans retard. Au dire de saint Méthode, on pourrait à peine compter les conversions dues au prières de Marie.
Parmi les titres sous lesquels la sainte Église veut que nous invoquions la Mère de Dieu, le plus encourageant pour les pauvres pécheurs, c'est le titre de Refuge des pécheurs, que nous lui donnons dans les litanies. Anciennement, il y avait en Judée plusieurs villes de refuge, où les délinquants pouvaient se retirer, afin d'échapper à la peine qu'ils avaient encourue ; à présent, il n'y a plus qu'une seule Cité de refuge, et c'est Marie, à qui s'applique cette parole prophétique : Bien glorieuse, ô Cité de Dieu, sont les choses qui ont été dites à ton sujet. Mais il est une différence entre elle et les asiles de la loi ancienne : ceux-ci n'étaient pas ouverts à tous les coupables, mais seulement à ceux qui étaient prévenus de certains délits ; au contraire, dès qu'ils se réfugient sous le manteau de Marie, tous les pécheurs, quelles que soient leurs fautes, sont à l'abri du châtiment. "Je suis, nous dit-elle, par la bouche de saint Jean de Damas, je suis la cité de refuge, tous ceux qui viennent à moi sont sauvés." Il suffit de se réfugier dans cette Cité ; quiconque est assez heureux pour y entrer, y trouve toute sûreté, avant même d'avoir plaidé sa cause. Venez, entrons dans la ville forte, dit Jérémie, et demeurons-y en silence. D'après le bienheureux Albert le Grand, cette ville forte est la sainte Vierge, que la grâce et la gloire environnent comme un rempart ; et il ajoute, en citant la Glose : Puisque nous n'osons demander nous-mêmes au Seigneur le pardon de nos péchés, nous pouvons du moins nous retirer dans cette citadelle et nous y tenir en silence ; ce sera assez, Marie se chargera de parler et d'intercéder pour nous. Un autre pieux auteur exhorte également tous les pécheurs à s'abriter sous le manteau de la Reine du ciel : "Réfugiez-vous, Adam et Eve, et vous aussi, leurs pauveres enfants, réfugiez-vous tous dans le sein de cette bonne Mère. Ne savez-vous par qu'elle est l'unique Cité de refuge, et l'unique espérance des pécheurs" ? Oui, l'unique espérance des pécheurs ; ainsi l'appelle déjà saint Augustin.
"O Marie, vous êtes l'unique avocate des pécheurs et de ceux qui sont dénués de toute ressource," dit à son tour saint Ephrem ; puis il s'écrie : "Salut, ô vous, le refuge des pécheurs et leur asile ; en vous seule, ils peuvent trouver sûreté et protection." Et, selon un auteur, David désignait déjà Marie quand il disait : Dieu m'a mis à couvert dans le secret de son tabernacle. Quel est, en effet, le tabernacle de Dieu, sinon Marie ? ainsi la nomme saint André de Crète : "Vous êtes, dit-il, le tabernacle que Dieu lui-même a dressé, et dans lequel lui seul est entré, pour accomplir les grands mystères de la rédemption des hommes."
L'illustre saint Basile dit à ce propos qu'en nous donnant Marie, Dieu nous a en quelque sort ouvert un hôpital public, où peuvent être reçus tous les malades pauvres et privés de tout autre ressource. Or, je le demande, les hôpitaux étant fondés spécialement pour les pauvres, quels sont ceux qui ont le plus de titre à y être admis ? ne sont-ce pas les plus indigents et les plus malades ? Celui donc qui se trouve plongé dans la misère, c'est-à-dire dépourvu de tout mérite et chargé de péchés, qui sont les maladies de l'âme, il peut, ce semble, dire à Marie : Auguste Dame ! vous êtes l'asile des pauvres malades ; ne me rejetez donc pas, puisque, plus pauvre et plus malade que tous les autres, j'en aiplus de droit à être accueilli par vous.
Disons-lui avec saint Thomas de Villeneuve : O Marie, nous, pauvres pécheurs, nous ne connaissons point d'autre refuge que vous ; vous êtes notgre unique espérance dans l'affaire de notre salut ; vous êtes après Jésus-Christ l'unique avocate vers laquelle nous tournons nos regards.
Dans les révélations de sainte Brigitte, Marie est dite l'astre avant-coureur du soleil, pour nous donner à entendre que, quand la dévotion à la divine Mère fait son apparition dans l'âme d'un pécheur, c'est un présage infaillible que bientôt le Seigneur reviendra à elle avec les richesses de sa grâce. Le glorieux saint Bonaventure, pour réveiller la confiance des pécheurs en la protection de Marie, les représente d'abord comme exposés à périr dans une mer orageuse. Déjà tombés du navire dela grâce, et ballotés ça et là par le remords de leur conscience et la crainte des jugements de Dieu, sans lumière et sans guide, les infortunés se voient au moment de perdre le dernier souffle d'espérance qui les fait encore vivre. C'est alors que le Seigneur, leur montrant Marie, si connue sous le nom d'Étoile de la mer, élève en quelque sorte la voix pour crier à ces naufragés : Pauvres pécheurs qui vous croyez perdus, ne désespérez pas ; levez les yeux vers cette belle Étoile, reprenez haleine et courage ; car Marie vous retirera du milieu de la tempêtel et vous conduira au port du salut. -- Saint Bernard exprime la même pensée : Si vous ne voulez pas être submergé par la tempête, regarde l'Étoile, appelez Marie à votre secours.
Et, en effet, selon Louis de Blois, "Marie est l'unique refuge de ceux qui ont eu le malheur d'offenser Dieu ; elle est l'asile de tous ceux qui sont en butte aux tentations et aux coups de l'adversité ; elle est toute bonté, toute douceur, non seulement envers les justes, mais encore envers les pécheurs les plus désespérés : aussi, quand elle les voit venir à elle, et qu'elle les entend implorer de tout coeur son assistance, elle s'empresse de les secourir, les accueille, et leur obtient leur pardon de son divin Fils. Elle n'en sait mépriser aucun, si indigne qu'il soit ; elle ne refuse à aucun sa protection ; elle les console tous; et à peine l'a-t-on invoquée, qu'on en est aussitôt secouru. Bien souvent, par sa douceur, elle sait attirer à son culte et réveiller les pécheurs les plus étrangers à l'amour de Dieu, les plus profondément ensevelis dans la léthargie du vice ; par là ils se disposent à recevoir la grâce divine et à se rendre enfin dignes de la gloire éternelle. En formant cette Fille de prédilection, Dieu l'a douée d'un caractère si compatissant et si prévenant, que personne ne peut jamais, par défaut de confiance, hésiter à réclamer son intercession. Enfin, conclut le pieux auteur, il n'est pas possible qu'une âme se perde, qui cultive avec zèle et humilité la dévotion à cette divine Mère."
Elle est comparée au platane : Je me suis élevée comme le platane. C'est encore un encouragement pour les pauvres pécheurs. Le platane protège contre les ardeurs du soleil les voyageurs qui se réfugient sous son feuillage, et quand Marie voit la colère divine près d'éclater sur la tête des pécheurs, elle les invite à se réfugier sous l'ombre de sa protection. C'était avec raison, remarque saint Bonaventure, que le prophète Isaïe se désolait de son temps, et disait à Dieu : Vous voilà irrité contre nous, et votre colère est juste, car nous avons péché ; et il n'est personne qui se lève pour retenir votre bras, personne qui puisse vous fléchir en notre faveur. Il disait vrai, car, en ces temps, Marie n'était pas encore au monde ; et, avant sa naissance, dit le saint, personne n'eût osé comme elle retenir le bras vengeur du Très-Haut. Mais aujourd'hui, quelque irrité que soit le Seigneur contre un pécheur, si Marie le prend sous sa protection, elle parvient à le sauver en empêchant son Fils de le punir. Et aucune créature, continue le même saint, ne pourrait, aussi bien qu'elle, aller jusqu'à mettre la main sur le glaive de la divine justice, et suspendre les coups dont il menace les coupables. Richard de Saint-Laurent exprime la même pensée : Avant la naissance de Marie, dit-il, Dieu se plaignait que personne ne s'opposât à ses vengeances sur les pécheurs ; mais, à présent que Marie est dans le monde, elle apaise sa colère.
Basile de Séleucie encourage aussi le pécheur, en lui disant : "Pécheur, ne perds pas confiance, mais, en toute circonstance, recours à Marie et invoque-là ; tu la trouveras toujours prête à te secourir, car c'est la volonté de Dieu qu'elle nous aide dans tous nos besoins." -- Cette Mère de miséricorde est si désireuse de sauver les pécheurs les plus désespérés, qu'elle va elle-même à leur recherche pour les secourir ; et, s'ils implore son assistance, elle sait bien trouver le moyen de les rendre chers à Dieu.
Isaac désirait un jour manger du gibier ; il appela Ésaü et lui promit de le bénir quand il lui en aurait apporté. Mais Rébecca, qui voulait que cette bénédiction fût l'apanage de son autre fils Jacob, ordonna à celui-ci de lui amener deux chevreaux, qu'elle apprêterait au goût d'Isaac. Selon saint Antonin, Rébecca fut ici la figure de Marie, et les chevreaux celle des pécheurs : la Reine du ciel dit aux anges : Amenez-moi des pécheurs ; je leur procurerai le repentir de leurs fautes avec une ferme résolution de ne plus pécher, et je saurai, par ce moyen, les rendre agréable et chers au Seigneur. -- L'abbé Francon, développant la même pensée, ajoute que Marie sait si bien apprêter ses chevraux, qu'ils deviennent, pour le goût, non seulement comparables, mais parfois même supérieurs aux cerfs.
Il n'est pas au monde de pécheur, pour éloigné qu'il soit de Dieu, qui ne puisse se convertir, et recouvrer l'amitié divine, s'il veut seulement recourir à Marie et réclamer son assistance. Elle-même l'a révélé ainsi à sainte Brigitte. La même sainte entendit un jour Jésus-Christ dire à sa Mère, qu'elle serait disposée à demander la grâce pour Lucifer même, si celui-ci pouvait s'humilier jusqu'à se recommander à elle:"Vous ne refuserie pas votre compassion au démon lui-même, s'il vous priait humblement." Jamais on ne verra cet esprit superbe s'abaisser au point d'implorer la protection de Marie ; mais, si cela pouvait arriver, la Mère de Dieu serait assez bonne, assez puissantes seraient ses prières, pour lui obtenir du Seigneur le pardon et le salut. Mais ce qui ne peut avoir lieu pour le démon, se réalise tous les jours en faveur des pécheurs qui ont recours à cette Mère de miséricorde.
L'arche de Noé fut sans doute une figure de Marie ; car, si l'arche offrit un abri à tous les animaux de la terre, le manteau de Marie sert de refuge à tous les pécheurs, que leurs vices et leurs péchés sensuels assimilent aux brutes. Il y a cependant une différence, observe un auteur : Les animaux entrés dans l'arche demeurèrent ce qu'ils étaient : le loup demeura lou, le tigre demeura tigre ; au lieu que, sous le manteau de Marie, le loup se transforme en agneau, et le tigre en colombe. Sainge Gertrude vit un jour la bienheureuse Vierge qui tenait son manteau ouvert ; sous ce manteau, la sainte aperçut grand nombre de bêtes féroces de différentes espèces, tels que léopards, lions, ours ;elle remarqua que Marie, loin de les chasser, les recevait avec bonté et les caressait de sa douce main. Gertrude comprit que ces bêtes féroces sont les malheureux pécheurs, que Marie accueille avec amour quand ils ont recours à elle.
Saint Bernard avait donc bien raison de dire à Marie : Auguste Souveraine, jamais vous ne repoussez un pécheur, si souillé et abominable soit-il, s'il se réfugie auprès de vous ; dès qu'il implore votre secours, vous ne dédaignez pas d'étendre votre main miséricordieuse pour le retirer de l'abîme du désespoir. O aimable Marie ! béni et remercié soit à jamais le Seigneur qui vous a faite si douce et si bonne, même envers les misérables pécheurs ! Malheureux celui qui ne vous aime pas, malheureu celui qui pouvant implorer votre pitié, ne met pas en vous sa confiance ! -- Celui-là se perd, qui ne recourt pas à Marie. Mais qui, après l'avoir fait, s'est jamais perdu ?
On lit dans l'Écriture que Booz permit à Ruth de ramasser les épis tombés des mains des moissoneurs. Saint Bonaventure fait là-dessus cette réflexion : De même que Ruth trouva grâce aux yeux de Booz, ainsi Marie a trouvé grâce aux yeux du Seigneur, qui lui a permis de recueuillir les épis échappés aux moissoneurs. Les moissoneurs sont les ouvriers évangéliques, les missionaires, les prédicateurs, les confesseurs, dont les travaux gagnent chaque jour des âmes à Dieu. Mais il est des âmes rebelles et endurcies que, malgré tout leur zèle, ils se voient forcés d'abandonner ; c'est le privilège exclusif de Marie d'empêcher par sa puissante intercession, que des épis délaissés ne se perdent. Mais aussi, malheur aux âmes qui résistent à la main de cette douce glaneuse ! Assurément, elles resteront à jamais perdues et maudites. Bienheureuses, au contraire, celles qui ont recours à une si bonne Mère ! Il n'y a pas au monde, dit le pieux Louis de Blois, un pécheur tellement désespéré et plongé dans la fange du vice, que Marie en ait horreur et le repousse : ah ! qu'il vienne seulement réclamer l'assistance de cette tendre Mère ; il verra si elle veut et peut le réconcilier avec son divin Fils, et lui obtenir son pardon.
Ce n'est donc pas à tort, ô ma très douce Souveraine, que saint Jean Damascène vous salue l'Espérance des désespérés, que saint Laurent Justinien vous proclame l'Espérance des coupables, saint Augustin, l'unique Ressource des pécheurs, saint Ephrem, le Port assuré des naufragés. Le même sait pousse la hardiesse jusqu'à vous appeler la protectrice des damnés.
C'est avec raison enfin que saint Bernard exhorte les désespérés eux-mêmes à ne pas désespérer ; et que, plein de joie et de tendresse envers sa Mère chérie, il lui dit amoureusement : Vierge sainte ! qui donc n'aura pas confiance en vous, si vous secourez même les désespérés ? Je ne doute nullement, ajoute-t-il, qu'à la seule condition de réclamer votre secours, nous n'obtenions tout ce que nous voudrons ; celui donc qui n'a plus d'espoir, doit encore espérer en vous.
Saint Antonin raconte qu'un homme qui vivait dans la disgrâce de Dieu, eut un jour une vision dans laquelle il lui sembla se trouver au tribunal de Jésus-Christ ; le démon présenta le dossier de ses péchés, lesquels, mis dans la balance de la justice divine, l'emportèrent de beaucoup sur toutes ses bonnes oeuvres. Que fit alors sa puissante Avocate ? elle étendit sa douce main et l'appuya sur l'autre bassin de la balance qu'elle fit pencher en faveur de son client. Par là, elle lui donnait à entendre qu'elle lui obtiendrait son pardon, s'il voulait changer de vie ; et, en effet, après cette vision, le pécheur se convertit et vécut en bon chrétien.
Le vénérable Jean Herolt, qui par humilité prit le nom de Disciple, rapporte le trait qu'on va lire. Un homme marié vivait dans le désordre ; son épouse, femme vertueuse, ne pouvant lui persuader de renoncer au péché, le pria de vouloir au moins, dans cet état misérable, pratiquer quelque dévotion envers la Mère de Dieu, ne fût-ce que de la saluer en récitant un Ave Maria toutes les fois qu'il passerait devant une de ses images. Il consentit à observer cette pratique.
Une nuit que ce malheureux était sorti dans le dessein de se livrer au péché, il aperçut de loin une lumière, s'approcha et vit que c'était une lampe qui brûlait devant une statue de Marie tenant entre ses bras Jésus enfant. Il récite l'Ave Maria selon sa coutume ; mais ensuite, quel objet s'offre à ses regards ! Le divin Enfant lui apparaît tout couvert de plaies fraîchement ouvertes et d'où le sang tombe à grosses gouttes. Épouvanté et en même temps attendri, considérant que c'était lui qui, par ses péchés, avait ainsi déchiré les membres de son Rédempteur, il se mit à pleurer ; mais il remarqua que Jésus lui tournait le dos. Alors, tout pénétré de confusion, il eut recours à la sainte Vierge, et lui parla ainsi : "Mère de miséricorde, votre Fils me repousse ; je ne puis trouver d'avocate plus bienveillante ni plus puissante que vous, qui êtes sa Mère ; ô ma Reine, assistez-moi, priez-le pour moi." La Mère du Sauver lui répondit par sa statue : "Vous autres, pécheurs, vous m'appelez Mère de miséricorde, mais, en même temps, vous ne cessez de faire de moi une mère de misère, en renouvelant continuellement la passion de mon Fils et mes propres douleurs."
Néanmoins, comme Marie ne sait jamais renvoyer sans consolation celui qui se jette à ses pieds, elle se tourna vers son divin Fils et le pria de pardonner à ce malheureux. Jésus continuait de montrer de la répugnance à accorder ce pardon ; mais la sainte Vierge, déposa son cher Enfant dans la niche, se prosterna devant lui, en disant : "Mon Fils, je ne me relève pas, je reste ici à vos pieds, si vous ne pardonnez à ce pécheur. -- Ma Mère, dit alors Jésus, je ne vous puis rien refuser : vous voulez qu'il lui soit pardonné ; pour l'amour de vous, je lui pardonne, faites-le venir baiser mes plaies." Le pécheur s'approcha tout en larmes ; et, à mesure qu'il baisait les plaies du saint Enfant, elles guérissaient aussitôt. Enfin, Jésus l'embrassa en signe de réconciliation. Dès ce moment, cet homme changea de conduite, mena une vie édifiante, et donna des marques d'une ardente dévotion à la bienheureuse Vierge, qui lui avait obtenu une fabeur si grande.
O Vierge Immaculée, je vénère votre très saint Coeur, qui fut les délices et le repos d'un Dieu, ce Coeur tout plein d'humilité, de pureté et d'amour divin, Moi, malheureux pécheur, je viens à vous, le coeur rempli de fanges et d'ulcères ; ô Mère de miséricorde, ne me dédaignez pas pour cela, mais n'en ayez que plus de compassion, et secourez-moi. Ne cherchez pas en moi, pour venir à mon aide, ni vertus, ni mérites ; je suis une âme perdue et qui ne mérite que l'enfer. Considérez uniquement, je vous prie, la confiance que j'ai en vous et la résolution où je suis de me corriger. Considérez ce que Jésus a fait et souffert pour moi, et puis abandonnez-moi si vous le pouvez. Souffrez que je vous remette sous les yeux toutes les peines de sa vie, le froid qu'il endur dans l'étable, le voyage qu'il fit en Égypte, le sang qu'il répandît, la pauvreté, les sueurs, les tourments, la mort qu'il souffrit en votre présence pour l'amour de moi ; et, pour l'amour de Jésus, songez à me sauver.
Ah ! ma Mère, je ne veux ni ne puis craindre que vous me repoussiez, maintenant que j'ai recours à vous et que j'implore votre assistance. Si j'avais une telle crainte, je ferais injure à votre miséricorde, qui va cherchant les malheureux pour les secourir. Sainte Reine, ne refusez pas votre pitié à celui à qui Jésus-Christ n'a pas refusé son sang. Mais les mérites de ce sang précieux ne me seront pas appliqués, si vous ne em recommandez à Dieu. C'est de vous que j'espère mon salut ; je ne vous demande ni richesse, ni honneurs, ni autres biens terrestres, je vous demande la grâce de Dieu, l'amour de votre Fils, Jésus, la grâce d'accomplir sa volonté, et enfin le paradis pour l'aimer éternellement. Est-il possible que vous refusiez de m'exaucer ? Non, vertes ; vous m'exaucez dès à présent, j'en ai la confiance : déjà vous priez pour moi, déjà vous me procurez les grâces ue je sollicite : déjà vous me prenez sous votre protection. Ma Mère, ne m'abandonnez point ; continuez, oui, continuez de prier pour moi, jusqu'à ce que vous me voyiez sauvé, reçu dans le ciel, et prosterné à vos pieds pour vous bénir et vous remercier pendant toute l'éternité. Amen.
Pauvres enfants de la malheureuse Ève, et, comme tels, coupable aux yeux de Dieu de la même faute et condamnés à la même peine, nous errons çà et là dans cette vallée de larmes, exilés de notre patrie, gémissant sous le poids de maux innombrables qui nous affligent dans le corps et dans l'âme ! Mais, au milieu de ces peines, heureux celui qui tourne souvent ses regards vers la Consolatrice du monde, le Refuge des misérables, l'auguste Mère de Dieuu, et l'invoque et la prie avec ferveur ! Heureux, dit Marie, celui qui écoute mes conseils, et qui veille continuellement aux portes de ma miséricorde, pour invoquer mon intercession et mon secours !
La sainte Église, notre Mère, nous enseigne clairement, par le culte spécial qu'elle lui voue, avec quel empressement et quelle confiance nous devons recourir sans cesse à cette bienveillante Protectrice : elle célèbre dans le courant de l'année un grand nombre de fêtes en l'honneur de Marie ; elle consacre spécialement à son service un jour chaque semaine ; elle veut que, chaque jour, dans l'office divin, les ecclésiastiques et les religieux l'invoquent au nom de tout le peuple chrétien ; trois fois le jou, au son des cloches, elle invite les fidèles à la saluer. Au surplus, comment douter de l'intention de l'Église à cet égard, quand on la voit, dans toutes les calamités publiques, s'adresser à la Mère de Dieu et ne négliger, pour se la rendre favorable, aucune des pratiques pieuses, telles que neuvaines, prières spéciales, processions, vistes de ses églises ou de ses images ? Et, remarquons-le bien, si Marie désire être invoquée et priée ainsi pour nous en toute occurence, ce n'est pas qu'elle mendie nos hommages, toujours fort au-dessous de son mérite, mais elle veut que, par des progrès toujours nouveaux en confiance et en dévotion envers elle, nous méritions de sa part une plus grande abondance de secours et de consolations. Ainsi l'entendait saint Bonaventure : "Marie cherche, dit-il, des âmes qui recourent à elle avec de vifs sentiments de respect et d'amour ; car ce sont celles-là qu'elle chérit, qu'elle nourrit, qu'elle embrasse comme ses enfants."
Selon la pensée du même Docteur, Marie fut préfigurée par Ruth, dont le nom signifie "celle qui voit et qui se hâte" ; car, quand Marie nous voit dans la tribulation, elle en est touchée et se hâte de nous venir en aide. Dans son désir de nous favoriser, ajoute Novarin, elle ne peut souffrir de retard ; et, loin de retenir ses grâces d'une main avare, cette Mère de miséricorde n'a rien de plus pressé que de répandre sur ses serviteurs les trésors de munificience."
Oh ! comme cette bonne Mère est prompte à secourir quiconque l'invoque ! En expliquant un passage des Cantiques, Richard de Saint-Laurent fait cette remarque : "Le coeur maternel de Marie n'est pas moins prompt à donner le lait de la miséricorde à ceux qui le demandent, que les jeunes chevreuils ne le sont à bondir ; un simple Ave Maria suffit, assure-t-il, pour faire jaillir à flots ce lait bienfaisant. "Et, selon Novarin, la bienheureuse Vierge ne se contente pas de courir, elle vole au secours de ceux qui l'invoquent. Dans l'exercice de la miséricorde, dit-il, elle ne peut manquer d'imiter le Seigneur : fidèle à la promesse qu'il nous a faite en ces termes : Demandez et vous recevrez, Dieu semble prendre des ailes quand il s'agit d'aller tirer de la peine une âme qui l'appelle à son aide ; ainsi fait aussi Marie quand nous la prions ; elle ne sait nous différer son assistance. Par là, on comprend quelle est cette femme dont il est dit dans l'Apocalypse : Il fut donné à la femme deux grandes ailes pareilles à celle de l'aigle. Par ces ailes, Ribeira entend celles de l'amour, à l'aide desquelles Marie s'élevait sans cesse vers Dieu. Mais le bienheureux Amédée donne une explication plus conforme à notre sujet ; pour lui, ces ailes d'aigle marquent la promptitude de Marie à secourir ses enfants. Les séraphins eux-mêmes, ajoute-til, ne sauraient égaler la rapidité de son vol.
Tout ceci est confirmé par un passage de l'Évangile. Quand Marie alla visiter Élisabeth et combler de grâces toute cette heureuse famille, elle ne marcha pas avec lenteur, mais selon la remarque de saint Luc, elle fit grande diligence pendant tout le trajet ; ce qui n'est pas dit de son retour. Pourquoi, dans les sacrés Cantiques, est-il dit des mains de Marie qu'elles semblaient faites au tour ? "L'art du tour, répond Richard est de tous le plus prompt et le plus expéditif ; et Marie est plus prompte qu'aucun autre saint à tendre une main secourable à ses dévots." Ineffable est son désir de consoler tout le monde, ajoute Louis de Blois ; aussi elle n'a pas sitôt entendu une voix suppliante s'élever vers elle, qu'elle y prête une oreille favorable et l'exauce. Qu'il avait donc raison saint Bonaventure, quand, s'adressant à Marie, il s'écriait : "O toi, le salut de ceux qui t'invoquent" ! Par là il donnait à entendre qu'il suffit pour être sauvé d'invoquer cette divine Mère, toujours prête, assure Richard de Saint-Laurent, à secourir quiconque la prie. Et nous ne devons point nous en étonner, puisque, selon Bernardin de Bustis, cette grande Reine ressent un plus vif désir de nous accorder des grâces, que nous de les recevoir.
La multitude même de nos péchés ne doit pas diminuer en nous la confiance d'être exaucés de Marie, quand nous irons nous jeter à ses pieds : elle est Mère de miséricorde ; or, la miséricorde resterait sans emploi, si elle ne trouvait des misères à soulager. Une bonne mère qui verrait son enfant infecté de la lèpre, ne saurait lui refuser ses soins, bien qu'il lui en coûtât beaucoup de peines et de dégoûts ; et, quand nous réclamons les soins de Marie, elle ne saurait nous repousser, si grande que soit l'infection de péchés dont nous sollicitons la guérison ; elle n'a pas oublié, ajoute Richard, que c'est en faveur des pécheurs qu'elle est devenue la Mère d'un Dieu qui est la miséricorde en personne. Et tel est précisément le sens d'une vision dont fut favorisée sainte Gertrude : elle voyait la glorieuse Vierge ouvrant son manteau comme pour donner asile à tous ceux qui voulaient se réfugier auprès d'elle. La sainte comprit en même temps que les anges sont attentifs à défendre les pieux serviteurs de leur Reine contre les attaques de l'enfer.
Au reste, la tendresse vraiment maternelle de Marie à notre égard et sa compassion pour nos maux vont si loin, qu'elle n'attend pas nos prières pour nous secourir : Elle prévient ceux qui la désirent et se présente à eux la première. Ces paroles de la Sagesse lui sont appliquées par saint Anselme : Sur un simple désir de notre part, dit-il, Marie nous accorde sa protection ; ce qui veut dire qu'elle nous obtient de Dieu beaucoup de grâces avant que nous l'ayons priée. C'est pourquoi, selon Richard de Saint-Victor, le Sage la compare à la lune. Ce bel astre l'emporte sur les autres en rapidité, et, nous l'avons dit, rien n'égale la promptitude de Marie à nous secourir. Mais de plus, elle ne se montre pas telle seulement quand nous l'invoquons : elle pousse le zèle de notre bien jusqu'à prévenir nos prières quand elle nous voit dans le besoin ; et nous sommes moins prompt à implorer son appui, qu'elle à nous le prêter. Écoutons la touchante raison qu'en donne cet auteur : "Le Seigneur, ô Marie, a tellement rempli de tendresse votre sein maternel, que la simple connaissance de notre misère en fait couler le lait de la miséricorde ; et vous ne sauriez, ô douce Reine, être témoin des besoins d'une âme, sans lui venir aussitôt en aide."
Mais déjà pendant sa vie terreste, Marie donnait des marques de cette grande bonté qui la porte à compatir à nos peines et à les adoucir, alors même que nous ne la prions pas : à preuve ce que, selon saint Jean, elle fit aux noces de Cana. Voyant le cruel embarras des deux époux, désolés et confus de ce que le vin allait manquer à la table du banquet, cette tendre Mère n'attendit point qu'on eut recours à elle ; mais, cédant à la seule inclination de son coeur, incapable de voir l'affliction d'autrui sans la partager, elle vint prier son divin Fils de consoler ses hôtes ; et, lui exposant simplement le besoin dans lequel ceux-ci se voyaient : Ils n'ont plus de vin, lui dit-elle. Et Jésus, désireux de tirer cette famille de la peine, désireux surtout de contenter le coeur compatissant de sa Mère, Jésus, disons-nous, opéra le miracle que tout le monde connaît : il changea en vin l'eau dont on avait rempli six grandes urnes. Sur quoi Novarin raisonne ainsi : Si Marie, même sans être priée, se montre si empressée à secourir les affligés, combien plus le sera-t-elle à consoler ceux qui l'invoquent et qui réclament son assistance.
Et si quelqu'un craignait de voir sa prière par Marie, Innocent III le reprendrait de sa défiance en ces termes : "Et qui donc invoqua jamais cette douce Souveraine sans être exaucé" ?
Que celui-là écoute le bienheureux Eutychien, lequel s'écrie pareillement : O glorieuse Vierge, qui a jamais imploré votre protection assez puissante pour soulager tous les malheureux et sauver les pécheurs les plus désespérés, et s'est vu abandonné de vous ? Cela n'est jamais arrivé, et n'arrivera jamais.
Qu'il écoute saint Bernard : "Je le veux bien, ô Vierge sainte, dit le saint Docteur ; que celui-là ne parle plus de votre miséricorde, n'en fasse plus l'éloge, qui vous aurait invoquée dans ses besoins, et se souviendrait d'avoir été délaissé par vous."
"On verra le ciel et la terre tomber en ruines, ajoute Louis de Blois, avant que Marie refuse son secours à une âme qui le lui demande avec une intention droite et en plaçant son espoir en elle."
Saint Anselme ajoute encore à tous ces motifs de confiance : Non seulement nous devons compter sur la protection de la divine Mère quand nous nous recommandons à elle, dit-il, mais parfois nous serons plus vite exaucés et sauvés en invoquant le saint nom de Marie, qu'en invoquant le saint nom de Jésus, notre Sauveur. "La raison en est, ajoute-t-il, que le Fils est notre Seigneur et notre juge... ; mais quand nous invoquons le nom de la Mère, si nous ne méritons pas d'être exaucés, les mérites de la Mère interviennent en notre faveur et nous font exaucer." C'est-à-dire : si nous parvenons plus vite au salut en priant la Mère qu'en priant le Fils, ce n'est pas que Maria ait plus de pouvoir que son divin Fils pour nous sauver ; nous savons, en effet, que Jésus-Christ est notre unique Sauveur, que lui seul, par ses mérites, nous a obtenu et nous obtient le salut ; mais, en recourant à Jésus-Christ, nous voyons en lui non seulement notre Sauveur, mais encore notre Juge, à qui revient de punir les ingrats ; et il peut nous arriver ainsi de manquer de la confiance requise pour être exaucé.
Il n'en est pas de même quand nous nous adressons à Marie, dont l'unique office est de compatir à nos peines comme Mère de miséricorde, et de nous défendre comme notre Avocate : notre confiance alors est plus ferme, ce semble, et plus entière. Nicéphore nous donne de ceci une autre raison non moins solide : On demande beaucoup de choses à Dieu, et on ne les obtient pas, nous dit-il ; on les demande à Marie et on les obtient ; comment cela se fait-il ? ce n'est pas que Marie soit plus puissante que Dieu, mais c'est que Dieu a voulu honorer ainsi sa Mère.
Elle est bien consolante, la promesse que sainte Brigitte recueillit à ce sujet de la bouche du Seigneur lui-même. On lit dans ses Révélations, qu'elle entendit un jour Jésus qui parlait ainsi à sa Mère : Ma Mère, demandez-moi tout ce que vous voudrez ; je ne rejetterai jamais aucune de vos requêtes. Sachez en outre, ajoute-t-il, que tous ceux qui solliciteron de moi quelque grâce, en me priant de la leur accorder par l'amour de vous, je promets de les exaucer, fussent-ils pécheurs, pourvu qu'ils aient la volonté de s'amender. -- La même chose fut révélée à sainte Gertrude. Elle entendit notre fin Rédempteur ire à Marie que, dans sa toute-puissance, il lui avait accordé d'user de miséricorde envers les pécheurs qui l'invoqueraient, et de le faire en la manière qui lui plairait davantage.
Que chacun donc, en invoquant cette Mère de miséricorde, lui dise avec grande confiance ce que lui disait saint Augustin : "Souvenez-vous, ô très clémente Reine, que, depuis l'origine du monde, on n'a jamais ouï dire que vous ayez abandonné personne. Pardonnez-moi donc, si j'ose vous déclarer que ne veux pas être abandonné de vous, après avoir eu recours à votre protection."
Saint François de Sales fit l'heurese expérience de l'efficacité de cette prière, ainsi qu'on le voit dans l'histoire de sa vie. Il se trouvait à Paris pour ses études, à l'âge de dix-sept ans environ ; et il se livrait sans réserve à la dévotion et à l'amour de Dieu ; il y goûtait des délices toutes célestes, quand, en vue sans doute de mettre sa vertu à l'épreuve et l'attacher toujours plus étroitement, Dieu permit que son bonheur fut troublé. Le démon lui mit dans l'esprit que tout ce qu'il faisait ne lui servirait de rien, attendu que, dans les décrets divins, il était réprouvé. Ce qui prêta de nouvelles forces à la tentation et la rendit plus affligeante pour le coeur du saint jeune homme, ce fut l'état d'obscurité et de sécheresse dans lequel il plut à Dieu de le laisser pendant ce temps : il était devenu insensible aux pensées les plus consolantes tirées de la bonté divine ; enfin, ses craintes et ses désolations allèrent si loin, qu'il en perdit l'appétit, le sommeil, le teint, la gaieté ; il faisait compassion à tous ceux qui l'observaient.
Pendant cette horrible tempête, le saint ne pouvait ni concevoir de pensées ni proférer de paroles, qui ne fussent inspirées par la désolation et la douleur. "Je serai donc, s'écriait-il, privé de la grâce de mon Dieu, qui par le passé a été pour moi si aimable et si doux ! O Amour, ô Beauté, à laquelle j'ai voué toutes mes affections, je ne jouirai donc plus de vos consolations ? -- O Vierge, Mère de Dieu, la plus belle de toutes les filles de Jérusalem, je ne vous verrai donc jamais en paradis ? Ah ! s'il ne m'est pas donné de contempler vos traits ravissants dans le ciel, ne permettez pas du moins que je sois réduit à vous blasphémer et à vous maudire dans l'enfer" ! Tels étaient alors les tendres sentiments de ce coeur affligé et plein d'amour pour Dieu et Marie.
La tentation dura plus d'un mois ; mais enfin le Seigneur voulut bien l'en délivrer par l'entremise de la Consolatrice du monde, la bienheureuse Vierge, à qui le saint avait déjà consacré sa virginité, et en qui il disait avoir placé toutes ses espérances. Un soir, en retournant chez lui, il entre dans une église et aperçoit, fixée au mur, une tablette sur laquelle il trouve tracée l'invocation de saint Augustin : "Souvenez-vous, ô très miséricordieuse Marie, que jamais on n'ouït que personne, après s'être réfugié sous votre protection, se soit vu abandonné." Aussitôt, proterné devant l'autel de la Mère de Dieu, il récite avec ferveur cette prière, renouvelle son voeu de virginité, promet de réciter chaque jour le chapelet, et termine par ces mots : "Ma Reine, soyez mon avocate auprès de votre divin Fils, auquel je n'ai pas la hardiesse de m'adresser. O ma Mère, si j'ai le malheur de ne pouvoir aimer mon Dieu dans l'autre monde quoique je le sache si digne d'être aimé, obtenez-moi du moins que je l'aime en cette vie le plus que je pourrai ; c'est la grâce que je vous demande, et j'espère l'obtenir de vous."
Après avoir ainsi prié la sainte Vierge, il s'abandonne entre les bras de la divine miséricorde, et se résigne entièrement à la volonté de Dieu. Mais sa prière était à peine finie, qu'en un instant il fut délivré de la tentation par sa tendre Mère. Il recouvra aussitôt la paix intérieur, et avec elle la santé du corps ; et puis, il conserva toujours la plus vive dévotion envers Marie, dont il ne cessa, tant qu'il vécut, de publier les louanges et les miséricordes, dans ses discours et ses écrits.
O Mère de Dieu, Reine des anges et espérance des hommes, écoutez un pécheur qui vous implores et vous appelle à son secours. Me voici aujourd'hui prosterné à vos pieds ; moi, misérable esclave de l'enfer, je me consacre pour toujours à vous comme votre serviteur, et je m'offre à vous servir et à vous honorer de tout mon pouvoir, pendant toute ma vie. Vous ne retirerez aucune gloire, je le reconnais, des services d'un esclave vil et pervers comme moi, qui ai tant offensé Jésus-Christ, votre Fils et mon Rédempteur.
Mais si vous recevez un indigne au nombre de vos serviteurs ; si vous le rendez digne de cette qualité en le changeant par votre intercession, cette miséricorde même envers lui vous procurera la gloire que ne saurait vous rendre un misérable tel que je suis. Daignez me recevoir, ô ma Mère, et ne point me rebuter. Pour chercher les brebis perdues, le Verbe éternel est descendu du ciel sur la terre ; pour les sauver, il s'est fait votre Fils, et vous pourriez dédaigner une pauvre brebis qui vous prie de lui faire retrouver Jésus ? Déjà le prix de mon salut est acquitté ; déjà, en versant son sang précieux, mon Sauveur a payé pour moi une rançon qui suffirait à racheter des mondes en nombre infini ; il ne reste plus qu'à m'en appliquer les mérites, et cela dépend de vous, ô Vierge bénie ! Oui, dit saint Bernard, c'est à vous de dispenser à qui il vous plaît les mérites de son sang divin. Oui, dit aussi saint Bonaventure, vous pouvez sauver qui vous voulez.
Ainsi, ô ma Reine, assistez-moi ; ma douce Souveraine, sauvez-moi. Je remets aujourd'hui entre vos mains toute mon âme ; songez à la sauver. Je finis en vous disant avec le même saint Bonaventure : O vous, le salut de ceux qui vous invoquent, sauvez-moi !
La très sainte Vierge n'est pas seulement Reine du ciel et des saints ; son pouvoir s'étend encore sur l'enfer et sur les démons, dont elle a triomphé par l'héroïsme de ses vertus. Déjà à l'origine du monde, Dieu prédit au serpent infernal cette glorieuse victoire de notre Reine, et l'empire que par suite elle devrait exercer sur lui ; car, dès lors, il lui annonça la venue en ce monde d'une Femme qui ruinerait sa puissance : Je mettrai, lui dit-il, des inimitiés entre toi et la femme ; elle te brisera la tête.
Quelle fut en effet, cette Femme, cette ennemie du serpent, si ce n'est Marie, qui, par son admirable humilité et sa sainte vie, le vainquit toujours et anéantit ses forces ? C'est ce qu'enseigne saint Cyprien, et après lui un autre ancien auteur, lequel fait observer en outre que Dieu ne dit pas, au présent : Je mets, mais au futur : Je mettrai, pour indiquer que cette Femme victorieuse de Satan, ne serait pas Ève, alors vivante, mais une autre Femme qui descendrait d'elle, et apporterait à nos premiers parents, selon la pensée de saint Vincent Ferrier, plus de biens qu'ils n'en avaient perdu par leur faute. Marie est donc cette Femme par excellence, qui a vaincu le démon et lui a brisé la tête, selon la divine prédiction, en réprimant son orgueil. Quelques-uns doutent, à la vérité, si cette prophétie ne concerne pas plutôt Jésus-Christ que Marie, parce que la version des Septante porte : Il te brisera la tête ; mais, dans notre Vulgate, seule version approuvée comme règle de foi par le Concile de Trente, nous lisons : Elle, et non : Il te brisera la tête. Ainsi d'ailleurs ont lu et compris saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostôme, et beaucoup d'autres. Quoi qu'il en soit, il demeure certain, ou que le Fils a défait Lucifer par le moyen de Marie, ou que la Mère en a triomphé par la puissance de son Fils ; en sorte que l'esprit superbe s'est vu, à son grand dépit, abattu et foulé aux pieds de cette Vierge bénie, dit saint Bernard ; et, comme un prisonnier de guerre est de droit l'esclave de son vainqueur, Satan se voit pour toujours forcé d'obéir aux injonctions de notre Reine. En se laissant vaincre par le serpent, Ève nous apporta la mort et les ténèbres, remarque saint Bruno ; mais, en domptant, en enchaînant le démon, Marie nous apporta la vie et la lumière. Oui, elle l'a enchaîné, et de telle sorte que cet ennemi est hors d'état de nuire en rien à ceux qui la servent avec amour.
Bien beau est le commentaire de Richard sur les paroles des Proverbes : Le coeur de son époux se confie en elle, et il ne manquera point de dépouilles. Jésus est l'Époux de toutes les âmes saintes, et avant tout celle de Marie. Or, dit cet auteur, il ne saurait manquer de dépouilles, parce que, tous les esclaves du démon que Marie délivre par ses prières, ses mérites et ses exemples, elle les soumet au domaine de cet Époux divin. Toute semblable est l'interprétation de Cornelius : Dieu, dit-il, a remis entre les mains de Marie le Coeur de Jésus, afin qu'elle prenne soin de le faire aimer des hommes. Comment donc manquerait-il de dépouilles ? Marie lui apporte un nombe infini d'âmes, dépouilles opimes que sa puissance secourable enlève à Satan.
On sait que la palme est le symbole de la victoire ; c'est pourquoi notre Reine a été placée sur un trône élevée, en face de tous les potentats, comme un palmier, pour signifier la victoire que peuvent se promettre en toute assurance ceux qui se mettent sous sa protection. Ainsi peuvent s'entendre ces paroles dans sa bouche : J'ai été élevée comme un palmier en Cadès, -- et cela, pour vous défendre, ajoute le bienheureux Albert le Grand. Mes enfants, semble-t-elle nous dire par là, quand l'ennemi vous attaque, recourez à moi ; regardez-moi, et prenez courage ; car vous verrez en moi votre défense et votre victoire tout à la fois. -- Le recours à Marie est donc un moyen très sûr de vaincre tous les assauts de l'enfer. Et, en effet, selon saint Bernardin de Sienne, elle étend son empire jusque dans l'enfer ; elle règne en souveraine sur les démons eux-mêmes ; c'est elle qui les dompte et les terrasse. Aussi est-il écrit de Marie qu'elle est terrible pour les puissances de l'enfer, comme une armée en bon ordre, tant elle sait bien disposer son soin de ses ennemis, et pour le plus grand bien de ses serviteurs qui, dans les tentations, invoquent son tout-puissant secours.
Semblable à la vigne, lui fait dire l'Esprit-Saint, j'ai produit des fleurs d'une odeur agréable. -- Or, remarque saint Bernard sur ce passage, lorsque la vigne fleurit, on assure que tous les reptiles vénimeux s'en éloignent ; de même, les démons fuient loin de ces âmes heureuses dans lesquelles ils sentent l'odeur de la dévotion envers Marie. -- Elle est aussi comparée au cèdre : Je me suis élevée comme le cèdre sur le Liban ; parce que, si le cèdre est incorruptible, Marie fut exempte du péché ; et plus encore parce que, selon la remarque du cardinal Hughes, comme l'odeur du cèdre met en fuite les serpents, la sainteté de Marie met en fuite les démons.
L'arche d'alliance assurait la victoire aux Israélites. C'est sur son secours que comptait Moïse pour voir les ennemis en déroute : Quand on élevait l'arche, Moïse disait : Levez-vous Seigneur, et que vos ennemis se dispersent. Ainsi tombèrent les murs de Jéricho ; ainsi furent vaincus les Philistins ; car l'arche de Dieu était là, dit l'Écriture, rendant compte de ces glorieux triomphes. Or, on le sait, l'arche était la figure de Marie. Dans l'arche se trouvait la manne, dit le père Cornelius, et en Marie se trouve Jésus, préfiguré par la manne ; et c'est par le moyen de cette Arche qu'il nour rend victorieux des ennemis que la terre et l'enfer arment contre nous. De là cette pensée de Bernardin de Sienne, que, quand Marie, cette Arche du nouveau Testament, fut élevée au ciel pour en être la Reine, le pouvoir de l'enfer sur l'humanité fut affaibli et ruiné.
"Oh" ! s'écrie saint Bonaventure, "comme les démons redoutent Marie, comme son grand nom les fait trembler" ! Le même saint compare ces ennemis des âmes aux larrons dont il est écrit au livre de Job : A la faveur des ténèbres, ils vont piller les maisons où ils pénètrent en perçant le mur ; mais quand l'aurore vient à paraître, ils s'enfuient comme s'ils voyaient l'ombre de la mort. Ainsi font les démons, dit saint Bonaventure ; ils entrent dans nos âmes à la faveur des ténèbres de l'ignorange ; mais, aussitôt qu'apparaissent dans une âme la grâce et la miséricorde de Marie, les ténèbres se dissipent devant cette belle Aurore, et les mauvais esprits s'enfuient comme pour éviter la mort. Heureux donc celui qui, dans ses luttes contre l'enfer, invoque le beau nom de Marie.
Cette doctrine fut confirmée par une révélation faite à sainte Brigitte. Dieu, apprit-elle, a donné à Marie un tel pouvoir sur tous les démons, que, quand un de ses serviteurs assailli par eux réclame son secours, d'un signe elle les épouvante et les met en fuite ; ils aimeraient mieux voir redoubler leurs supplices, que de sentir peser plus longtemps sur eux le joug de la puissance de la Vierge.
Faisant l'éloge de cette Épouse bien-aimée, l'Époux divin la compare au lis, et dit qu'elle est entre les autres vierges ce que le lis est entre les épines. Sur quoi Cornelius fait la réflexion suivante : "Le lis est un spécifique contre le venin des serpents et les autres poisons ; et l'invocation de Marie est un remède souverain contre toutes les tentations, spécialement celles d'impureté ; c'est ce dont peuvent rendre témoignage tous ceux qui en ont fait l'expérience."
Saint Jean Damascène disait à Marie, et quiconque a le bonheur d'être attaché au service de cette grande Reine, peut lui dire pareillement : "O Mère de Dieu, si j'espère en vous, bien certainement je ne succomberai point ; soutenu par vous, je poursuivrai mes ennemis ; à leurs traits j'opposerai le bouclier de votre protection et de votre puissance tutélaire, et je me tiens sûr de les vaincre." Le savant moine Jacqwues, compté parmi les Père grecs, a donc pu s'exprimer ainsi en s'adressant au Seigneur : En nous donnant cette sainte Mère, vous nous avez remis entre les mains l'arme la plus puissante contre tous nos ennemis, et le gage le plus assuré de la victoire.
Selon le récit des Livres saints, quand le peuple juif fut sorti de l'Égypte, le Seigneur le guida depuis ce pays jusqu'à la Terre promise, le jou par une colonne de nuée, et la nuit par une colonne de feu. Cette merveilleuse colonne, tantôt nuée et tantôt feu, préfigurait Marie, remarque Richard, et le double office de charité qu'elle exerce en notre faveur : comme nuée, elle nous met à couvert des ardeurs vengeresses de la divine justice ; et, comme feu, elle nous protège contre les démons. Car, à l'égard des démons, cette glorieuse Créature est un feu dévorant : la cire approchée d'un brasier se fond et s'écoule ; de même, assure saint Bonaventure, les esprits impurs sentent leurs forces brisées en présence des âmes qui se rappellent fréquemment le nom de Marie et l'invoquent avec dévotion, surtout si elles s'étudient à l'imiter.
Oh ! comme les démons tremblent, dès que retentit à leurs oreilles le nom de Marie ! "Non seulement les rebelles craignent la Vierge, dit saint Bernard ; mais, de plus, s'ils biennent seulement à entendre son nom de Marie, les voilà qui tremblent de frayeur." Thoms a Kempis en parle de même : "Les esprits malins redoutent la Reine du ciel ; son nom seul est pour eux comme un feu aux atteintes duquel ils se dérobent par la fuite. Et si les hommes se laissent tomber de frayeur quand la foudre éclate à leurs pieds, les démons ne sont pas moins épouvantés, abattus par le nom de Marie."
Et combien de glorieuses victoires sur ces ennemis du salut les serviteurs de Marie ont dues à la vertu de son saint nom ! Ainsi les a vaincus saint Antoine de Padoue, ainsi le bienheureux Henri Suson, ainsi tant d'autres amants de Marie. On sait par les relations des missionnaires du Japon, qu'un jour, dans ce pays, une troupe de démons apparurent à un chrétien sous la forme d'animaux féroces ; comme ils cherchaient à l'épouvanter par leurs menaces, il leur répondit : "Je n'ai point d'armes qui puissent vous nuire ; si le Très-Haut vous le permet, faites de moi tout ce que vous voudrez ; seulement, j'emploierai les noms de Jésus et de Marie." Il avait à peine dit, et voilà qu'au son de ces noms redoutables, la terre s'ouvre, et ces esprits superbes s'y précipitent. Saint Anselme atteste que beaucoup de personnes qu'il a lui-même vues et entendues, ont soudainement échappé, pour avoir prononcé le nom de Marie, aux périls qui les menaçaient.
Que votre nom est glorieux et admirable, ô Marie ! ceux qui n'oublient pas de le prononcer à l'article de la mort, n'ont rien à craindre, eussent-ils contre eux l'enfer tout entier ; car les démons abandonnent une âme sitôt qu'ils l'entendent prononcer le nom de Marie. -- Ainsi parle saint Bonaventure ; et il ajoute que les rois en guerre avec leurs voisins ne redoutent pas une nombreuse armée, comme les puissances de l'enfer redoutent le nom de Marie et sa protection. O Vierge puissante, dit saint Germain, la seule invocation de votre nom met vos serviteurs en sureté contre tous les efforts de leurs ennemis.
Ah ! plût au ciel que, dans les tentations, les chrétiens fûssent attentifs à invoquer avec confiance le nom de Marie ! il est certain qu'ils ne tomberont jamais. Non jamais, dit Alain de la Roche, car, dès que le tonerre de ce grand nom vient à éclater, les démons fuient, et l'enfer tremble. Et, selon une révélation de notre céleste Reine à sainte Brigitte, il n'est pas de pécheur tellement désespéré, tellement éloigné de Dieu et livré au pouvoir des démons, que ces ennemis ne l'abandonnent tout d'abord, pourvu qu'avec un sincère propos de s'amender, il ait recours au tout-puissant nom de Marie. Seulement, ajouta-t-elle, si l'âme pécheresse ne se corrige, et ne se purifie du péché par le repentir, les démons reviennent bientôt à elle, et continuent de la tenir sous leur joug.
Au monastère de Reichersperg, en Bavière, vivait un chanoine régulier, nommé Arnould, très dévot à la sainte Vierge. Se trouvant à l'article de la mort, il reçut les Sacrements, puis il fit venir ses confrères auprès de son lit, et les pria de ne pas l'abandonner dans ce dernier passage. Il avait à peine dit, qu'ils le virent trembler de tous ses membres, rouler des yeux hagards et se couvrir d'une froide sueur : "Ne voyez-vous pas, leur dit-il d'une voix entrecoupée, ces démons qui veulent m'entraîner en enfer" ? Ensuite il s'écria : "Mes frères, implorez pour moi le secours de Marie ; j'ai la confiance qu'elle me donnera la victoire." A ces mots, les assistants récitèrent Les Ltanies de la sainte Vierge ; et lorsqu'ils dirent : Sancta Maria, ora pro eo ; le moribond reprit : "Répétez, répétez le nom de Marie ; car je suis déjà au tribunal de Dieu." Il s'arrêta quelques instants, et puis il ajouta : "Il est vrai que je l'ai fait ; mais j'en fais pénitence." Et s'adressant alors à la divine Mère, il s'écria : "O Marie, je serai délivré, si vous venez à mon aide." Après cela, les démons lui donnèrent encore un assaut ; mais il se défendait avec le crucifix et en invoquant Marie.
Ainsi passa-t-il la nuit entière. Enfin, le matin venu, Arnould reprit un air serein, et s'écria plein de joie "Marie, ma Protectrice et mon Refuge m'a obtenu le pardon et le salut." Regardant ensuite la bienheureuse Vierge, qui l'invitait à la suivre : "Je viens, dit-il, ma Reine ! je viens." Il fit en même temps un effort comme pour la suivre, et il expira doucement. Si son corps demeura ici-bas, son âme du moins, nous en avons la confiance, suivit Marie au royaume de la gloire.
Voici à vos pieds, ô mon espérance, Marie, un pauvre pécheur, qui s'est fait bien des fois l'esclave volontaire de l'enfer. Si je me suis laissé vaincre par les démons, je le confesse, c'est pour n'avoir pas eu recours à vous, mon unique refuge : si je n'y eusse manqué, si toujours je vous eusse invoquée, jamais je n'aurais succombé. Grâce à vous, j'en ai la confiance, ô tout aimable Reine, je suis maintenant échappé aux mains des démons et rentré en grâce avec Dieu. Mais je tremble pour l'avenir, je crains de retomber dans l'esclavage du péché : je sais que mes ennemis n'ont pas perdu l'espoir de me vaincre encore une fois, et que déjà ils me préparent de nouveaux assauts, de nouvelles tentations. Ah ! ma Souveraine et mon refuge, secourez-moi, cachez-moi sous votre manteau, ne souffrez pas qu'on me voie redevenu leur esclace. A condition de vous invoquer, je suis assuré de votre secours et de la victoire ; mais il me reste une crainte : il pourrait m'arriver de ne pas me souvenir de vous dans les tentations, et d'oublier de vous invoquer.
Ainsi, ô Vierge sainte ! la grâce que je sollicite et que je désire obtenir de vous, c'est de me souvenir toujours de vous, surtout dans les combats que j'ai à soutenir ; accordez-moi d'être fidèle à vous invoquer fréquemment, en disant : Marie, secourez-moi ; secourez-moi, ô Marie ! -- Et quand enfin viendra le jour de ma dernière lutte contre l'enfer, à l'heure de ma mort, ah ! ma Reine, assistez-moi plus puissamment encore en ce moment-là, et vous-même, faites-moi penser alors à vous invoquer plus souvent, soit de bouche, soit au moins de coeur ; afin qu'en expirant avec votre doux nom et celui de votre divin Fils Jésus sur les lèvres, je puisse être admis à vous bénir et à vous louer en paradis, pour ne plus cesser de me tenir à vos pieds pendant toute l'éternité. Amen.
La foi nous enseigne qu'il est, non seulement permis, mais encore utile et conforme à la piété, d'invoquer et de prier les saints, et principalement leur Reine, la très sainte Vierge Marie, afin d'obtenir la grâce divine par leur intercession. Cette vérité, l'Église l'a définie en divers conciles, et elle a condamné comme hérétiques ceux qui réprouvaient l'invocation des saints comme injurieuse à Jésus-Christ, notre unique Médiateur. Si, après sa mort, Jérémie prie Jérusalem ; si les vieillards de l'Apocalypse présentent à Dieu les prières des justes ; si saint Pierre promet à ses disciples de se souvenir d'eux dans l'autre vie ; si saint Étienne prie pour ses persécuteurs ; si saint Paul prie pour ses compagnons et ses amis ; il est clair que les saints peuvent prier pour nous ; mais alors, pourquoi ne pourrions-nous pas supplier les saints d'intercéder en notre faveur ? D'un autre côté, saint Paul se recommande aux prières de ses disciples : Priez pour nous, dit-il aux Thessaloniciens ; saint Jacques exhorte les fidèles en ces termes : Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés. Nous pouvons donc, nous aussi,quêter les prières d'autrui, et en particulier celles des saints.
Que Jésus-Christ soit notre unique Médiateur de justice ; que lui seul nous ait obtenu par ses mérites la réconciliation avec Dieu ; qui le nie ? Mais, d'autre part, c'est une impiété de nier que Dieu se plaise à octroyer ses grâces en ayant égard à l'intercession des saints, et surtout à celle de la divine Mère, Marie, que Jésus désire tant de voir aimée et honorée de nous. Qui ne sait que l'honneur rendu aux parents rejaillit sur leurs enfants ? Les pères sont la gloire de leur fils, selon le Sage. Qu'on ne craigne donc pas d'obscurcir la gloire du Fils à force de louer la Mère, car honorer la Mère, c'est louer le Fils : "Il n'est nullement douteux, dit saint Bernard, que toutes les louanges que nous donnons à la Mère et à la Reine, retourne au Fils et au Roi. En effet, personne n'en doute, c'est en considération des mérites de Jésus-Christ que Marie fut inverstie de ce grand pouvoir qui la constitue Médiatrice, disons-nous non pas à titre de justice, mais à titre de grâce et par intercession. Saint Bonaventure n'hésite pas à l'appeler ainsi ; et saint Laurent Justinien demande : Comment ne serait-elle pas pleine de grâce, celle qui est devenue l'Échelle du paradis, la Porte du ciel, la véritable Médiatrice entre Dieu et les hommes ?
A ce propos, Suarez observe avec raison que prier la sainte Vierge de nous obtenir des grâces, c'est témoigner que nous nous défions, non pas de la miséricorde divine, mais de nous-mêmes et de notre indignité ; nous nous recommandons à Marie, afin que sa dignité supplée à notre misère.
Ainsi, que ce soit une chose utile et sainte de recourir à l'intercession de Marie, ceux-là seuls peuvent le révoquer en doute qui renoncent à la foi. Mais le point que nous prétendons établir ici, c'est que l'intercession de Marie nous est même nécessaire pour le salut, c'est-à-dire, pour parler avec précision, non pas absolument, mais moralement nécessaire. Et nous disons que cette nécessité découle de la volonté de Dieu même, lequel ne veut pas nous faire de grâces qui ne passent par les mains de Marie. C'est le sentiment de saint Bernard ; et nous pouvons ajouter, avec l'auteur du Règne de Marie, que ce sentiment est communément suivi aujourd'hui par les théologiens et les docteurs. Ainsi ont enseigné Vega, Mendoza, Paciuchelli, Segneri, Poiré, Crasset et un très grand nombre d'autres savants écrivains. Le Père Noël Alexandre lui-même, pourtant si réservé dans ses propositions, affirme aussi que la volonté de Dieu est que nous attendions toutes les grâces par l'intercession de Marie ; et il cite à l'appui le mot célèbre de saint Bernard : "La volonté de Dieu est que nous ayons tout par Marie." Le Père Contenson soutient la même doctrine ; il explique en ce sens les paroles adressées par Jésus du haut de la croix à saint Jean, et il les comment en ces termes : "Voilà votre Mère, comme si le Sauveur eût dit : Personne n'aura part aux mérites du sang que je répands, si ce n'est par l'intercession de ma Mère. Mes plaies sont les sources de la grâces ; mais les ruisseaux n'en couleront sur aucune âme que par le canal de Marie. Jean, mon cher disciple, vous serez aimé de moi en proportion de l'amour filial que vous aurez pour elle."
Selon saint Bernard, Dieu a comblé Marie de toutes les grâces, afin que tous les biens destinés aux hommes leur arrivent par elle comme un canal céleste : "Pareil à un aqueduc plein jusqu'au bord, elle donne à tous sa plénitude." Le saint fait en outre une réflexion bien remarquable ! Si, dit-il, avant la naissance de la bienheureuse Vierge, on ne voyait pas dans le monde ce courant de grâces qui s'épanchent aujourd'hui sur tous les hommes, c'est qu'alors cet Aqueduc si désirable y manquait. Marie a été donnée au monde afin que, par ce canal de grâces, les dons célestes descendent continuellement jusqu'à nous.
Le démon le saint bien ; aussi, de même que, pour réduire la ville de Béthulie, Holopherne en fit couper les aqueducs, cet esprit malin s'attache de tout son pouvoir à détruire dans les âmes la dévotion envers la Mère de Dieu ; car, ce canal salutaire une fois fermé, il lui devient facile de les subjuguer. "Voyez donc, conclut le même Père, voyez, âmes fidèlesm avec quelle affectueuse dévotion le Seigneur veut que nous honorions notre Reine ! Il a mis en elle la plénitude de tous les biens, afin de nous obliger à recourir sans cesse à elle avec une entière confiance en sa protection, et à reconnaître ainsi que, désormais, s'il est pour nous quelque espérance d'obtenir la grâce et d'arriver à la gloire, nous ne pouvons la voir réaliser que par l'entremise de Marie." -- Saint Antonin dit pareillement : "Toutes les grâces qui ont jamais été départies aux hommes, leur sont venues par le moyen de Marie."
Voilà pourquoi elle est comparée à la lune. Placée entre le soleil et la terre, dit saint Bonaventure, la lune renvoie à cette dernière la lumière qu'elle-même reçoit du soleil ; et Marie reçoit du soleil divin les célestes influences de la grâce, pour nous les transmettre ici-bas.
C'est pour le même motif que la saint Église l'invoque sous le titre de Porte du ciel : Felix coeli porta. Toute lettre de grâce émanée du roi passe par la porte de son palais ; ainsi, remarque saint Bernard, nulle grâce ne descend du ciel sur la terre, sans passer par les mains de Marie. Et, rendant raison de la même appellation, saint Bonaventure ajoute que nul ne peut entrer dans le ciel, sans passer par cette bienheureuse Porte qui est Marie.
Nous sommes encore confirmés dans notre sentiment par saint Jérôme, ou, comme certains le veulent, par un autre auteur ancien, dont le sermon sur l'Assomption a été inséré parmi les oeuvres de ce Père. On lit dans ce sermon que la plénitude de la grâce est en Jésus-Christ comme dans la tête, d'où découlent et se répandent en nous, ses membres, tous les esprits vitaux, c'est-à-dire, les secours divins nécessaires au salut ; et que la même plénitude se trouve en Marie comme dans le cou par lequel les esprits vitaux descendent dans les membres. Saint Bernardin s'empare de cette pensée et la développe : "C'est par la bienheureuse Vierge, dit-il, que toutes les grâces de la vie spirituelle descendent de Jésus-Christ, Chef sacré de l'Église, dans son corps mystique, c'est-à-dire dans les fidèles." Et, rendant compte de cette prérogative de la divine Mère, il ajoute : "Depuis qu'il a plu au Seigneur d'habiter dans le sein de la bienheureuse Vierge, elle a en quelque sorte acquis une certaine juridiction sur toutes les grâces ; car Jésus-Christ, en sortant de ses chastes entrailles, fit en même temps sortir d'elle, comme d'un céleste réservoir, tous les courants des dons divins. "-- Le saint répète la même chose ailleurs, et en tire cette conclusion qu'à partir de l'Incarnation du Verbe, "nulle créature n'a obtenu de Dieu une grâce quelconque, si ce n'est par les mains de notre bonne et tendre Mère."
Un auteur interprète dans le sens de notre thèse, le passage où Jérémie prédit, à propos de l'Incarnation du Verbe dans le sein de Marie, qu'une Femme environnera l'Homme-Dieu. "De même, dit-il, qu'une ligne tirée du centre d'un cercle ne peut en sortir sans passer par la circonférence, ainsi aucune grâce ne peut nous venir de Jésus-Christ, centre de tout bien, sans passer par Marie, qui, en recevant le Fils de Dieu dans son sein, l'a réellement environné de toute part."
Il résulte de là, selon saint Bernardin, que tous les dons, toutes les vertus et toutes les grâces, sont dispensés par les mains de Marie, à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut.
Richard de Saint-Laurent dit pareillement : "Dieu n'accorde aucun bien à ses créatures sans le faire passer par les mains de la Vierge Mère." Aussi le vénérable abbé de Celles exhorte chacun de nous à recourir à cette Trésorière des grâces, comme il l'appelle, assurant qu'elle est le seul canal par où le monde et chaque homme en particulier puissent recevoir les faveurs qu'ils attendent de Dieu.
On le voit clairement : en affirmant que toutes les grâces nous viennent par l'entremise de Marie, tous ces saints, tous ces pieux auteurs n'ont pas voulu attacher à leurs paroles ce sens restreint, à savoir : que de Marie nous avons reçu Jésus-Christ, la source de tout bien. Ils nous déclarent en termes formels, qu'à partir de la naissance de Jésus-Christ, et cela en vertu d'un décret divin, toutes les grâces provenant de ses mérite furent distribuées aux hommes, le sont actuellement, et le seront jusqu'à la fin du monde par les mains et moyennant l'intercession de Marie.
Pour conclure, nous dirons avec le Père Suarez que, selon le sentiment aujourd'hui universel de l'Église, l'intercession de Marie ne nous est pas seulement utile, mais encore nécessaire. Il ne s'agit pas ici, nous le répétons, d'une nécessité absolue : la médiation de Jésus nous est seule absolument nécessaire ; nous parlons d'une nécessité morale fondée sur cette raison que, comme le pense l'Église, d'accord avec saint Bernard, Dieu a décrété de ne nous accorder aucune grâce, si ce n'est par l'entremise de Marie. Et avnt saint Bernard, saint Ildephonse avec affirmé la même chose, en parlant ainsi à la glorieuse Vierge : "O Marie ! il a plu au Seigneur de remettre entre vos mains tous les biens qu'il a préparés aux hommes ; il vous a confié tous les trésors et toutes les richesses de ses grâces." Selon saint Pierre Damien, si Dieu n'a pas voulu se faire homme sans le consentement de Marie, c'est pour deux raisons : premièrement, afin de nous obliger à une extrême reconnaissance envers cette divine Mère ; secondement, pour nous apprendre que le salut de tous les hommes est remis à sa décision.
Saint Bonaventure considère le passage où le prophète Isaïe annonce, sous l'emblême d'une tige et de sa fleur, la naissance de Marie et celle du Verbe fait chair : Il sortira une tige de la Racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine, et sur cette fleur reposera l'Esprit du Seigneur ; or voici la réflexion que lui inspire ce beau texte : "Quiconque désire obtenir la grâce du Saint-Esprit, doit chercher la Fleur sur la Tige, c'est-à-dire Jésus en Marie : car par la Tige nous arrivons à la Fleur, et par la Fleur nous arrivons à Dieu. Et voulez-vous, ajoute-t-il, avoir cette Fleur ? tâchez, à force de prières. d'incliner vers vous la Tige, et vous l'aurez." Le Docteur Séraphique appuie ce conseil sur le texte de l'Évangile : "Les Mages trouvère l'enfant avec Marie sa Mère. Jamais," dit-il, "on ne trouve Jésus qu'avec Marie et par Marie ; ainsi donc," conclut-il, "celui-là cherche en pure perte Jésus-Christ, qui ne cherche pas à le trouver avec Marie." De là ce mot de saint Ildephonse : "Pour être serviteur du Fils, je veux l'être de la Mère." J'aspire à être le serviteur du Fils ; et, comme sela est impossible à quiconque ne l'est pas de la Mère, toute mon ambition est de mériter le titre de serviteur de Marie.
Vincent de Beauvains et Césaire racontent qu'un jeune gentilhomme, ayant dissipé dans la débauche les grands biens qu'il avait hérités de son père, s'était vu réduit à l'indigence, si bien qu'il était obligé de mendier son pain. Afin de cacher sa honte avec son nom, il avait pris le parti de quitter sa patrie et d'aller vivre ans une contrée lointaine ; déjà même il était en route, quand il fit la rencontre d'un ancien serviteur de sa maison. C'était un impie magicien. Voyant le pauvre jeune homme plongé dans la tristesse à cause de sa misère, il lui dit de se consoler, ajoutant qu'il allait le présenter à un prince généreux qui pouvoirait à tous ses besoins.
Il le prit en effet un beau jour et le mena dans un bois près d'une mare, où il se mit à parler avec un personnage invisible. Le jeune homme lui demanda à qui il parlait. Il lui répondit : "Avec le démon" ; et, le voyant épouvanté, il l'engagea à ne rien craindre. Il dit ensuite à l'esprit malin : "Seigneur, ce jeune homme est réduit à une extrême nécessité, et il voudrait recouvrer son premier état." -- "Pourvu qu'il veuille m'obéir," répondit l'ennemi du salut, "je le rendrai plus riche qu'auparavant ; il faut d'abord qu'il renie Dieu." A cette proposition, le malheureux fut saisi d'horreur ; mais pressé par le maudit magicien, il fit ce qu'on exigeait de lui, il renia Dieu. "Cela ne suffit pas," reprit le démon ; "il faut qu'il renie aussi Marie ; car, nous ne pouvons nous le dissimuler, c'est elle qui nous occasionne nos plus grandes pertes. Combien d'âmes ne retire-t-eille pas de nos mains pour les ramener à Dieu et les sauver" ! -- "Oh ! pour cela, non," répliqua le jeune homme : "je ne renie point ma Mère, celle qui est toute mon espérance ; j'aime mieux mendier le reste de ma vie." Et là-dessus, il s'en alla.
Comme il retournait sans son pays, il vint à passer devant une église dédiée à Marie ; il y entre tout désolé, va se prosterner devant l'image de la sainte Vierge, et le supplie avec larmes de lui obtenir le pardon de ses fautes. Cette bonne Mère se met aussitôt à prier son divin Fils pour ce misérable. Jésus lui dit d'abord : "Mais cet ingrat, ma Mère, vient de me renier" ! Comme elle ne cessait, malgré cela, de le prier, il ajouta : "O ma Mère, je ne vous ai jamais rien refusé ; je lui pardonne puisque vous me le demandez." Un homme avait secrètement observé tout ceci : c'était celui-là même qui avait acheté les biens du dissipateur. Témoin de la tendre commisération de Marie pour ce pécheur, il lui donna en mariage sa fille, qui était son unique enfant, et le fit héritier de toute sa fortune. Ainsi ce jeune homme récupéra, par l'entremise de Marie, la grâce de Dieu et même ses biens temporels.
Tu vois, mon âme, quelle belle espérance de salut et de vie éternelle le Seigneur t'a donnée lorsque, malgré les péchés, par où, si souvent, tu as mérité sa disgrâce et l'enfer, il a eu la bonté de t'inspirer une vive confiance dans la protection de sa Mère. Remercie donc ton Dieu et remercie aussi ta céleste Protectrice, Marie, qui a daigné te prendre sous sa tutelle, ainsi que t'en donnent l'assurance les innombrables faveurs que tu as reçues par son intercession.
Oui, ô ma tendre Mère, je vous remercie de tout le bien que vous avez fait à un malheureux déjà condamné à l'enfer. De combien de périls ne m'avez-vous pas délivré, ô Reine puissante, combien de lumières ne m'avez-vous pas obtenues de Dieu ! Quel si grand bien, quel si grand honneur avez-vous donc reçu de moi, pour être si empressée à me prodiguer vos faveurs ?
C'est uniquement à votre bonté que j'en suis redevable. Ah ! quand je livrerais mon sang et ma vie, ce serait peu pour m'acquitter envers vous : vous m'avez délivré de la mort ; vous m'avez fait recouvrer, comme j'en ai la confiance, la grâce de Dieu : en un mot, je vous dois tout. Que vous rendrais-je, ô mon aimable Souveraine ? tout ce que je puis dans ma misère, c'est de vous louer et de vous aimer à jamais.
Ah ! ne dédaignez pas l'hommage d'un pauvre pécheur épris d'amour pour votre bonté. Si son coeur est indigne de vous aimer, parce qu'il est plein de souillures et d'affections terrestres, il dépend de vous de le changer ; de grâce, changez-le. Attachez-moi à mon Dieu, et attachez-moi tellement que je ne puisse jamais plus me séparer de son amour. Vous demandez de moi que j'aime votre Dieu, et c'est la grâce que je vous demande ; obtenez-moi de l'aimer, et de l'aimer toujours, et je ne désire plus rien. Amen.
Un homme et une femme ayant coopéré à notre ruine, il convenait, remarque saint Bernard, qu'un autre homme et une autre femme coopérassent à notre réparation ; et c'est ce qu'ont fait Jésus et Marie. Sans doute, ajoute-t-il, pour nous racheter, c'était assez de Jésus-Christ seul ; mais il était plus convenable que les deux sexes concurussent à notre salut, comme ils avaient concouru à notre perte. C'est pourquoi le bienheureux Albert le Grand donne à Marie le titre de Coopératrice de la Rédemption. Elle disait elle-même un jour à sainte Brigitte que, comme Adam et Ève ont vendu le monde pour un seul fruit, elle et son divin Fils l'ont racheté d'un même coeur. Selon la pensée de saint Anselme, Dieu a bien pu créer le monde de rien ; mais, le monde s'étant perdu par le péché, Dieu n'a pas voulu le restaurer sans la coopération de Marie.
Suivant Suarez, la divine Mère a contribué à notre salut de trois manières : c'est d'abord qu'elle a mérité d'un mérite de convenance, comme disent les théologiens, l'Incarnation du Verbe ; c'est ensuite que, pendant sa vie mortelle, elle s'est appliquée avec beaucoup de zèle à prier pour nous ; c'est enfin qu'elle a fait généreusement le sacrifice de la vie de son Fils pour notre rédemption. Eh bien ! en récompense de l'immense gloire qu'elle a rendue à Dieu et de l'ineffable amour qu'elle nous a témoigné en travaillant ainsi à la réhabilitation de tous les hommes, Dieu a statué avec justice qu'aucun n'obtiendrait le salut, si ce n'est par son intercession.
Suivant Bernardin de Bustis, Marie s'appelle la Coopératrice de notre justification, parce que Dieu lui a confié toutes les grâces qu'il voulait bien nous faire. Et saint Bernard en conclut qu'elle est le centre et le point culminant des siècles, et comme le phare salutaire qui attira les regards des générations passées, qui doit attirer ceux de la génération présente, et de toutes les générations futures.
Personne, a dit Jésus, ne peut venir à moi si d'abord mon Père qui m'a envoyé, ne l'attire par sa grâce. Or, selon Richard, il dit pareillement : "Personne ne peut venir à moi si ma Mère ne l'attire par ses prières." Jésus est le fruit des entrailles de Marie, selon l'expression de sainte Élisabeth : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et béni est le fruit de votre sein. Mais celui qui veut le fruit, doit aller à l'arbre ; et partant, si quelqu'un veut trouver Jésus, il faut qu'il aille à Marie, qu'on ne trouve jamais sans trouver en même temps Jésus. Quand sainte Élisabeth vit la très sainte Vierge qui venait la visiter dans sa maison, ne sachant comment lui témoigner sa reconnaissance, elle s'écria avec une profonde humilité : Comment ai-je pu mériter que la Mère de mon Dieu vînt à moi ? -- Mais, demandera-t-on, sainte Élisabeth ne savait-elle pas qu'elle avait chez elle non seulement Marie, mais encore Jésus ? Au lieu donc de se dire indigne de recevoir la viste de la Mère, pourquoi ne se dit-elle pas plutôt indigne de recevoir celle du Fils ? -- Ah ! la sainte savait très bien que, lorsque Marie vient, elle amène avec elle Jésus ; en conséquent, il lui suffisait de remercier la Mère, sans nommer le Fils.
Il est écrit de la Femme forte : Pareille au navire d'un marchand, elle apporte son pain de loin. Telle est bien Marie, vaisseau béni qui apporta au monde Jésus-Christ, le Pain vivant descendu du ciel pour nous donner la vie éternelle. Je suis, dit-il, le Pain vivant descendu du ciel ; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. D'un autre côté, selon la remarque de Richard, tous ceux-là périront qui voguent sur la mer orageuse du monde en dehors de ce mystique navire, c'est-à-dire sans être protégés par Marie. Ainsi donc, ajoute-t-il, chaque fois que les tentations ou les révoltes des passions, si fréquentes dans cette vie, nous mettent en péril, il nous faut recourir à Marie et pousser vers elle ce cri de détresse : Au secours, ô notre Reine ! sauvez-nous, ou bien vous aller nous voir perdus.
D'après le glorieux saint Gaétan, nous pouvons bien demander les grâces, mais nous ne pourrons jamais les obtenir sans cet appui. Ce que confirma saint Antonin par cette belle expression : "Demander et vouloir obtenir les grâces sans l'intercession de Marie, c'est prétendre voler sans ailes." -- Pharaon confia à Joseph un plein pouvoir sur toute l'Égypte ; et, dès lors, tous ceux qui venaient au palais demander des secours, il les renvoyait en leur disant : Allez à Joseph ; ainsi, quand nous sollicitons des grâces, le Seigneur nous renvoie à la bienheureuse Vierge : Allez, dit-il, allez à Marie. Car il a décrété, assure saint Bernard, de ne rien nous accorder, si ce n'est par les mains de Marie. Si donc les Égyptiens ont pu dire à Joseph : "Notre salut est entre vos mains, nous avons bien plus de sujet," remarque Richard de le dire à Marie ; "car vraiment notre salut est en son pouvoir." Le vénérable Idiot exprime la même pensée dans les mêmes termes ; et Cassien, enchérissant encore, dit d'une manière absolue, que le salut de tout homme consiste à être favorisé et protégé par Marie ; en d'autres mots, celui-là se perd qui en est privé. Puissante Reine, lui dit saint Bernardin de Sienne, vous êtes la dispensatrice de toutes les grâces ; la grâce du salut ne peut donc nous venir que de votre main, et partant notre salut dépend de vous.
Richard a donc eu raison de dire : "Comme une pierre tombe dès qu'on ôte ce qui la soutient, ainsi une âme qui perd l'appui de Marie, tombe d'abord dans le péché et puis dans l'enfer."
Saint Bonaventure ajoute que Dieu ne nous sauvera pas si Marie n'intercède pas pour nous ; comme un enfant ne saurait vivre qui n'a pas de nourrice, dit-il encore, ainsi une âme ne saurait se sauver sans l'aide de Marie. "Que votre âme," conclut-il, "soit donc comme altérée des pratiques de dévotuion envers Marie ; attachez-vous à cette bonne Mère, et ne la quittez point que vous n'ayez reçu sa bénédiction en paradis."
Ici trouvent leur place les belles paroles adressées à Marie par saint Germain : "Qui jamais, ô Vierge très sainte, parviendrait sans vous à connaître Dieu ? Qui serait sauvé, s'il ne l'était par vous, ô divine Mère ? Qui pourrait, ô Vierge féconde, échapper aux périls de cette vie, si vous ne l'en délivrez ? Qui recevrait enfin de Dieu une grâce quelconque sinon par votre entremise, ô pleine de grâces" ? Et ailleurs il lui dit : "Si vous ne nous ouvriez la voie, nul ne marcherait dans les sentiers de la perfection, nul n'éviterait les atteintes de la chair et du péché."
Nous n'avons accès au Père éternel que par Jésus-Christ ; de même, nous n'avons accès auprès de Jésus-Christ que par Marie. C'est saint Bernard qui nous l'assure ; et bien belle est la raison qu'il en donne : "Le Seigneur, dit-il, veut que tous nous soyons sauvés par l'intercession de Marie, afin que ce divin Sauveur nous reçoive des mains de Marie, comme il nous a été donné par le moyen de Marie" ; et conséquemment, le saint proclame Marie la Mère de la grâce et de notre salut.
"Quel serait donc notre sort ? reprend saint Germain ; quel espoir nous resterait-il d'être sauvés, si vous nous abandonniez, ô Marie, vous qui êtes la Vie des chrétiens" !
Mais, si toutes les grâces passent par Marie, il faudra donc, quand nous implorerons l'intercession des saints, que ceux-ci recourent eux-mêmes à la médiation de Marie, s'ils veulent nous obtenir les grâces que nous leur demandons ?
Je répondrai d'abord que, prie en elle-même, cette conséquence ne renferme aucune erreur, aucun inconvénient. En vue d'honorer sa Mère, Dieu l'a établie Reine de tous les saints ; il lui plaît en outre de n'accorder des grâces que par son entremise ; quel inconvénient peut-il y avoir à dire qu'il oblige encore les saints à recourir à elle pour obtenir les grâces dont leurs protégés ont besoin ?
Cette doctrine est affirmée expressément par saint Bernard, saint Anselme, saint Bonaventure, Suarez et d'autres. "En vain, prierions-nous les autres saints," dit le premier ; :si Marie ne nous venait en aide, aucune grâce ne nous serait accordée." Un auteur explique dans ce sens les paroles suivantes de David : Tous les riches du peuple vous offriront leurs humbles prières. Les riches du peuple par excellence, c'est-à-dire du peuple de Dieu, ce sont les saints ; quand ils souhaitent quelque grâce pour l'un de leurs clients, ils s'adressent à Marie afin qu'elle la lui procure. "Nous n'avons pas coutume," remarque Suarez, "d'employer l'intercession d'un saint auprès d'un autre saint, vu que tous sont d'un même ordre ; mais nous faisons bien de les prier de se faire nos intercesseurs auprès de la Vierge, qui est leur Maîtresse et leur Reine." Et telle fut précisément, au rapport du père Marchese, la promesse de saint Benoît à sainte Françoise Romaine : lui apparaissant un jour, il l'assura de sa protection, et ajouta qu'il se ferait son avocat auprès de la divine Mère.
A l'appui de cette doctrine, citons encore les paroles de saint Anselme à la bienheureuse Vierge : "Grande Reine, ce que peut obtenir l'intercession de tous les saints faisant cause commune avec vous, votre intercession seule, sans leur concours, le peut de même. Et d'où vient cette puissance illimitée ? De ce que vous êtes la Mère de notre Sauveur à tous, l'unique Épouse de Dieu, la Reine du ciel et de la terre. Si vous ne parlez, aucun saint ne priera pour nous, aucun ne nous aiderai ; mais si vous consentez à intercéder pour nous, tous aussitôt nous prêteront le secours de leurs prières, et s'empresseront d'appuyer nos requêtes."
La sainte Église applique à Marie les paroles de la Sagesse : J'ai fait seule le tour du ciel ; et voici comment le Père Segneri justifie cette application : La première sphère céleste communique son mouvement à toutes les autres ; et quand la très sainte Vierge se met à prier pour une âme, elle entraîne tout le paradis à prier avec elle. Saint Bonaventure va plus loin et assure qu'en sa qualité de Reine, elle commande alors à tous les anges et à tous les saints de se joindre à elle et d'offrir à Dieu leurs prières en union avec les siennes.
C'est donc à bon droit que l'Église nous prescrit de saluer et d'invoquer la divine Mère sous le glorieux titre de notre Espérance : "O vous, notre Espérance, salut" ! L'impie Luther ne pouvait souffrir, disait-il, ce titre donné par l'Église romaine à Marie, à une simple créature. Car enfin, ajoutait-il, Dieu seul, et Jésus-Christ comme notre Médiateur, sont notre espérance, et, selon le mot de Jérémie, Dieu maudit quiconque met son espoir dans la créature. Mais quoi qu'il ait pu dire, l'Église nous enseigne par sa pratique universelle à invoquer Marie en ces termes : "O notre Espérance, salut" ! Celui qui place son espérance dans une créature indépendamment de Dieu, encourt certainement la malédiction de Dieu ; car Dieu est l'unique sour et le dispensateur de tous les biens ; la créature n'a rien, ne peut rien donner qu'elle n'ait reçu de lui. Mais s'il est vrai, comme nous l'avons prouvé, qu'en vertu d'un décret divin, tutes les grâces nous viennent par Marie comme par un canal de miséricorde, nous pouvons, nous devons même affirmer qu'elle est notre espérance.
Aussi saint Bernard n'hésitait pas à dire : "Mes enfants, en Marie est ma principale confiance ; Marie est toujours le fondement de mon espérance." Saint Jean Damascène priait la sainte Vierge en termes non moins expressifs : "Ma Souveraine, j'ai mis en vous toute ma confiance ; et, les yeux fixés sur vous, j'attends de vous mon salut." "Marie est toutes l'espérance de notre salut," dit également saint Thomas ; et saint Ephrem lui parle ainsi à elle-même : "Notre espérance n'a point d'appui en dehors de vous, ô Vierge très pure ; si donc vous voulez nous voir sauvés, recevez-nous sous l'aile de votre tendresse, et gardez-nous."
Pour conclure, je dirai avec saint Bernard : "Consacrons toutes les affections de notre coeur à honorer Marie, car telle est la volonté que nous a manifestée le Seigneur, en réglant que tout bien nous viendrait par l'entremise de cette divine Mère." Chaque fois donc que nous désirons et sollicitons une grâce, efforçons-nous de faire appuyer notre requête par Marie, et tenons-nous sûr de l'obtenir par elle: "Cherchons la grâce," dit saint Bernard, "et cherchons-la par Marie ; car si nous sommes indignes d'être exaucés, Marie en est digne, elle, et le faveur que nous souhaitons, elle la demandera pour nous."
Enfin, voulons-nous faire agréer au Seigneur l'offrande de quelque bonne oeuvre, de quelque prière ? suivons le conseil du même saint, ayons soin de remettre tout entre les mains de Marie ; par là. jamais nous ne serons rebuté.
C'est une histoire célèbre que celle de Théophile, écrite par Eutychien, patriarche de Constanttinople et témoin oculaire de ce que nous allons raconter. Elle est d'ailleurs confirméee par saint Pierre Damien, saint Bernard, saint Bonaventure, saint Antonin, et plusieurs autres que cite le Père Crasset.
Théophile était archidiacre de l'Église d'Adana, en Cilicie. Il jouissait d'une si grande estime, que le peuple le voulait pour évêque ; mais il refusa par humilité. Dans la suite, il se vit néanmoins déposer de sa charge sur une accusation mensongère de la part de ses envieux ; et il se laissa aveugler par le chagrin jusqu'à aller solliciter d'un magicien juif le remède à sa disgrâce. Celui-ci l'aboucha avec Satan, qui lui promit de l'aider, à condition qu'il renierait Jésus-Christ et la Vierge Marie, et lui remettrait, écrit de sa propre main, l'acte de ce renoncement. Théophile traça l'abominable écriture. Le jour suivant, l'évêque reconnut ses torts et en demanda pardon à Théophile et lui rendit sa charge ; mais, déchiré par le remords de sa conscience qui lui reprochait son énorme péché, le malheureux archidiacre ne faisait que pleurer. Il se rend enfin dans une église, et là, se jetant tout en larmes aux pieds d'une image de Marie : "O Mère de Dieu, lui dit-il, je ne veux pas me livrer au désespoir ; vous me restez encore, vous si compatissante, et qui pouvez me secourir."
Il passa ainsi quarante jours, pleurant sa faute et priant la sainte Vierge. Ce temps écoulé, la Mère de miséricorde lui apparut pendant la nuit et lui parla ainsi : "Ah ! Théophile, qu'as-tu fait ? tu as renoncé à mon amitié et à celle de mon Fils ; et en quelles mains ? dans les mains de ton ennemi, de mon ennemi" ! -- "Ma Souveraine," répondit le pécheur, "c'est à vous de remédier au mal que j'ai fait ; ne pensez plus qu'à me pardonner par votre divin Fils." Voyant en lui cette confiance, Marie lui dit : "Aie bon courage ; je vais prier Dieu pour toi." Fortifié par cette vision, Théophile ne fit que redoubler ses larmes, ses pénitences et ses prières sans s'éloigner de la sainte image. Tout à coup, Marie lui apparut de nouveau, et lui dit d'un air joyeux : "Console-toi, Théophile ; j'ai présenté à Dieu tes larmes et tes prières ; il les a reçues et t'a pardonné. Désormais, sois reconnaissant et sois fidèle." -- "O ma bonne Dame," répliqua Théophile, "cela ne suffit pas pour me consoler pleinement : l'ennemi tient encore entre ses mains l'écrit impie par lequel je vous ai reniés, vous et votre divin Fils ; vous pouvez me le faire rendre." Trois jours après, Théophile, en s'éveillant la nuit, trouva l'écrit sur sa poitrine.
Le lendemain, pendant que l'évêque se trouvait à l'église en présence d'un peuple nombreux, Théophile alla se jeter à ses pieds, lui raconta son histoire en pleurant à chaudes larmes, et lui remit entre les mains l'infâme billet, que l'évêque fit aussitôt brûler devant la multitude. Tous pleuraient de joie, exaltant la bonté de Dieu et la miséricorde avec laquelle Marie avait traité ce malheureux pécheur. Quant à lui, il retourna à l'église de la Vierge, et y demeura trois jours, au bout desquels il mourut plein de joie, en rendant grâces à Jésus-Christ et à sa sainte Mère.
O Marie, vous êtes à la fois Reine et Mère de miséricorde : tous ceux qui vous invoquent le reconnaissent à la munificience vraiment royale, à la tendresse toute maternelle avec lesquelles vous leur distribuez les grâces. Souffrez donc que je me recommande aujourd'hui à vous, moi si dénué de mérites et de vertus, et si chargé de dettes envers la Justice divine. O Marie, vous tenez la clef du trésor des divines miséricordes ; ne dédaignez pas un misérable, nel le laissez pas en proie à son extrême indigence. Prodigue de vos bienfaits envers tous les hommes, vous êtes accoutumée à donner plus qu'on ne vous demande ; montrez-vous la même à mon égard, Sainte Vierge ! protégez-moi ; c'est tout ce que je vous demande.
Si vous me protégez, je ne crains rien : rien du côté des démons, parce que vous êtes plus puissante que tout l'enfer ; rien du côté de mes péchés, parce qu'il vous suffit de dire une parole à Dieu pour m'obtenir un pardon général ; si vous m'êtes favorable, je ne crains rien, même de la colère du Seigneur, parce qu'une seule de vos prières l'apaise aussitôt. En un mot, si vous me protégez, j'espère tout, puisque vous pouvez tout. O Mère de miséricorde, je le sais, vous mettez votre plaisir et votre gloire à aider les plus misérables, et vous pouvez les aider, tant qu'ils ne sont pas obstinés. Je suis un pécheur, mais je ne suis pas obstiné, je veux changer de vie ; vous pouvez donc me secourir ; secourez-moi, sauvez-moi. Aujourd'hui, je me remets tout entier entre vos mains : dites-moi ce que j'ai à faire, et j'espère y réussir avec votre secour, ô Marie, ma Mère, ma lumière, ma consolation, mon refuge, mon espérance ! Amen, amen, amen.
L'autorité des mères sur leurs fils est si grande, qu'elles ne peuvent jamais devenir leurs sujettes, alors même qu'ils seraient rois et disposeraient d'un pouvoir absolu sur toutes les personnes vivant dans leurs états. Aujourd'hui que Jésus-Christ est assis dans les cieux, son humanité sainte y tient la première place à la droite du Père, en vertu de son union hypostatique avec la personne du Verbe ; même en tant qu'homme, il a le souverain domaine de tout le créé, sans en excepter Marie ; tel est l'enseignement de saint Thomas ; néanmoins, il reste toujours vrai que notre Rédempteur fut un certain temps soumis à l'autorité de Marie. L'Évangile atteste en effet que, pendant sa vie mortelle, Jésus voulut bien s'abaisser jusque-là : Il leur était soumis, dit saint Luc. Saint Ambroise avance mêne qu'ayant daigné prendre Marie pour sa Mère, Jésus-Christ était vraiment tenu, à ce titre, de lui obéir. En parlant des autres élus, remarque Richard, on dit qu'ils sont avec Dieu ; de Marie seule on peut dire qu'elle eut le double bonheur de se tenir soumise à la volonté de Dieu, et de voir Dieu se soumettre à la sienne. Des autres vierges, ajoute-t-il, il est écrit qu'elles suivent l'Agneau partout où il va ; mais de la Vierge Marie on peut dire qu'ici-bas le divin Agneau la suivait partout docilement.
Si donc il est vrai que dans le ciel Marie ne peut plus commander à son Fils , il est vrai aussi que ses prières sont les prières d'une Mère, et, comme telles, bien propres à obtenir tout ce qu'elles réclament. "C'est là le grand privilège de Marie," dit saint Bonaventure, "elle peut tout auprès de Dieu." Pourquoi ? Précisément pour la raison que nous venons d'indiquer, et que nous développerons ci-après, savoir, que les prières de Marie, sont les prières d'une Mère.
Tel est aussi le motif sur lequel se fonde saint Pierre Damien pour parler à la bienheureuse Vierge en ces termes : "Toute puissance vous a été donnée au ciel et sur la terre ; rien ne vous est impossible, vous pouvez même rendre aux désespérés l'espérance de la béatitude." Voici en effet ce que le saint ajoute : "Vous approchez de cet Autel ; de notre réconciliation, plutôt en commandant qu'en suppliant, comme maîtresse plutôt que comme servante." Cet autel au pied duquel les pécheurs trouvent miséricorde et pardon, c'est Jésus-Christ. Quand Marie sollicite de lui quelque grâce en notre faveur, ses prières ont tant de poids auprès de lui, ce divin Fils se montre si empressé de complaire à sa Mère, qu'il semble, non pas exaucer les humbles voeux d'une sujette, mais accomplir les ordres d'une Reine. Ainsi, Jésus se plaît-il à honorer cette Mère chérie qui l'a tant honoré lui-même ici-bas : il lui accorde sans délai tout ce qu'elle demande ou désire. Tout cela est confirmé par ces belles paroles de saint Germain : "O Marie, vous êtes toute-puissante pour sauver les pécheurs ; vos prières n'ont pas besoin d'être appuyées par qui que ce soit auprès de Dieu, parce que vous êtes la Mère de la Vie véritable."
Saint Bernardin de Sienne ne craint pas de dire que tout est soumis à l'empire de Marie, et que Dieu même lui obéit, ce qui signifie proprement dit que le Seigneur exauce ses prières comme s'il éxécutait ses ordres. "O Vierge Sainte, s'écrie à son tour saint Anselme, Dieu vous a placée si haut dans sa faveur que vous pouvez obtenir à vos dévots serviteurs toutes les grâces possibles ; -- car votre protection est toute-puissante, assure Côme de Jérusalem. ""Oui, Marie est toute-puissante, reprend Richard de Saint-Laurent, puisque, suivant toutes les lois, la Reine doit partager toutes les prérogatives du Roi ; et comme le Roi du ciel peut tout, il a communiqué son omnipotence à sa Mère. "De là saint Antonin conclut que Dieu a placé l'Église entière non seulement sous les auspices, mais encore sous le pouvoir de Marie.
Ainsi, la Mère devant avoir le même pouvoir que son Fils, le pouvoir sans bornes de Jésus-Christ a dû rendre Marie toute-puissante ; mais il reste toujours vrai que le Fils est tout-puissant par nature, et la Mère seulement par grâce. Or, cela se vérifie en la manière que nous avons indiquée plus haut : le Fils ne refuse à la Mère absolument rien de ce qu'elle lui demande. Sainte Brigitte en fut assurée par révélation ; elle entendit Jésus qui disait à Marie : "Ma Mère, vous savez combien je vous aime ; demandez-moi donc tout ce qu'il vous plaît ; je ne saurais manquer de faire droit à une requête quelconque de votre part." Et il lui déclara l'admirable motif de cette promesse : "Quand vous étiez sur la terre, jamais vous ne vous êtes refusée à faire quoi que ce fût pour mon amour ; il est donc juste que moi, maintenant assis dans le ciel, je ne me refuse jamais à faire ce dont vous me priez." Quand donc nous donnons à Marie le titre de toute-puissante, il faut l'entendre dans le sens possible à une créature, laquelle n'est point capable d'une perfection divine ; Marie est toute-puissante en ce sens que, par le moyen de la prière, elle obtient tout ce qu'elle veut.
C'est donc avec raison , ô notre grande Avocate, que saint Bernard vous dit : "Vous n'avec qu'à vouloir, et tout se fera," si vous voulez élever à une haute sainteté le pécheur le plus désespéré, il ne tient qu'à vous. -- Saint Anselme vous parle de même : "Dites que vous voulez notre salut, et nous serons infailliblement sauvés." Et le bienheureux Albert le Grand en conclut qu'on doit vous prier de vouloir, puisque tout ce que vous voulez, se fait nécessairement.
Encouragé par la pensée de cette souveraine puissance de Marie, saint Pierre Damien implorait sa pitié en ces termes : "Que votre bonté et le pouvoir dont vous disposez, vous engagent à nous secourir : plus vous êtes puissante, plus vous devez être miséricordieuse." Oui, ô Marie, oui, ô notre Avocate, votre coeur si tendre est incapable de voir les malheureux sans compatir à leur maux ; et votre crédit auprès de Dieu est assez grand pour sauver toute âme dont vous prenez la défense ; ah ! ne dédaignez pas de plaider la cause des misérables que vous voyez à vos pieds, et qui mettent en vous toutes leurs espérances. Si nos prières ne vous touchent point, suivez au moins l'impulsion de votre bon coeur, faites usage de cette toute-puissance dont le Seigneur vous a revêtue, afin qu'étant plus à même de nous faire du bien, vous en soyez plus miséricordieuse et mieux disposée à nous secourir. -- Or, il en est bien ainsi, car, au témoignage de saint Bernard, Marie est immensément riche en puissance et en miséricorde, à sa puissante charité répond la tendre compassion qui la porte à nous venir en aide, et elle ne cesse de nous le prouver par les effets.
Dès le même temps que Marie vivait sur la terre, son unique pensée, après la gloire de Dieu, était de secourir les malheureux. Elle jouissait dès lors du privilège de faire agréer et exaucer toutes ses requêtes ; nous le savons par ce qui se passa aux noces de Cana en Galilée. Le vin étant venu à manquer, la sainte Vierge fut touchée de l'affliction et de la confusion de ses hôtes, et elle pria son divin Fils de les consoler par un miracle Le vin manque, lui dit-elle. Jésus lui répondit : "Femme, que vous importe à vous et que m'importe à moi si le vin manque ? il ne me convient pas de faire aucun miracle maintenant ; le temps n'en est pas encore venu" ; ce temps sera celui de ma prédication lorsque je devrai confirmer ma doctrine par des prodiges. Par cette réponse, Notre-Seigneur semblait opposer un refus à la prière de sa Mère ; et pourtant, remarquons-le bien, Marie agit et parle tout comme si la grâce sollicitée lui eût été accordée. Elle dit aux gens de la maison de faire ce que son Fils ordonnerait, leur promettant qu'ils seraient consolés. Et, en effet, pour complaire à sa Mère, Jésus fit emplir d'eau de grandes urnes, et puis changea cette eau en un excellent vin.
Mais, direz-vous, si le temps fixé pour les miracles était celui de la prédication, comment ce premier miracle a-t-il pu se faire alors, contrairement au décret divin ? Il est vrai qu'à parler d'une manière générale, le temps des miracles n'était pas encore arrivé ; mais, de toute éternité, Dieu avait arrêté, par un autre décret général, que jamais aucune supplique de Marie ne serait rejetée. La glorieuse Vierge connaissait bien son privilège, aussi ne tint-elle nul compte du refus apparent de son Fils, mais elle fît comme si la grâce lui eût été accordée. Ainsi l'a entendu saint Jean Chrysostôme. Sur ces paroles : Femme, que vous importe à vous, et que m'importe à moi?, il remarque que, nonobstant une réponse si peu encourageante, Jésus ne laissai pas, pour honorer sa Mère, d'obtempérer à sa demande. Cette explication est ainsi confirmée par saint Thomas : "Par ces mots : Mon heure n'est pas encore venue, le Seigneur voulut témoigner qu'il eût refusé alors le miracle si tout autre le lui eût demandé ; mais parce que la solliciteuse était sa Mère, il le fit." Tel est aussi, selon Barrada, le sentiment de saint Cyrille, de saint Jérôme et de Jansenius de Gand.
En résumé, nulle créature ne saurait faire descendre sur nous, pauvres pécheurs, les divines miséricordes à l'égal de cette douce Avocate, que Dieu se plaît à honorer, non seulement comme sa Servante chérie, mais encore comme sa véritable Mère. C'est là ce que Guillaume de Paris disait à Marie elle-même : Il suffit à Marie de parler pour voir tous ses désirs accomplis par son Fils. Le Seigneur dit à l'Épouse des Cantiques, laquelle est une figure de Marie : Vous qui habitez dans les jardins, nos amis écoutent ; faites-moi entendre votre voix. -- Ces amis, ce sont les saints ; lorsqu'ils sollicitent quelque grâce au profit de leurs clients, ils attendent que leur Reine la demande à Dieu et l'obtienne ; car, nous l'avons démontré au Chapitre V, aucune grâce n'est accordée sans l'intervention de Marie. Or, à quelle condition Marie obtient-elle les grâces ? à la seule condition de faire retnetir sa voix aux oreilles de Jésus, comme lui-même l'y invite : Faites-moi entendre votre voix ; dès qu'elle parle, son Fils l'exauce. A propos du susdit passage des cantiques, l'abbé Guillaume fait parler ainsi Jésus à Marie : "O vous qui habitez les jardins célestes, intercédez avec confiance pour qui il vous plaira ; car je ne puis oublier que je suis votre Fils, au point d'avoir la pensée de refuser quelque chose à ma Mère." "Pour l'obtenir," ajoute un autre auteur, "elle n'a qu'à prononcer un mot ; pour elle, être entendue de son Fils, c'est être exaucée." Selon l'abbé Geoffroi, quoique Marie obtienne, elle aussi, en priant, elle prie néanmoins avec une certaine autorité de Mère d'où nous devons tenir pour indubitable qu'aucune de ses requêtes en notre faveur ne reste jamais sans effet.
Selon le récit de Valère Maxime, lorsque Coriolan tenait Rome assiégée, les prières de ses concitoyens et de ses amis ne purent le décider à se retirer ; mais, lorsque sa mère Véturie se présenta devant lui, il lui fut impossible de résister, et il leva le siège sans aucun retard. Or, les prières de la sainte Vierge sont bien plus efficaces que celles de Véturie, puisqu'elles s'adressent à un Fils bien plus reconnaissant et plus affectionné envers sa Mère. D'après le Père Justin de Miéchovie, un seul soupir de Marie a plus de valeur auprès de Dieu que les suffrages réunis de tous les saints. Et c'est mot pout mot ce que, contraint par l'ordre de saint Dominique, le démon lui-même avoua un jour par la bouche d'un possédé.
A son tour, saint Antonin parle ainsi : "Pour Jésus, la prière de la bienheureuse Vierge est une sorte de commandement, comme étant celle de sa Mère, et partant il ne saurait point ne l'exaucer." Dans la même pensée, saint Germain tient à Marie elle-même ce langage qui doit encourager les pécheurs à implorer la protection d'une si puissante avocate : "O Marie, cotre crédit auprès de Dieu est celui d'une mère auprès de son Fils, et il n'est pas de si grand pécheur à qui vous n'obteniez le pardon. Que pourrait en effet vous refuser un Dieu qui se plaît à contenter tous les désirs de sa vraie et immaculée Mère" ? Les saints du ciel ne pensent pas autrement. Sainte Brigitte les entendit un jour qui disaient à la Vierge : "O notre Reine bénie, qu'y-a-t-il qui dépasse votre pouvoir ? Une chose voulue par vous, est pour ainsi dire déjà faite." C'est ce qu'exprime heureusement un vers bien connu : Quod Deus imperio, tu prece, Virgo potes ! "Que le Seigneur commande, ou que ta voie le prie, tout s'accomplit de même, ô puissante Marie" !
Eh quoi ! s'écrie saint Augustin, c'est-ce pas chose digne de la bonté du Seigneur d'honorer ainsi sa Mère ? N'a-t-il pas déclaré qu'il était venu en ce monde, non pour abroger, mais pour accomplir la loi, qui nous ordonne entre autres choses d'honorer nos parents ? Selon saint Georges, archevêque de Nicomédie, une des fins que Jésus-Christ se propose en exauçant toutes les prières de sa Mère, c'est d'acquitter en quelque sorte la dette qu'il a contractée envers Celle dont il a reçu l'être humain. Le martyr saint Méthode s'écriait dans le même sens : "Réjouissez-vous, ô Marie, vous avez pour débiteur un Fils qui donne à tous et ne reçoit rien de personne. Nous autres, nous sommes tous redevables à Dieu de tout ce que nous avons, puisque tout vient de lui ; mais Dieu lui-même vous est redevable à vous, depuis qu'il a daigné prendre de vous la chair humaine."
Sur quoi saint Augustin reprend : "Marie ayant mérité de donner au Verbe divin ce corps qui nous a servi de rançon et qui nous a délivrés de la mort éternelle par son immolation, elle peut, mieux que tous les autres saints, nous aider dans l'affaire de notre salut." On lit également dans les oeuvres de saint Théophile, patriarche d'Alexandrie et contemporain de saint Jérôme : "Le Fils aime à être prié par sa Mère, parce qu'il veut accorder par amour pour elle tout ce qu'il accorde de grâces, et reconnaître ainsi le service qu'elle lui a rendu en le revêtant de la chair humaine." Enfin, dans sa liturgie, l'Église grecque parle ainsi à la Vierge : "Vous pouvez nous sauver tous, ô Marie, puisque vous êtes la Mère de Dieu ; l'autorité d'une Mère auprès de son fils donne à vos prières une valeur sans bornes."
Au souvenir de l'immense bienfait que le Seigneur accorda aux hommes quand il leur donna Marie pour avocate, saint Bonaventure lui adresse à elle-même ces paroles qui nous serviront de conclusion : "O immense, ô adorable bonté de notre Dieu, qui a daigné donner à des malheureux, à des criminels, une avocate telle que vous, ô notre Reine, qui pouvez, par votre intercession, leur obtenir tout ce qu'il vous plaît ! O ineffable clémence de notre Dieu, qui, ne voulant pas que nous ayons trop à redouter la sentence qu'il doit prononcer dans notre cause, nous a destiné pour avocate sa propre Mère et la Maîtresse de la grâce" !
Le père Razzi, camaldule, rapporte l'histoire d'un jeune homme, qui, par suite de la mort de son père, avait été envoyé par sa mère à la cour d'un prince. En lui faisant ses adieux, sa mère, qui était fort dévote à Marie, lui avait fait promettre de réciter chaque jour un Ave Maria avec cette invocation : "Vierge bénie, assistez-moi à l'heure de ma mort" ! Arrivé à la cour, le jeune homme se livra bientôt au vice avec un emportement qui obligean le prince de le congédier. Privé ainsi de tout moyen d'existence et ne sachant que devenir, l'infortuné se mit à courir les grands chemins, et à rançonner et parfois assassiner les voyageurs, sans toutefois renoncer à sa coutume de se recommander selon le conseil de sa mère, à la très sainte Vierge. Il finit par être arrêté et condamné à mort. La veille du jour marqué pour son supplice, il pleurait amèrement dans sa prison, en pensant à son déshonneur, à la douleur de sa mère, à la mort qu'il devait subir.
Voyant son extrême abattement, et voulant en profiter, tout à coup le démon lui apparaît sous la forme d'un beau jeune homme, et lui romet de l'arracher à la mort et de le tirer de sa prison, sous certaines conditions qu'il lui fera connaître. Le condamné se montrer prêt à tout. Jetant alors le masque : "Je suis le démon, dit le fantôme au jeune homme ; je suis venu pour t'aider ; mais d'abord il faut que tu renies Jésus-Christ et les saints sacrements." Le malheureux y consentit. -- "Maintenant," ajoute le malin esprit, "il faut encore renier la Vierge Marie et renoncer à sa protection." -- "Oh ! pour cela," réplique le jeune homme, "je ne le ferai jamais." Et aussitôt, s'adressant à Marie, il répète la prière qu'il a apprise de sa mère : "Vierge bénie, assistez-moi à l'heure de ma mort" ! A ces mots, le démon disparut.
Mais le jeune homme demeura excessivement affligé du crime énorme qu'il avait commis en reniant Jésus-Christ. Il eut cependant recours à la sainte Vierge, et elle lui obtint une grande douleur de tous ses péchés, qu'il confessa avec de vifs sentiments de contrition et en versant un torrent de larmes. Comme il se rendait au lieu du supplice, il rencontra en chemin une statue de Marie, et il la salua en récitant sa prière accoutumée : "Vierge bénie, assistez-moi à l'heure de ma mort." Il vit alors, et tous les assistants purent voir que la statue inclinait la tête comme pour lui rendre le salut. Vivement ému, il demanda qu'on lui permît de baiser les pieds de la statue, par un nouveau prodige, celle-ci étendit le bras, saisit le condamné par la main, et le retint avec tant de force qu'il fut impossible de l'arracher de là. A cette vue, tous les spectateurs de crier : "Grâce ! grâce" ! et la grâce fut accordée. Revenu ensuite dans son pays, ce jeune homme y mena une vie exemplaire, et se montra toujours dévoué à la bienheureuse Vierge, qui l'avait délivré de la mort temporelle et de la mort éternelle.
Auguste Mère de Dieu, je vous dirai avec saint Bernard : "Votre divin Fils vous écoute, et il est disposé à vous accorder tout ce que vous lui demanderez ; parlez donc, ô Marie, notre avocate, parlez pour nous, misérables que nous sommes." Daignez ne pas l'oublier : ce n'est pas pour votre seul avantage, mais pour le nôtre aussi, que vous avez été élevée à une si haute dignité et inverstie d'une si grande puissance. Si un Dieu a voulu se rendre votre débiteur en prenant de vous la nature humaine, ce fut afin que vous puissiez, à votre gré, faire part aux pauvres pécheurs des trésors de la miséricorde divine.
Nous sommes vos serviteurs, nous nous sommes consacrés d'une manière spéciale à votre culte ; je parle ainsi parce que j'ai la confiance d'être de ce nombre ; nous nous faisons gloire de vivre sous votre protection ; si vous faites du bien à tous, même à ceux qui ne vous connaissent pas ou qui négligent de vous honorer, à ceux même qui vous outragent et vous blasphèment, combien plus ne devons-nous pas espérer de votre bonté, qui va cherchant les malheureux pour les soulager, nous qui vous honorons, qui vous aimons, et qui nous confions en vous ! Nous sommes de grands pécheurs ; mais Dieu vous a enrichie d'une bonté et d'une puissance bien au-dessus de toutes nos iniquités. Vous pouvez nous sauver, vous le voulez ; et nous, de notre côté, nous voulons attendre de vous notre salut avec d'autant plus de confiance que nous en sommes plus indignes, afin de vous glorifier davantage dans le ciel, quand nous y entrerons par votre intercession.
O Mère de miséricorde, nous vous présentons nos âmes, autrefois belles, lavées qu'elles étaient dans le sang de Jésus-Christ, mais qu'ensuite nous avons horriblement souillées par le péché ; nous vous les présentons, afin que vous pensiez à les purifier. Obtenez-nous un sincère amendement ; obtenez-nous l'amour de Dieu, la persévérance, le paradis. Nous vous demandons de grandes choses, mais, quoi ! n'êtes-vous pas assez puissante pour nous les obtenir ? dépassent-elles les bornes de l'amour dont vous êtes l'objet de la part de Dieu ? Il vous suffit d'ouvrir la bouche et de prier votre divin Fils ; il ne vous refuse rien. Priez donc, ô Marie, priez pour nous, priez, et vous serez certainement exaucée, et nous serons infailliblement sauvés.
Combien de motifs nous font une loi d'aimer notre affectueuse Reine ! Quand même on louerait Marie d'un bout de l'univers à l'autre ; quand même on ne parlerait que de Marie dans tous les sermons ; quand même tous les hommes donneraient leur vie pour l'amour de Marie, ce serait peu encore pour honorer et reconnaître l'amour si tendre dont elle aime tous les hommes, sans en excepter les plus misérables pécheurs, ceuz-là du moins qui conservent en elle quelque sentiment de dévotion.
Le bienheureux Raymond Jourdain, qui prit par humilité le nom d'Idiot, disait que Marie ne sais se défendre d'aimer ceux qui l'aiment, qu'elle ne dédaigne pas de servir ceux qui la servent, et que, s'ils sont pécheurs, elle déploie toute la puissance de son intercession pour les réconcilier avec son divin Fils. "Telle est," continue-t-il, "sa bonté, telle est sa miséricorde, que nul, pour désespéré que paraisse son état ne doit craindre de se jeter à ses pieds ; car elle ne reposse jamais celui recourt à sa protection." Remplissant à notre égard l'office de l'avocate la plus dévouée, Marie offre elle-même à Dieu les prières de ses serviteurs, et spécialement celles qui lui sont adressées ; car, si le Fils intercède pour nous auprès du Père, Marie intercède pour nous auprès du Fils ; et elle ne cesse de traiter, auprès de l'un et de l'autre, la grande affaire de notre salut, et de nous obtenir les grâces que nous sollicitons.
Denis le Chartreux a donc raison de proclamer Marie l'unique Refuge des âmes abandonnées, l'Espérance des malheureux, et l'Avocate de tous les pécheurs qui ont recours à elle.
Et si quelque pécheur, tout en croyant à la puissance de Marie, manquait de confiance en sa miséricorde, et craignait que, vu l'énormité de ses fautes, elle ne refusât de l'aider, saint Bonaventure relèverait son courage, en lui disant : "Marie jouit auprès de son Fils d'un grand et singulier privilège : par sa prière, elle en obtient tout ce qu'elle veut. Or, ajoute-t-il, de quoi nous servirait cette grande puissance de Marie, si elle ne prenait nul souci de nous ? Mais bannissons tout doute à cet égard, conclut le Saint, et rendons d'incessantes actions de grâces au Seigneur et à sa glorieuse Mère, dans la persuasion que, si elle est auprès de Dieu plus puissante que tous les saints, elle est également l'Avocate la plus bienveillante et la plus zélée pour nos intérêts."
"Et en effet, ô Mère de miséricorde," s'écrie avec joie saint Germain, "quel autre, après votre Fils Jésus, se montre aussi affectionné que vous à nos personnes, aussi soucieux de notre bien ? Qui nous protège comme vous dans les maux dont nous sommes affligés ? Qui prend la défense des pécheurs à l'égal de vous ? Qui va comme vous jusqu'à combattre en quelque sorte pour eux ? O Marie, les soins dont vous nous entourez sont si efficaces et si tendres que nous ne parviendrons jamais à le comprendre."
"Les autres saints," ajoute le pieux Idiot, "peuvent plus en faveur de leurs clients particuliers qu'en faveur des autres ; mais Marie est l'Avocate et la Protectrice de tous, aussi bien qu'elle est la Reine de tous ; et elle prend à coeur le salut de tous."
Elle s'intéresse à tous les fidèles, sans en excepter les pécheurs ; c'est même de ceux-ci surtout qu'elle se glorifie d'être appelée l'Avocate, comme elle l'a déclaré à la vénérable soeur Marie Villani : "Après le titre de Mère de Dieu," lui dit-elle, "je me fais surtout gloire d'être nommée l'Avocate des pécheurs."
Le bienheureux Amédée assure que notre Reine se tient sans cesse en la présence de la divine Majesté et lui offre continuellement en notre faveur ses toutes-puissantes prières. "Du haut des cieux," ajoute-t-il, "elle connaît parfaitement nos misères et nos besoins, son coeur vraiment maternel, son coeut tout plein de bonté et de tendresse ne songe qu'à nous secourir et à nous sauver."
C'est pourquoi Richard de Saint-Laurent engage chacun de nous, si misérable soit-il, à recourir avec confiance à cette douce Avocate, en tenant pour certain qu'il la trouvcera toujours prête à l'assister. Car, selon l'abbé Geoffroi, Marie est toujours toute disposée à prier pour tout le monde.
Oh ! avec quel amour et avec quel succès cette douce Avocate traite nos intérêts éternels ! Parlant de l'Assomption de Marie : "Du milieu des exilés," dit saint Bernard, "s'est élevée vers la patrie une Avocate que son double titre de Mère du Juge et de Mère de miséricorde rend plus zélée et plus apte à plaider l'affaire de notre salut." Saint Augustin célèbre également l'affectueux empressement de Marie à prier pour nous, à supplier la divine Majesté de nous accorder la remise de nos péchés, le secours de sa grâce, l'éloignement des dangers, le remède des maux ; et il s'écrie : "O Marie, nous savons qu'entre tous les saints, vous êtes la seule Protectrice de la sainte Église." Et il dit bien ; car, ô notre Reine, bien que tous les saints désirent notre salut et prient pour nous, néanmoins, à la vue de cette charitém de cette tendresse que vous nous témoignez du haut des cieux, d'où votre prière fait descendre sur nous les flots des divines miséricordes, nous sommes bien obligés de confesser que vous êtes au cie notre unique Avocate, la seule qui s'emploie avec amour et zèle à procurer notre bonheur.
Qui, en effet, pourrait comprendre la sollicitude avec laquelle Marie intercède continuellement pour nous auprès de Dieu ? "Son ardeur à nous défendre est insatiable." Cette belle expression est de saint Germain. Oui, pressée par sa tendresse et par compassion pour nos misères, Marie prie toujours, et recommence toujours à prier, et ne se rassasie jamais de prier afin de nous préserver des maux qui nous menacent, et de nous obtenir les grâces dont nous avons besoin : son ardeur à nous protéger est vraiment insatiable.
Que nous serions à plaindre, nous, pauvres pécheurs si nous n'avions pas cette grande Avocate ! Elle est si puissante, si miséricordieuse, et en même temps si prudente et si sage, dit Richard de Saint-Laurent, que le divin Juge, son Fils, ne peut condamner les coupables dont elle prend la défense. De là cette exclamation de Jean le Géomètre : "Salut, ô vous qui mettez fin à tous les différends." Toutes les causes soutenues par cette très sage Avocate sont, en effet, autant de causes gagnées.
Voilà pourquoi saint Bonaventure désigne Marie sous le nom de la sage Abigaïl. Selon le récit de l'Écriture, cette femme fit si bien par ses éloquentes prières, qu'elle apaisa la colère de David contre Nabal ; et ce prince la bénit et la remercia de l'avoir, par ses gracieux procédés, empêcher de venger lui-même ses injures : Soyez bénie, vous qui m'avez retenu, lorsque j'allais me venger de ma propre main. Ce qu'Abigaïl fit pour Nabal, Marie le fait chaque jour au ciel, en faveur d'un nombre infin de pécheurs. Par ses sages et tendres prières, elle sait si bien apaiser la justice divine, que Dieu lui-même la bénit et la remercie, en quelque sorte, de ce qu'elle l'empêche ainsi de rejeter les coupables et de les punir comme ils le méritent.
C'est parce qu'il veut user envers nous de toute la miséricorde possible que, non cotnent de nous avoir donné Jésus comme principal Avocat, chargé de nous défendre auprès de lui, le Père éternel nous a encore donné Marie pour Avocate auprès de Jésus lui-même. Ainsi parle saint Bernard. Sans doute, ajoute-t-il, Jésus-Christ est l'unique médiateur de justice entre Dieu et les hommes ; lui seul peut, en vertu de ses mérites, et il veut conformément à ses promesses, nous obtenir le pardon de nos fautes et la grâce divine. Mais en Jésus-Christ nous redoutons encore la majesté divine qui réside toujours en lui, puisqu'il est tout à la fois homme et Dieu ; c'est pourquoi il a été nécessaire de nous assigner un autre avocat, auquel nous puissions recourir avec moins de crainte et plus de confiance. Eh bien ! le choix du Seigneur est tombé sur Marie, l'Avocate la plus puissante auprès de sa divine majesté, la plus miséricordieuse envers nous que nous puissions trouver.
Le même saint continue : Celui-là ferait injure à la bonté de Marie, qui appréhenderait encore d'aller se jeter aux pieds de cette douce Avocate, qui n'a rien de sévère, rien de terrible, qui n'est que prévenance, amabilité et tendresse. Lisez et relisez tant que vous voudrez, toute l'histoire évangélique ; et si vous y trouvez un seul acte de sévérité de la part de Marie, craignez alors de vous approcher d'elle. Mais vous n'en trouverez aucun ; ayez donc recours à elle avec une joyeuse confiance, et elle vous sauvera par son intercession.
Voici le discours touchant que Guillaume de Paris met dans la bouche du pécheur recourant à Marie : "O Mère de mon Dieu, dans l'état misérable où je me vois réduit par mes péchés, j'ai recours à vous avec une pleine confiance ; et si vous me rejetez, je vous représenterai que vous êtes d'une certaine manière tenue de m'assister, puisque toute l'Église vous appelle et vous proclame Mère de miséricorde. O Marie, vous êtes bien celle que Dieu chérit au point de l'exaucer toujours ; votre grande miséricorde n'a jamais manqué à personne ; votre douce affabilité n'a jamais dédaigné aucun pécheur, si coupable fût-il, dès qu'il s'est recommandé à vous.
"Eh quoi ! serait-ce à tort ou en vain que toute l'Église vous nomme son Avocate et le Refuge des malheureux ? Non, ô ma Mère, jamais il n'arrivera que mes fautes puissent m'empêcher de remplir l'auguste ministère de bonté dont vous êtes chargée, et en vertu duquel vous êtes à la fois l'Avocate et la Médiatrice de paix entre Dieu et les hommes, et, après votre divin Fils, l'unique Espérance et le Refuge assuré des misérables. Tout ce que vous avez de grâce et de gloire, et la dignité même de Mère de Dieu, vous en êtes redevable, s'il est permis de le dire, aux pécheurs ; car c'est à cause d'eux que le Verbe divin s'est fait votre Fils. Ah ! loin de cette divine Mère, qui a donné au monde la source de la miséricorde, loin d'elle la pensée de refuser sa miséricorde à aucun misérable qui l'appelle à son aide ! Ainsi, ô Marie, puisque c'est votre office de réconcilier les hommes avec Dieu, n'écoutez, pour venir à mon aide, que votre douce miséricorde, qui est bien plus grande que tous mes péchés."
Consolez-vous donc, ô âmes pusillanimes, dirai-je enfin avec saint Thomas de Villeneuve ; respirez et prenez courage, ô pauvres pécheurs ; cette auguste Vierge, Mère de votre Juge et de votre Dieu, est l'Avocate du genre humain : Avocate puissante, qui peut tout ce qu'elle veut auprès du Seigneur ; Avocate pleine de sagesse, qui connaît tous les moyens de l'apaiser ; Avocate universelle, qui accueille tout le monde et ne refuse à personne de le défendre.
Cette miséricorde à l'égard des pauvres pécheurs, notre céleste Avocate la manifesta d'une manière bien éclatante par ce qu'elle fit, selon Césaire et le Père Rho, en faveur d'une religieuse de Fontevreault, nommé Béatrix. Cette malheureuse s'était éprise d'une folle passion pour un jeune homme ; de concert avec lui, elle avait formé le complot de s'enfuir pour le suivre ; et un jour, en effet, elle s'en alla auprès d'une statue de Marie, déposa à ses pieds les clefs du couvent, dont elle était portière et partit sans pudeur. S'étant rendue dans une contrée éloignée, elle s'oublia jusqu'à faire le métier de courtisane, et vécut quinze années dans cette dégradation. Au bout de ce temps, elle rencontra dans la ville qu'elle habitait le pourvoyeur de son couvent ; et, persuadée qu'il ne pouvait la reconnaître, elle lui demanda s'il connaissait la soeur Béatrix. "Parfaitement," répondit-il, "c'est une sainte religieuse, et elle est à présent maîtresse des novices." Stupéfaite et tout interdite à cette réponse, la pécheresse ne savait que penser. Afin de savoir le mot de l'énigme, elle se travestit, et se transporta au couvent. Là, elle demanda la soeur Béatrix ; et voilà que se présente devant elle la sainte Vierge, sous les trait de cette statue même aux pieds de laquelle elle avait déposé ses clefs et ses vêtements. "Béatrix," lui dit la divine Mère, "sachez que, pour sauver votre honneur, j'ai pris vos traits, et rempli votre charge pendant ces quinzes années que vous avez vécu loin du couvent. Revenez à Dieu, ma fille ; mon Fils est encore prêt à vous recevoir ; faites donc pénitence, et tâchez de conserver, par une vie édifiante, la bonne réputation que je vous ai acquise ici." Elle dit, et disparut. Béatrix, touchée de reconnaissance pour cette extrême miséricorde de Marie envers elle, reprit l'habit religieux, et y vécut saintement le reste de ses jours. A sa mort, elle découvrit le tout pour la gloire de la Reine du ciel.
Glorieuse Mère du Sauveur, je le confesse, l'ingratitude dont j'ai si longtemps usé envers Dieu et vous, mériterait que, par un juste retour, vous me retirassiez tous vos soins ; car l'ingrat n'est plus digne des bienfaits. Mais, ma douce Souveraine, j'ai une haute idée de votre bonté ; je suis convaincu qu'elle surpasse de beaucoup mon ingratitude. Continuez donc, ô Refuge des pécheurs, et ne cessez jamais de secourir un pauvre pécheur qui se confie en vous. O Mère de miséricorde, daignez tendre la main à un malheureux qui est tombé, et qui implore votre pitié, Défendez-moi, ô Marie, ou bien dites-moi à qui je dois m'adresser qui puisse me défendre mieux que vous. Mais où irai-je chercher une Avocate plus compatissante et plus puissante auprès de Dieu que vous qui êtes sa Mère ? En devenant la Mère du Sauveur, vous fûtes investie de l'office de sauver les pécheurs, et vous m'avez été donnée pour me guider au port du salut ; ô Marie, sauvez celui qui a recours à vous.
Je ne mérite point votre amour ; mais le désir que vous avez de sauver ceux qui sont perdus m'inspire la confiance que vous m'aimez ; et si vous m'aimez, comment pourrai-je périr à jamais ? Ma chère Mère, si je me sauve par votre secours, comme je l'espère, je ne vous serai pas ingrat : par des louanges éternelles, je réparerai mon ingratitude passée ; et ce sera en vous consacrant toutes les affections de mon âme que je reconnaîtrai l'amour dont vous m'avez donné tant de preuves. Au ciel, où vous régnez et règnerez éternellement, je chanterai avec joie et sans fin vos miséricordes, et je baiserai cette main charitable qui m'a délivré de l'enfer autant de fois que je l'ai mérité par mes péchés. O Marie, ô ma libératrice ! ô mon espérance ! ô ma Reine ! ô mon Avocate ! ô ma Mère ! je vous aime, je vous aime, et je veux vous aimer à jamais. Amen, amen. Ainsi, j'espère, ainsi soit-il.
La grâce de Dieu est pour toute âme un trésor extrêmement désirable. "C'est un trésor infini," dit l'Esprit-Saint, "car elle élève ceux qui la possèdent à la dignité d'amis de Dieu." Aussi, Jésus, notre Rédempteur et notre Dieu, n'a pas dédaigné de donner ce titre à ceux qui sont en état de grâce et de leur dire : Vous êtes mes amis. Ah ! maudit soit le péché qui rompt les liens de cette belle amitiés ! Ce sont vos iniquités, dit Isaïe, qui ont mis la division entre vous et votre Dieu ; maudit soit le péché, qui, entrant dans une âme, la rend odieuse à Dieu, et, d'amie qu'elle était de son Seigneur, la rend son ennemie, selon cette parole du Sage : Dieu hait l'impie et son impiété.
Que doit donc faire celui qui a le malheur de se trouver dans l'inimitié de Dieu ? -- Il faut qu'il cherche un médiateur, qui lui obtienne son pardon et lui fasse recouver la divine amitié qu'il a perdue. "Console-toi, pauvre pécheur qui a perdu la grâce de Dieu," dit saint Bernard ; "ce Dieu lui-même t'a donné un Médiateur dans la personne de son propre Fils Jésus, lequel peut t'obtenir tout ce que tu désires."
"Mais, grand Dieu" ! s'écrie ici le Saint, "d'où vient que les hommes se figurent sévère ce miséricordieux Sauveur qui les a rachetés au prix de sa vie ? Comment peut leur paraître terrible celui qui est tout aimable ? Que craignez-vous, pécheurs, pourquoi manquez-vous de confiance ? Si ce sont vos péchés qui vous effraient, sachez que Jésus lui-même les a attachés à la croix avec ses mains déchirées, qu'il en a payé la peine à la justice divine et en a purgé vos âmes. Mais peut-être vous n'osez encore vous adresser directement à Jésus-Christ, peut-être sa majesté divine vous épouvante ; en se faisant homme, dites-vous, il n'a pas cessé d'être Dieu ; voulez-vous donc un autre avocat auprès de ce divin Médiateur ? Eh bien ! recourez à Marie ; elle intercédera pour vous auprès de son Fils, qui l'exaucera certainement ; et Jésus intercédera auprès de son Père, qui ne peut rien refuser à un tel Fils." Saint Bernard termine ainsi cette exhortation : "Cette divine Mère, ô mes enfants, est l'échelle des pécheurs ; c'est par elle qu'ils remontent à la hauteur de la grâce ; elle est ma confiance la plus assurée, elle est tout le fondement de mon espérance."
Voici comment l'Esprit-Saint fait parler la bienheureuse Vierge dans les Cantiques : "Je suis la défense de ceux qui recourent à moi, et ma miséricorde est pour eux comme une tour de refuge ; c'est pourquoi le Seigneur m'a établie Médiatrice de paix entre lui et les pécheurs." -- Marie, dit le cardinal Hugues sur ce texte, Marie est la Pacificatrice universelle : elle réconcilie Dieu avec ses ennemis, elle procure le salut à ceux qui sont perdus, le pardon aux pécheurs, la miséricorde aux désespérés. C'est pourquoi le divin Époux la trouve belle comme les pavillons de Salomon. Sous les pavillons ou les tentes de David, on ne traitait que de guerre ; mais sous ceux de Salomon, on traitait uniquement de choses pacifiques. Par cette comparaison donc, l'Esprit-Saint nous donne à entendre que cette Mère de miséricorde ne traite jamais de guerre et de vengeance contre les pécheurs, mais seulement de paix et de pardon.
Une autre figure de Marie sous ce rapport, ce fut la colombe qui, sortie de l'arche de Noé, y revint avec un rameau d'olivier, emblême de la paix que Dieu accordait au genre humain. C'est l'interprétation de saint Bonaventure : "O Marie, dit-il, vous êtes la fidèle Colombe qui, par son entremise auprès de Dieu, a ménagé au monde, après sa ruine, la paix et le salut." Céleste Colombe, elle apporta au monde submergé dans les eaux du péché, le rameau pacifique, le gage du pardon, quand elle donna le jour à Jésus-Christ, source de toute miséricorde ; et c'est elle qui, depuis lors, nous a obtenu, en vertu des mérites du sauveur, toutes les grâces que Dieu nous a faites. Et de même que la paix du ciel a été donnée au monde par Marie, comme le lui dit saint Épiphane, c'est par le moyen de Marie que, chaque jour encore, les pécheurs sont réconciliés avec Dieu. De là ces paroles que le bienheureux Albert le Grand lui met sur les lèvres : "Je suis la Colombe de Noé ; c'est moi qui apporte à l'Église la paix universelle."
"Nous avons encore une figure expresse de Marie dans l'arc-en-ciel, dit le cardinal Vitale, c'est Marie, toujours présente au tribunal de Dieu pour adoucir les sentences et les châtiments suspendus sur la têtes des pécheurs. "D'après saint Bernardin de Sienne, c'était de cet arc-en-ciel que parlait le Seigneur quand il disait à Noé : Je placerai mon arc dans les nuages, en signe de l'alliance entre moi et la terre... ; en le voyant, je me souviendrai de la paix perpétuelle que je fais avec les hommes. La bienheureuse Vierge est bien cet arc de paix éternelle, dit le saint, car, de même qu'à la vue de l'arc-en-ciel Dieu se souvient de la paix promise à la terre, ainsi, à la prière de Marie, il remet aux pécheurs les offenses qu'ils lui ont faites, et conclut la paix avec eux.
En outre, toujours pour la même raison, Marie est comparée à la lune. Cet astre, remarque saint Bonaventure, est entre le ciel et la terre, et Marie s'interpose continuellement entre Dieu et les hommes, elle apaise le Seigneur irrité contre les coupables, et éclaire ceux-ci pour les ramener à lui.
Et tel fut le principal office dont Dieu chargea Marie quand il la donna à la terre, à savoir, de relever les âmes déchues de la grâce, et de les réconcilier avec lui. -- Paissez vos chevreaux, lui dit le Seigneur en la créant. Les chevreaux, on le sait, représentent les pécheurs qui, dans la vallée du Jugement, devront rester à la gauche, tandis que les élus, figurés par les brebis seront placés à la droite. Or, dit l'abbé Guillaume en s'adressant à Marie, ces chevreaux vous seront confiés, ô puissante Reine, afin que vous les changiez en brebis, et que ceux qui, par leurs fautes, ont mérité d'être jetés à la gauche, soient admis à la droite par votre intercession. Ce commentaire s'accorde avec une révélation faite à sainte Catherine de Sienne. Le Seigneur lui déclara qu'il avait créé Marie, sa Fille bien-aimée, comme un doux appât pour prendre et attirer à lui les hommes, et particulièrement les pécheurs. Mais il faut noter ici la belle réflexion de Guillaume sur le texte sacré que nous venons de citer : "Dieu," dit-il, "recommande à Marie les chevreaux qui sont à elle : Paissez vos chevreaux ; parce que la Vierge ne sauve pas tous les pécheurs, mais seulement ceux qui la servent et l'honorent, quelques souillés qu'ils soient d'ailleurs. Quant à ceux qui vivent dans le péché," ajoute-t-il, "sans honorer Marie par quelque hommage spécial, et sans se recommander à elle pour sortir de leur triste état, ils ne sont point ses chevreaux ; au jour du jugement, ils seront misérablement placés à gauche pour être damnés."
Un gentilhomme désespérait de son salut à cause de l'énormité de ses fautes ; un religieux lui conseilla de se rendre dans une certaine église où l'on vénérait une image de Marie, et d'implorer le secours de cette bonne Mère. Il se transporte à l'église et, à l'aspect de la pieuse image, il se sent comme invité par la Vierge à se jeter à ses pieds et à prendre confiance. Il approche, se prosterne, et se dispose à baiser les pieds de la statue ; mais elle s'anime à l'instant, et lui présente à baiser sa main bénie sur laquelle il lit ces mots : Ego eripiam te de affligentibus te ; c'est-à-dire : "Mon fils, ne t'abandonne pas au désespoir ; je te délivrerai de tes péchés, et de toutes les craintes qui t'affligent." -- On rapporte qu'en lisant ces douces paroles, le pécheur conçut une si grande douleur de ses fautes, et fut pénétré d'un si ardent amour envers Die et sa tendre Mère, qu'il mourut là même aux pieds de Marie.
Oh ! combien de pécheurs obstinés sont attirés tous les jours à Dieu par cet Aimant des coeurs ! C'est ainsi qu'elle s'est appelée elle-même, en disant à sainte Brigitte : "Comme l'aimant attire le fer, ainsi j'attire les coeurs les plus endurcis pour les réconcilier avec Dieu." Et ce prodige se renouvelle, non pas rarement, mais chaque jour. Je pourrais en citer, pour ma part, un grand nombre de cas arrivés dans nos seules missions : souvent des pécheurs restés plus insensibles que le fer à tous les autres sermons, sont touchés de repentir et reviennent à Dieu, dès qu'ils entendent prêcher la miséricorde de Marie. Saint Grégoire dit que la licorne est une bête si féroce qu'aucun chasseur ne peut réussir à la prendre, mais qu'à la voix d'une vierge elle devient docile, s'approche et se laisse lier par elle sans résistance. Oh ! combien de pécheurs qui, plus intraitables que les bêtes férocesm fuyaient loin de Dieu, accourent auprès de la Reine des Vierges aussitôt qu'ils entendent sa voix, et se laissent doucement enchaîner par elle au joug du Seigneur !
D'après saint Jean Chrysostome, Marie a encore été élevée à la dignité de Mère de Dieu, afin que sa douce miséricorde et sa puissante intercession sauvent les misérables que leur mauvaise vie obligerait la justice divine à réprouver. "Il en est bien ainsi, assure saint Anselme, car c'est pour les pécheurs plue que pour les justes qu'elle est devenue Mère de Dieu ; Jésus-Christ n'a-t-il pas déclaré qu'il était venu appeler, non les justes, mais les pécheurs" ? Aussi la sainte Église n'hésite pas à chanter : Peccatores non exhorres, Sine quibus nunquam fores, Tali digna Filio : "Vous n'avez pas horreur des pécheurs, sans lesquels vous n'eussiez jamais été Mère d'un tel Fils." -- Et Guillaume de Paris va jusqu'à lui tenir ce langage encore plus pressant : "O Marie, vous êtes obligée à secourir les pécheurs, puisque tout ce que vous avez reçu de dons, de grâces et de grandeurs, en un mot, tout ce que renferme votre sublime dignité de Mère de Dieu, vous en êtes, s'il est permis de le dire, redevable aux pécheurs ; car c'est à cause d'eux que vous avez été rendue digne d'avoir un Dieu pour Fils." "S'il en est ainsi," conclut saint Anselme, "comment puis-je désespérer d'obtenir le pardon de mes fautes, quelle qu'en soit l'énormité" ?
Dans la messe de la vigile de l'Assomption, l'Église nous apprend que la Mère de Dieu a été transportée de la terre au ciel, afin d'intercéder pour nous auprès du Seigneur avec une entière assurance d'être exaucée. De son côté, saint Justin donne à Marie un nom qui signifie l'arbitre d'un différend, la personne à qui deux parties en procès remettent tous leurs titres. Par là, le saint veut faire entendre que, comme Jésus est notre Médiateur auprès du Père éternel, ainsi Marie est notre Médiatrice auprès de Jésus, notre Juge, qui remet à son pacifique arbitrage tous ses griefs contre nous.
Pour saint André de Crète, Marie est "la caution, la garantie, ou le gage de notre réconciliation avec Dieu." Et voici quelle est sa pensée : tout le désir de Dieu est de se réconcilier avec les pécheurs en leur remettant leurs fautes ; or, afin qu'ils ne doutent aucunement de sa disposition à leur pardonner, il leur en donne comme un gage dans la personne de Marie. De là, cette exclamation du même saint : "Je vous salue, ô vous qui êtes la paix entre Dieu et les hommes" ! Saint Bonaventure s'appuie sur cette pensée pour encourager le pécheur : "Tu crains peut-être, lui dit-il, que dans son courroux le Seigneur ne veuille tirer vengeance de tes fautes ;eh bien ! suis mon conseil, recours à l'Espérance des pécheurs, adresse-toi à Marie ; et si tu doutes aussi qu'elle consente à plaider ta cause, sache qu'elle ne peut s'y refuser : Dieu lui-même l'a chargée de secourir d'office les plus misérables."
Mais quoi ! s'écrie l'abbé Adam, un pécheur doit-il jamais craindre de périr, quand la Mère même de son Juge s'offre à lui servir de mère et d'avocate ? Et vous, ô Marie, ajoute-t-il ; vous, la Mère de miséricorde, dédaignerez-vous de prier votre divin Fils, qui est notre Juge, pour un autre fils, qui est le pécheur ? refuserez-vous d'intercéder en faveur d'une âme rachetée, auprès de son Rédempteur, qui est mort sur la croix pour sauver les pécheurs ? Oh ! non, vous ne le refuserez point ; vous vous emploierez avec toute l'ardeur de votre zèle à prier pour tous ceux qui ont recours à vous ; car vous savez que le Seigneur, qui a établi votre Fils Médiateur de paix entre Dieu et l'homme, vous a établie en même temps Médiatrice entre le Juge et le coupable.
Concluons avec saint Bernard : Pécheur, quel que tu sois, fusses-tu tout couvert de la fange de tes fautes, eusses-tu vieilli dans l'iniquité, garde-toi de te livrer au désespoir. Rends grâces à ton Seigneur qui, dans son désir de te faire miséricorde, ne s'est pas contenté de donner son Fils pour avocat, mais a voulu t'inspirer plus de courage encore et plus de confiance, en te remettant aux mains d'une Médiatrice qui obtient par ses prières tout ce qui lui plaît. Va donc, recours à Marie et tu seras sauvé.
L'histoire qu'on va lire est rapportée par Alain de la Roche et Bonifacius. Il y avait à Florence une jeune fille nommée Benoîte (Bénie), mais qui méritait bien plutôt le nom de maudite par la vie scandaleuse qu'elle menait. Par bonheur pour elle, saint Dominique vint prêcher dans cette ville. Elle alla un jour l'entendre par pure curiosité ; mais Dieu lui toucha le coeur par le moyen de ce sermon, tellement que, fondant en larmes, elle alla se confesser au Saint. Celui-ci l'entendit, lui donna l'absolution, et lui imposa pour pénitence la récitation du rosaire.
Mais bientôt, entrainée par la force de l'habitude, la malheureuse retomba dans ses désordres. Saint Dominique l'apprit, il alla trouver, et obtint qu'elle se confessât de nouveau. De son côté, afin de l'affermir dans le bien, Dieu lui fit voir un jour l'enfer, lui montra ceux qui, à cause d'elle, s'étaient déjà damnés, et la força ensuite de lire, dans un livre ouvert devant ses yeux, l'épouvantable série de ses péchés. A cette vue, la pénitente fut saisie d'horreur ; mais, pleine de confiance en la sainte Vierge, elle invoqua son secours, et comprit que cette miséricordieuse Mère lui obtenait du Seigneur le temps nécessaire pour pleurer ses énormes excès.
La vision finit là, et Benoîte se mit dès lors à vivre d'une manière exemplaire ; mais, ayant sans cesse devant les yeux l'affreux dossier qui lui avait été montré, elle adressa un jour cette prière à sa douce Consolatrice : "Ma mère, je le confesse, en punition de mes crimes, je devrais être maintenant au fond de l'enfer ; mais, puisque vous m'avez obtenu le temps de faire pénitence, ô Reine compatissante, je vous demande encore une grâce : je ne veux jamais cesser de pleurer mes péchés ; mais faites qu'ils soient effacés de ce livre." Marie entendit sa prière, lui apparut et lui dit que, pour obtenir ce qu'elle désirait, elle ne devait jamais perdre de vue le souvenir de ses péchés et de la miséricorde avec laquelle Dieu l'avait traitée ; elle devait penser sans cesse à la passion soufferte par Jésus pour l'amour d'elle, et considérer combien de malheureux étaient damnés pour des fautes moins nombreuses que les siennes ; elle lui révéla en même temps que, ce jour-là, un enfant de huit ans devait être précipité en enfer pour un seul péché. -- Benoîte ayant obéi fidèlement à la très sainte Vierge, Notre-Seigneur daigna un jour lui apparaître lui-même, et lui montrant le livre tant redouté, il lui dit : "Voici que tes péchés sont effacés, le livre est blanc ; écris-y maintenant des actes d'amour et de vertu." C'est ce que fît Benoîte, et elle mena depuis une vie sainte, qui fut couronnée par une sainte mort.
Si donc, ô ma très douce Souveraine, si votre office est, comme vous le dit Guillaume de Paris, de vous porter Médiatrice entre Dieu et les pécheurs, je vous adresserai la prière de saint Thomas de Villeneuve, et vous dirai : Montrez que vous êtes notre Avocate et, en ma faveur aussi, acquittez-vous de votre office. Ne me dites pas que ma cause est trop difficile à gagner, car je le sais, et tout le monde me l'assure : jamais cause défendue par vous, si désespérée fût-elle, n'a été perdue, et la mienne le serait ? Non, je ne le crains pas.
A la vérité, si je ne voyais que mes innombrables péchés, j'aurais lieu de douter de votre disposition à me défendre, mais quand je pense à votre immense miséricorde, et à l'extrême désir qui anime votre bon coeur, de secourir les pécheurs les plus désespérés, je ne saurais non plus m'arrêter à cette crainte-là. Et qui jamais s'est perdu, après avoir eu recours à vous ? Je vous appelle donc à mon secours, ô Marie, ma puissante Avocate, mon refuge, mon espérance et ma Mère ; je remet entre vos mains la cause de mon salut éternel ; je vous confie mon âme : elle était perdue, mais c'est à vous de la sauver. Je rends de continuelles actions de grâces au Seigneur qui me donne une si grande confiance en vous ; car je le sens : nonobstant mon indignité, cette confiance m'assure de mon salut.
Une seule crainte me reste et m'afflige, ô ma bien-aimée Reine, c'est que je vienne à perdre un jour, par ma négligence, cette confiance en vous. Je vous en supplie donc, ô Marie, par tout l'amour que vous portez à votre Jésus, conservez et augmentez sans cesse en moi l'heureuse confiance en vos prières par lesquelles j'espère avec certitude récupérer l'amitié divine. Cette amitié, je l'ai fortement méprisée et perdue par le passé ; mais, une fois recouvrée, j'espère la conserver par votre secours ; et ainsi, je l'espère encore, un jour enfin j'irai en paradis vous remercier et chanter les miséricordes de Dieu et les vôtres pendant toute l'éternité. Amen. Tel est mon espoir. Puisse-t-il être rempli ! Il le sera.
Saint Épiphane appelle la Mère de Dieu Multocula, c'est-à-dire, celle qui est tout yeux pour soulager nos misères ici-bas. Un jour, en exorcisant un possédé. on demanda au démon ce que faisait Marie : "Elle descend et elle monte ", telle fut la réponse de l'esprit malin. Par là, il voulait dire que cette bonne Reine ne fait autre chose que descendre sur la terre pour apporter des grâces aux hommes, et monter au ciel pour présenter nos suppliques au Seigneur et les lui faire agréer. Saint André d'Avellin avait donc raison d'appeler la bienheureuse Vierge la Femme d'affaires du paradis, celle que sa miséricorde tient toujours en action, et qui ménage des grâces à tous, justes et pécheurs. Le Seigneur, dit David, a les yeux ouverts sur les justes ; mais les yeux de Notre-Dame, observe Richard de Saint-Laurent, sont également fixés sur les justes et sur les pécheurs. C'est, ajoute-t-il, que les yeux de Marie sont des yeux de Mère, et qu'une mère regarde sans cesse son enfant, non seulement pour l'empêcher de tomber, mais encore pour le relever, s'il tombe.
Jésus-Christ lui-même a daigné manifester cette vérité à sainte Brigitte ; elle l'entendit un jour parler ainsi à sa glorieuse Mère ; "Ma Mère, demandez-moi tout ce que vous désirez." -- Tel est le langage que Jésus tient sans cesse à Marie dans le ciel ; car il aime à contenter cette Mère chérie en tout ce qu'elle lui demande. -- Mais que lui demande Marie ? Sainte Brigitte l'entendit qui répondait à son divin Fils : "Je demande miséricorde pour les misérables" ; comme si elle eût dit : "Mon Fils, vous avez voulu que je sois la Mère de miséricorde, le Refuge des pécheurs et l'Avocate des malheureux ; et vous me dites de vous demander ce que je veux ; mais, que puis-je vouloir, sinon que vous usiez de miséricorde envers les misérables ? c'est là que je vous demande : Misericordiam peto miseris."
"Ainsi, ô Marie," s'écrie avec attendrissement saint Bonaventure ; "vous êtes si pleine de miséricorde, si attentive à secourir les malheureux, que vous semblez n'avoir aucun autre désir, aucune autre sollicitude, que de les assister." Et, comme, entre tous les malheureux, les pécheurs sont les plus à plaindre, le vénérable Bède assure que Marie est continuellement occupée à prier son divin Fils pour les pécheurs.
Dès le temps même que Marie vivait sur la terre dit saint Jérôme, elle avait le coeur si compatissant et si tendre envers les hommes, que personne n'a jamais souffert de ses propres peines autant que cette bonne Mère souffrait celle des autres. Elle donna une belle preuve de cette commisération dont elle était pénétrée pour les peines d'autrui, dans le trait déjà cité des noces de Cana : le vin y étant venu à manquer, Marie n'attendit pas qu'on recourût à elle, remarque saint Bernardin, mais ce fut spontanément qu'elle se chargea du charitable office de consoler les affligés ; et, par pure compassion pour la peine des jeunes époux, elle intercéda auprès de son Fils, et en obtint le miracle du changement de l'eau en vin.
"Mais, ô bienheureuse Vierge," s'écrie ici saint Pierre Damien, "depuis que vous êtes élevée à la dignité de Reine du ciel, auriez-vous peut-être oublié vos pauvres serviteurs ? A Dieu ne plaise qu'on ait jamais une telle pensée ! reprend-il aussitôt ; une miséricorde telle que celle qui règne dans le coeur de Marie, ne saurait oublier une misère comme la nôtre. A Marie ne s'applique pas le proverbe si connu, que les honneurs changent les moeurs. Cela est vrai quant aux mondains, qui ne peuvent parvenir à quelque dignité sans s'enorgueillir et oublier leurs anciens amis restés pauvres ; il n'en est pas ainsi de Marie ; si elle se réjouit de son élévatopm. c'est qu'elle y trouve un moyen de secourir plus efficacement les malheureux."
C'est précisément pour ce motif que saint Bonaventure lui applique les paroles dites à Ruth : Vos dernières bontés ont surpassé les premières. Le saint entend par là, comme il l'explique ensuite, que la compassion envers les malheureux, déjà si grande en Marie, alors qu'elle était encore ici-bas, est encore bien plus grande aujourd'hui qu'elle règne dans les cieux. Et il en donne la raison : "Si cette divine Mère, dit-il, nous témoigne maintenant, par les innombrables grâces qu'elle nous obtient, une plus grande miséricorde, c'est qu'elle connaît mieux nos misères." "Oui," ajoute-t-il, "autant l'éclat du soleil surpasse celui de la lune, autant la compassion de Marie pour nous, maintenant qu'elle est dans la gloire, surpasse celle qu'elle nous portait ici-bas." Le saint conclut en ces termes : "Est-il au monde un homme qui ne jouisse de la lumière du soleil ? de même, il n'est personne sur qui ne tombent les rayons de la miséricorde de Marie." Voilà pourquoi elle est comparée au soleil ; et le docteur séraphique lui applique ce qui est dit de cet astre : Il n'est personne qui échappe à sa chaleur.
Cet enseignement est confirmé par une révélation de sainte Agnès à sainte Brigitte ; on y lit : Maintenant que notre Reine est étroitement unie avec son Fils dans le ciel, elle ne s'est pas dépouillée de la bonté qui lui est naturelle ; aussi fait-elle sentir les effets de sa tendresse à tous les hommes,s ans en excepter les pécheurs les plus impies. Et comme le soleil éclaire tous les corps, les terrestres aussi bien que les célestes ; ainsi, grâce à la douceur de Marie et par son entremise, il n'est personne au monde qui n'ait part aux divines miséricordes, pourvu qu'il les implore.
Au royaume de Valence, un grand criminel avait résolu de passer chez les Turcs et d'y prendre le turban ; il désespérait d'échapper autrement aux coups de la justice. Déjà même il se rendait au port pour s'embarquer lorsque, passant devant une église, il y entra et assista au sermon qu'y prêchait en ce moment le Père Jérôme Lopez de la Compagnie de Jésus. A ce sermon, qui roulait sur la miséricorde divine, le pécheur se convertit et se confessa au prédicateur lui-même. Celui-ci lui demandan s'il avait conservé quelque pratique pieuse en retour de laquelle Dieu lui aurait fait cette grâce insigne. "La seule dévotion que j'aie pratiquée, répondit-il, a été de prier chaque jour la sainte Vierge de ne pas m'abandonner."
Le même religieux rencontra un jour à l'hôpital un autre pécheur qui ne s'était pas confessé depuis cinquante ans ; toute sa religion pendant cet intervalle s'était réduite à ceci : quand il voyait une image de Marie, il la saluait et priait la divine Mère de ne pas le laisser mourir dans le péché mortel. Or, il raconta que, dans une rixe avec un de ses ennemis, son épée s'était rompue; et alors, se tournant vers le bienheureuse Vierge, il s'était écrié; "Hélas ! me voilà mort et damné. Mère des pécheurs ! secourez-moi." Et, en disant ses mots, il s'était trouvé, sans savoir comment, en lieu sûr. Cet homme fit une confession générale et mourut plein de confiance.
Selon saint Bernard, Marie se fait tout à tous ; elle ouvre à tous les hommes le sein de sa miséricorde, afin que tous reçoivent de sa plénitude : l'esclave, la liberté, le malade, la santé, l'affligé des consolations, le pécheur, la remise de ses fautes ; il n'est pas jusqu'à Dieu qui n'en reçoive une grande augmentation de gloire ; en un mot, il n'est personne qui ne ressente la chaleur de ce bienfaisant Soleil.
Et qui dans le monde pourrait ne pas aimer cette Reine tout aimable, s'écrie saint Bonaventure ? elle est plus belle que l'astre du jour, plus douce que le miel ; crai trésor de bonté, elle est tendre et affable envers tout le monde. Je vous salue donc, ô ma Souveraine et ma Mère, je dirai même mon Coeur, mon Ame ! Pardonnez-moi, ô Marie, si j'ose dire que je vous aime ; car, si je ne suis pas digne de vous aimer, vous êtes assurément bien digne d'être aimée de moi.
Selon une révélation faite à sainte Gertrude, lorsqu'on adresse avec dévotion à Marie ces paroles du Salve Regina : Eia ergo, Advocata nostra ! illos tuos misericordes oculos ad nos converte : "De grâce, ô notre Avocate, tournez vers nous vos yeux miséricordieux" ; -- cette bonne Mère ne peut s'empêcher de se rendre au désir de qui la prie ainsi.
"Oui," dit saint Bernard, "l'immense miséricorde de Marie remplit tout l'univers." Et, selon saint Bonaventure, cette Mère pleine de tendresse, a un tel désir de faire du bien à tout le monde, qu'elle se tient pour offensée, non seulement par ceux qui l'outragent positivement ; -- car il est des hommes, spécialement les joueurs, qui, dans la colère, poussent la perversité jusqu'à blasphémer et insulter cette douce Reine ; -- mais Marie se croit offensée aussi par ceux qui ne lui demandent jamais aucune grâce. "Ainsi, ô Marie" ! ajoute saint Hildebert, "vous nous enseignez à espérer des grâces au-dessus de nos mérites, puisque vous ne cessez de nous en distribuer qui dépassent de beaucoup ce que nous méritons."
Le prophète Isaïe avait prédit que la grande oeuvre de notre rédemption, aurait pour effet de préparer un trône où la divine miséricorde donnerait audience à notre misère. Quel est ce trône? "C'est Marie," répond saint Bonaventure, "car en elle, justes et pécheurs, tous les hommes trouvent les consolations de la miséricorde." Ensuite, il ajoute : "De même que Notre-Seigneur, Notre-Dame est pleine de miséricorde ; et la Mère, non plus que le Fils, ne sait refuser sa commisération à ceux qui l'implorent" : Dans le même sens, l'abbé Guéric fait parler ainsi Jésus à sa Mère : Ma Mère, je placerai en vous le siège de mon empire ; car c'est par vous que j'accorderai les grâces qui me seront demandées : vous m'avez donné ce que j'ai d'humain ; je vous donnerai ce que j'ai de divin, c'est-à-dire, la toute-puissance, en vertu de laquelle vous pourrez aider à se sauver ceux que vous voudrez.
Un jour que sainte Gertrude adressait avec ferveur à la Mère de Dieu les paroles citées plus haut : "Tournez vers nous vos yeux miséricordieux," elle vit tout à coup la bienheureuse Vierge, qui lui dit en montrant les yeux de son Fils qu'elle tenait dans ses bras : "Voici les yeux pleins de miséricorde qui se tournent à mon gré pour sauver ceux qui m'invoquent."
Comme un pécheur fondait en larmes devant une image de Marie, la priant de lui obtenir de Dieu son pardon, il entendit cette auguste Mère dire au Sauver enfant, qu'elle portait entre ses bras : "Mon Fils, ces larmes seront-elles versées en pure perte" ? Et il comprit que Jésus-Christ lui pardonnait.
Comment, en effet, pourrait-il périr, celui qui se recommande à cette clémente Reine, vu que le Sauveur lui-même, parlant avec la suprême autorité d'un Dieu, a promis à sa Mère d'user pour l'amour d'elle de toute la miséricorde qu'elle voudra envers ceux qui la prendront pour avocate ? Ceci fut révélé à sainte Brigitte : elle entendit Jésus-Christ qui adressait ces paroles à Marie : "En vertu de ma toute-puissance, je vous ai accordé, à vous mon auguste Mère, le pouvoir de faire grâce à tous les pécheurs qui invoqueront pieusement le secours de votre maternelle bonté, et de le faire de telle manière qu'il vous plaira."
Plein de confiance en considérant ce haut crédit de Marie auprès de Dieu, et son ineffable tendresse à notre égard, l'abbé Adam de Perseigne lui parlait ainsi : O Mère de miséricorde, votre bonté égale votre puissance, et vous n'êtes pas moins indulgente envers les pécheurs que votre intercession est efficace. Quand pourra-t-il se faire que vous refusiez votre compassion aux malheureux, vous qui êtes la Mère de la toute-puissance ? Jamais, car il vous est aussi facile d'obtenir une grâce quelconque, que de connaître nos misères.
Rassasiez-vous donc, ô grande Reine, s'écrie l'abbé Guéric, rassasiez-vous de la gloire de votre divin Fils, et, sinon pour nos mérites, du moins par compassion, laissez tomber ici-bas, pour nous, vos pauvres serviteurs et enfants, les miettes de votre table.
Si nos péchés nous inspirent de la défiance, disons avec Guillaume de Paris : Ma douce Souveraine, n'alléguez pas mes péchés contre moi, car, contre mes péchés, j'allègue votre miséricorde. Ah ! qu'il ne soit pas dit que mes péchés ont pu tenir en échec votre miséricorde ; elle peut bien plus pour me faire absoudre, que toutes mes fautes pour me condamner.
On lit dans les Annales des Capucins, qu'il y avait à Venise un célèbre avocat qui s'était enrichi par des moyens frauduleux et injustes ; de sorte qu'il vivait dans l'état de péché. Peut-être n'avait-il autre chose de bon que la coutume de réciter chaque jour certaine prière à la sainte Vierge ; et cependant, grâce à la miséricorde de Marie, cette pauvre dévotion lui valut d'échapper à la mort éternelle. Voici comment. Il avait eu le bonheur de se lier d'amitié avec le Père Matthieu de Basso ; et il lui faisait si souvent des insistances pour l'avoir à dîner, qu'enfin le bon religieux lui donna sa parole. En le voyant arriver, l'avocat lui dit : "Maintenant, mon Père, je vais vous faire une chose que vous n'avez jamais vue. J'ai un singe admirable qui me sert comme un valet : il lave les verres, met la table, ouvre la porte..." "Prenez garde," répondit le père, "que ce ne soit pas le singe, mais quelque chose de plus ; veuillez le faire venir ici." On appelle le singe, on l'appelle encore, on le cherche partout, et le singe ne paraît point. On le trouva enfin, caché sous un lit au rez-de-chaussée, mais l'on ne put le faire sortir de là. "Eh bien" ! dit alors le religieux, "allons nous-mêmes le trouver." Arrivé avec l'avocat à la retraite du singe : "Bête infernale," lui dit-il, "sors à l'instant, et je t'ordonne, au nom de Dieu, de déclarer qui tu es." Le prétendu singe répondit aussitôt qu'il était le démon. "J'attendais," ajouta-t-il, "que ce pécheur laissât passer un jour sans réciter sa prière accoutumée en l'honneur de la divine Mère ; car Dieu m'avait donné la permission de l'étrangler la première fois qu'il négligerait cette pratique, et de l'emporter en enfer." Là-dessus, le pauvre avocat se jette à genous et réclame l'assistance du serviteur de Dieu. Celui-ci le rassure, et commande à l'esprit malin de quitter cette maison, sans aucun dommage. "Je te permets seulement," ajouta-t-il, "de percer le mur en signe de ton départ." Il l'avait à peine dit, qu'on entendit un grand bruit, et l'on vit une ouverture faite au mur. A plusieurs reprises, mais toujours en vain, on essaya de la combler avec de la chaux et des pierres ; Dieu voulut qu'elle subsistât longtemps ; et l'on ne parvait à la fermer qu'en y plaçant, d'après le conseil du serviteur de Dieu, une plaque de marbre où était fixée une figure d'ange. Quant à notre avocat, il se convertit, et nous avons lieu de croire qu'il persévéra jusqu'à la mort dans ce changement de conduite.
O la plus grande et la plus sublime de toutes les créatures, Vierge très sainte, du fond de mon exil je vous salue, moi misérable qui, tant de fois, me suis révolté contre Dieu, moi qui mérite des châtiments et non des grâces, des rigueurs et non des miséricordes. Ma Souveraine, ce n'est pas la défiance, qui m'inspire ce langage, votre bonté m'est connue : je sais que, plus vous êtes grande, plus vous vous glorifiez d'être douce et bienfaisante ; je sais que vos immenses richesses ont du prix à vos yeux, précisément parce qu'elles vous permettent de venir en aide à notre indigence ; je sais que la pauvreté même de ceux qui vous invoquent, est un titre chez vous pour redoubler de zèle à les protéger, à les sauver.
C'est vous, ô ma Mère, qui pleurâtes un Fils mort pour l'amour de moi : vos larmes, offrez-les à Dieu, je vous en supplie, afin de m'obtenir une vraie douleur de mes péchés. Oh ! quelle douleur vous causèrent en ce jour les pécheurs ; dans quelle amertume, moi aussi, je vous plongeai par mes crimes ! O Marie, obtenez-moi la grâce de ne plus vous affliger du moins à l'avenir, vous et votre Fils, en renouvelant mes ingratitudes à votre égard. De quelle utilité me seraient vos lamermes si je continuais de me montrer ingrat envers vous ? Ah ! ma Reine, ne le souffrez pas. Vous avez suppléé à toute mon indignité ; vous obtenez de Dieu tout ce que vous voulez ; vous exaucez tous ceux qui vous prient ; eh bien ! voici deux grâces que je vous demande ; je les attends de vous avec assurance, je les veux : obtenez-moi d'être fidèle à Dieu, de ne l'offenser jamais plus, et de l'aimer le reste de ma vie autant que je l'ai offensé.
Il est impossible qu'un serviteur de Marie se damne, pourvu qu'il la serve fidèlement et qu'il se recommende à elle. -- A première vue, cette proposition paraîtra peut-être à quelques-uns bien hasardée ; mais je le prierai de ne pas la condamner, avant d'avoir lu les éclaircissements que je vais y donner.
Quand nous disons qu'il est impossible qu'un serviteur de la sainte Vierge se damne, cela ne s'étend point de ceux qui se prévalent de leur dévotion pour pécher avec plus de sécurité. C'est donc bien à tort, ce nous semble, que l'on nous blâme de tant exalter la miséricorde de Marie envers les pécheurs, sous prétexte que ces malheureux s'en autorisent pour pécher plus librement ; car nous disons que de tels présomptueux, par leur téméraire confiance, se rendent dignes de châtiment, et non de miséricorde. Ainsi, les pécheurs, dont il est ici question, sont ceux qui, au désir de s'amender, joignent la fidélité à servir et à invoquer la Mère de Dieu. Pour ceux-ci, je le soutiens, il est moralement impossible qu'ils se perdent ; et je trouve que ce sentiment est aussi celui du Père Crasset, et, avant lui , de Vega, de Mendoza, ainsi que d'autres théologiens. Mais, pour nous assurer qu'ils n'ont point parlé au hasard, voyons quel est sur ce point l'enseignement des docteurs et des saints. Que l'on ne s'étonne pas, si plusieurs de mes citations sont uniformes ; j'ai voulu les enregistrer toutes, afin de démontrer combien les auteurs sont d'accord sur cette question.
Selon saint Anselme, autant il est impossible que celui-là se sauve, qui, faute de dévotion envers Marie, n'est pas protégé par elle; autant il est impossible que celui-là se damne, qui se recommande à la Vierge, et sur qui elle abaisse ses regards avec amour. Saint Antonin exprime la même chose presque dans les mêmes termes, et va jusqu'à dire que les dévots serviteurs de Marie se sauvent nécessairement. "Comme il est impossible," écrit-il, "que ceux dont Marie détourne les yeux de sa miséricorce, parviennent au bonheur céleste ; ainsi ceux vers qui elle tourne ses regards et dont elle plaide la cause, seront nécessairement justifiés et glorifiés."
On remarquera d'abors la première partie de cette proposition, et ceux-là trembleront, qui font peu de cas de la dévotion à la Mère de Dieu, ou qui l'abandonnent par négligence. Les deux saints nous assurent qu'il est impossible de se sauver, quand on n'est point protégé par Marie. -- Et ils ne sont pas les seuls à l'affirmer ; écoutons le bienheureux Albert le Grand : "Ceux qui ne sont pas vos serviteurs, ô Marie, périront tous." Écoutons saint Bonaventure : "Celui qui néglige le service de Marie, mourra dans son péché. Non, celui qui ne recourt point à vous en cette vie, ô Vierge sainte, n'entrera point en paradis." -- Et dans un autre endroit, le séraphique docteur va plus loin : "Non seulement," dit-il, "ceux-là ne se sauveront point dont Marie détourne sa face, mais il ne leur restera même aucun espoir de salut." Et, longtemps avant lui, saint Ignace Martyr affirmait pareillement qu'aucun pécheur ne peut se sauver, si ce n'est par le secours de cette glorieuse Vierge, dont la miséricordieuse intercession en sauve un grande nombre qui, selon les lois de la justice divine, seraient damnés. Quelques-uns font difficulté d'admettre que cette pensée soit de saint Ignace ; mais au moins, dit le père Crassetm saint Jean Chrysostome se l'est appropriée. Elle se trouve aussi répétée par l'abbé Celles. Et l'Église applique dans le même sens à Marie ces paroles des Proverbes : Tous ceux qui ne m'aiment point, aiment la mort éternelle; -- car, comme l'observe Richard sur un autre passage où Marie est comparée à un vaisseau, "la mer de ce monde engloutira tous ceux qui se trouveront hors de ce navire sacré." -- Enfin, l'hérétique Écolampade lui-même regardait comme un signe certain de réprobation le peu de dévotion envers la Mère de Dieu ; aussi protestait-il que jamais il ne se rendrait coupable d'une marque de mépris envers elle.
D'un autre côté, la bienheureuse Vierge nous parle en ces termes : Celui qui m'écoute ne sera point confondu ; celui qui a recours à moi et qui suit mes conseils, ne se perdra point. "Celui donc," s'écrie saint Bonaventure, "qui s'attachera à votre service, celui-là, ô grande Reine, sera bien loin de se damner" ! "Non," ajoute saint Hilaire, "un serviteur de Marie ne périra pas, eût-il été dans le passé le plus grand des pécheurs."
Voilà pourquoi le démon fait tant d'efforts auprès des pécheurs, afin qu'après avoir perdu la grâce de Dieu, ils perdent encore la dévotion à Marie. Ayant remarqué qu'Ismaël, en jouant avec Isaac, lui faisait contracter de mauvaises habitudes, Sara voulut qu'Abraham le congédiât, et avec lui sa mère Agar : Chassez, lui dit-elle, cette servante et son fils. Ce n'était point assez pour elle que le fils fût éloigné, si la mère n'était point renvoyée en même temps ; elle pensait bien qu'autrement, le fils continuerait de fréquenter la maison, ne fût-ce qu'en venant voir sa mère. De même, c'est peu pour le démon que Jésus soit expulsé d'une âme : pour le contenter, il faut qu'elle bannisse aussi la Mère de Jésus : Chasse, dit-il lui aussi, cette servante avec son fils. Car il craint que la Mère ne ramène le Fils par son intercession. Or, sa crainte est fondée ; car, selon le docte Père Paciucchelli, "un pécheur fidèle à honorer la Mère de Dieu ne peut guère tarder à rentrer, grâce à elle, en possession de Dieu même."
C'est donc à bon droit que saint Ephrem appelait la dévotion à Marie "un sauf-conduit" pour éviter l'enfer ; et qu'il proclamait Marie elle-même "la protectrice des réprouvés." En effet, on ne saurait révoquer en doute le mot de saint Bernard, que "ni la puissance ni la volonté de nous sauver ne peuvent faire défaut à cette divine Mère." La puissance ne lui fait pas défaut, puisque, au témoignage de saint Antonin, il est impossible que ses prières soient rejetées. Saint Bernard affirme la même chose : "Ses prières," dit-il, "ne peuvent jamais rester sans effet," elle obtient tout ce qu'elle demande. Serait-ce la volonté de nous sauver qui manquerait à Marie ? Pas davantage ; elle est notre Mère, et désire notre salut plus ardemment que nous-mêmes. Si donc tout cela est vrai, comment un serviteur de Maire pourrait-il se perdre ? C'est un pécheur, dira-t-on ; mais si, avec fidélité et désir de s'amender, il se recommande à cette bonne Mère, elle se chargera de lui procurer les lumières nécessaires pour sortir de son mauvais état, le repentir de ses fautes, la persévérance dans le bien, et enfin une bonne mort. Est-il une mère qui, pouvant arracher son fils à la mort en toute facilité, et en demandant seulement sa grâce au juge, ne le ferait pas ? De toutes les mères, Marie est la plus tendre à l'égard de ses serviteurs dévoués ; et elle ne délivrerait pas un de ses enfants de la mort éternelle, alors qu'elle le peut sans aucune difficulté ? pourrions-nous le penser ?
Ah ! pieux lecteur, si nous trouvons en nous l'affection et la confiance à l'égard de la Reine du ciel, remercions-en le Seigneur qui nous as fait cette grâce, car, selon saint Jean de Damas, il ne l'accorde qu'à ceux qu'il veut voir sauvés. Voici les belles paroles par lesquelles ce grand saint ranime son espérance et la nôtre : "O Mère de Dieu, si je mets ma confiance en vous, je serai sauvé ; si vous daignez me protéger, je n'ai rien à craindre, car quiconque vous est dévoué, est par là même muni d'une armure qui lui assure la victoire, et que Dieu accorde à ceux-là seuls dont il veut le salut ". De là, cette belle exclamation du savant Erasme : "Salut, ô vous la terreur de l'enfer et l'espérance des chrétiens ! autant vous êtes grande et puissante, autant est assurée notre confiance en vous."
Oh ! combien il déplaît au démon de voir une âme persévérer dans la dévotion à la Mère de Dieu ! On lit dans la vie du Père Alphonse Alvarez, grand serviteur de Marie, que, comme il était un jour en oraison et se sentait tourmenté par des tentations impures, le démon lui dit : "Laisse là ta dévotion à Marie, et je cesserai de te tenter."
Le Seigneur a révélé à sainte Catherine de Sienne, comme le rapporte Louis de Blois, que, dans sa miséricorde et pour l'amour de son Fils unique dont Marie est la Mère, il a promis à la bienheureuse Vierge qu'aucun pécheur ne deviendra la proie de l'enfer, s'il se recommande à elle avec ferveur.
Le prophète David lui-même priait Dieu de le préserver de l'enfer en considération de son zèle pour l'honneur de Marie : Seigneur, j'ai aimé la gloire de votre maison... ; ne souffrez pas mon Dieu, que mon âme soit perdue et reléguée parmi les impies. Il appelle Marie la maison du Seigneur, parce qu'elle est bien véritablement la demeure qu'il s'est bâtie lui-même pour y venir habiter et y prendre son repos lors de son Incarnation, selon ce qui se lit au livre des Proverbes : La sagesse s'est bâti une maison.
"Assurément non," disait le saint Martyr Ignace, "celui-là ne périra point, qui s'appliquera à honorer la Vierge mère." Et cette pensée est encore appuyée par saint Bonaventure, qui s'exprime ainsi : "Elle est grande, ô ma Souveraine, la paix dont jouissent en cette vie ceux qui vous aiment ; et, dans l'autre vie, ils ne connaîtront pas la mort éternelle." -- Il n'est jamais arrivé, nous assure le pieux Louis de Blois, qu'un humble et zélé serviteur de Marie se soit perdu ; cela n'arrivera jamais.
Ah ! combien de pécheurs eussent été condamnés à jamais, ou seraient restés dans l'obstination, si Marie n'était intervenue auprès de son divin Fils, pour leur obtenir miséricorde ! Ainsi parle Thomas a Kempis. Il y a plus. Au sentiment de beaucoup de théologiens, et notamment de saint Thomas, la Mère de Dieu a obtenu à bien des personnes mortes en péché mortel, que leur sentence fût suspendue, et qu'elles revinssent à la vie pour faire pénitence.
Entre autres exemples cités par de graves auteurs, Flodoard, qui évrivait au Xe siècle, raconte celui d'un diacre de Verdun nommé Adelmar, que déjà on croyait mort et qu'on allait ensevelir, quand il se ranima et déclara avoir vu en enfer le cachot qui lui était destiné ; mais, ajouta-t-il, grâce aux prières de la bienheureuse Vierge, Dieu l'avait renvoyé dans le monde pour y faire pénitence. Au rapport de Surius, un romain du nom d'André, était mort dans l'impénitence, et Marie lui obtint également la faveur de revivre pour pouvoir mériter le pardon de ses péchés.
Personne ne doit avoir la témérité de s'autoriser de ces exemples ou d'autres semblables pour vivre dans le péché sous prétexte que, quand même il viendrait à mourir en mauvais état, Marie le préserverait de l'enfer. Car, s'il y aurait folie à se jeter dans un puits, avec l'espoir d'échapper à la mort par les soins de Marie, comme il est arrivé à quelques-uns en pareil cas, ce serait une folie bien plus grande encore de s'exposer au danger de mourir dans le péché, en comptant sur le secours de Marie pour échapper à l'enfer. Mais ces exemples doivent servir à ranimer notre confiance, par la pensée que, si l'intercession de cette divine Mère a pu même exempter de la damnation des personnes mortes en état de péché, à plus forte raison pourra-t-elle garantir de ce malheur ceux qui, pendant leur vie, recourent à elle avec l'intention de s'amender, et la servent fidèlement.
O Marie, notre Mère, nous vous le demandons avec saint Germain, qu'en sera-t-il de nous, qui sommes pécheurs, mais qui voulons nous amender et recourons à vous, ô Vie des chrétiens ? Saint Anselme nous assure, auguste Souveraine, que celui-là ne sera point condamné à l'enfer, pour qui vous aurez offert à Dieu, ne fût-ce qu'une fois, vos saintes prières. Ah ! priez donc pour nous, et nous serons sauvés. -- Nous entendons pareillement Richard de Saint-Victor s'écrier : Qui jamais osera me dire qu'au divin tribunal, je ne trouverai point mon Juge favorable, si j'ai pour défendre ma cause, la Mère de miséricorde ? -- Le bienheureux Henri Suson déclarait qu'il vous avait remis son âme : "Si donc," ajoutait-il, "le Juge veut condamner son serviteur, je demande que la sentence passe par vos mains." Il espérait que, cette sentence une fois entre vos mains miséricordieuses, vous en empêcheriez certainement l'exécution. Je dis et j'espère la même chose pour moi, ô ma très sainte Reine. C'est pourquoi je veux vous répéter sans cesse, avec saint Bonaventure : Ma Souveraine, j'ai mis en vous tout mon espoir ; et j'ai la ferme confiance de n'être pas perdu à jamais, mais de me voir un jour sauvé et tout occupé dans le ciel à vous louer et aimer sans fin.
En 1604, dans une ville de Belgique, se trouvaient deux jeunes étudiants qui, au lieu de s'appliquer à l'étude, ne pensaient qu'à vivre dans les plaisirs et la débauche. Une nuit entre autres, ils se rendirent chez une femme de mauvaise vie ; mais l'un se retira au bout de quelque temps ; l'autre resta. Arrivé dans sa demeure, le premier se déshabillait pour se mettre au lit, quand il se ressouvint de n'avoir pas récité ce jour-là les quelques Ave Maria qu'il avait coutume de dire en l'honneur de la sainte Vierge. Comme il était accablé de sommeil, cet acte religieux lui coûtait ; néanmoins, il fit un effort sur lui-même et s'en acquitta, quoique sans dévotion et presque en dormant ; ensuite, il se coucha.
Dans son premier sommeil, il entend tout à coup frapper rudement à la port; et, immédiatement après, la porte restant fermée, il voit devant lui son compagnon tout défiguré et tout hideux. "Qui es-tu" ? lui dit-il. "Eh quoi ! ne me reconnais-tu pas" ? répond le fantôme. "Mais, comment se fait-il que tu sois si changé ? tu ressembles à un démon" ! -- "Ah ! plains-moi, je suis damné ! - Comment cela ? -- Sache qu'au sortir de cette maison infâme, un démon s'est jeté sur moi et m'a étranglé. Mon corps est demeuré au milieu de la rue, et mon âme est en enfer. Sache en outre que le même chatiment t'attendait ; mais la bienheureuse Vierge t'en a préservé, grâce au faible hommage que tu lui rends, en récitant des Ave Maria. Heureux, si tu sais profiter de cet avis que te fait donner par moi la Mère de Dieu" ! Cela dit, le réprouvé entr'ouvrit son vêtement, laissa voir les flammes et les serpents qui le tourmentaient, et disparut.
Alors le jeune homme, fondant ne larmes, se jeta la face contre terre pour remercier Marie, sa libératrice ; et, pendant qu'il réfléchissait à la manière dont il devait dorénavant régler sa vie, il entendit sonner matines au couvent des Franciscains. A l'instant même, il s'écria : "C'est là que Dieu m'appelle à faire pénitence." Il partit sur l'heure pour aller au couvent prier les pères de le recevoir. Ceux-ci connaissant sa mauvaise vie, faisaient difficulté ; mais il leur raconta, en versant un torrent de larmes tout ce qui s'était passé ; et deux des religieux, s'étant rendus dans la rue indiquée, y trouvèrent en effet le cadavre de son malheureux compagnon, noir comme un charbon. Après cela, le protégé de Marie fut reçu et passa le reste de sa vie dans l'exercice de la pénitence.
La mort funeste du jeune libertin fut encore utile à un autre jeune homme nommé Richard, qui en avait été témoin oculaire. Il en fut si vivement frappé, bien que sa conduite fût déjà exemplaire, qu'il se décida, lui aussi, à entrer chez les Récollets. Il alla dans la suite prêcher la foi aux Indes, et passa enfin au Japon, où il eut le bonheur de mourir martyr de Jésus-Christ. Il fut brûlé vif.
O Marie, ô ma Mère bien-aimée, dans quel abîme de maux ne me trouverais-je pas plongé, si votre main miséricordieuse ne m'en avait tant de fois préservé ! Depuis combien d'années ne serais-je pas même en enfer, si vos prières toutes-puissantes ne m'avaient délivré ! Mes péchés graves m'y poussaient, la justice divine m'y avaient déjà condamné, les démons frémissants, brûlaient d'exécuter la sentence; vous êtes accourue à mon secours, ô Mère, sans que je vous eusse même priée, sans que je vous eusse invoquée et vous m'avez sauvé.
O ma chère libératrice, que pourrai-je jamais vous rendre pour un si grand bienfait, pour une si grande charité ? Après cela, vous avez vaincu la dureté de mon coeur, vous m'avez amené à vous aimer et à prendre confiance en vous. Et dans quels précipices ne serais-je pas encore tombé depuis, si votre main miséricordieuse ne m'avait tant de fois soutenu dans les périls imminents que j'ai courus !
Continuez, ô mon espérance, continuez de me présevcer de l'enfer, et avant tout, des péchés dansd lesquels je pourrais retomber ; ne permettez pas que j'aille vous maudire en enfer. Ma bien-aimée Souveraine, je vous aime ; comment votre bonté pourrait-elle souffrir de voir au nombre des réprouvés un serviteur qui vous aime ? Ah ! obtenez-moi de n'être plus ingrat envers vous et envers mon Dieu, qui, par amour pour vous, m'a comblé de tant de grâces. O Marie, que me dites-vous ? serai-je damné ? Je me damnerais, si je vous abandonnais ; mais pourrai-je encore vous abandonner ? pourrai-je encore oublier l'affection que vous m'avez témoignée ? Après Dieu, vous êtes l'amour de mon âme, je ne saurais plus vivre sans vous aimer. Je vous aime, oui, je vous aime, et j'espère vous aimer toujours, dans le temps et dans l'éternité, ô Créature la plus belle, la plus sainte, la plus douce, la plus aimable, qui soit au monde ! Amen.
Heureuses les âmes qui se dévouent au service de cette Reine compatissante ! elle ne se borne pas à les secourir en cette vie, sa protection les suit dans le purgatoire, où elle les assiste encore et les console. Ou plutôt, comme elles éprouvent là un plus grand secours, vu leurs souffrances et l'impuissance où elles sont de se soulager elles-mêmes, cette Mère de miséricorde redouble de zèle à leur venir en aide. Selon saint Bernardin de Sienne, dans cette prison où gémissent des âmes épouses de Jésus-Christ, Marie est comme souveraine maîtresse, elle y jouit du plein pouvoir soit d'adoucir leurs perines, soit même de les en délivrer entièrement.
D'abord, elle adoucit leurs peines. Expliquant les paroles de l'Écriture : J'ai marché sur les flots de la mer, le même Saint les applique à Marie et lui fait ajouter : "Si je marche sur les flots, c'est afin de visiter mes serviteurs et de leur porter secours dans leurs besoins et leurs tourments, parce que je suis leur mère." Les flots dont il est ici question, dit-il, sont les peines du purgatoire, ainsi appelées parce qu'elles sont passagères, à la différence de celles de l'enfer, qui ne passent jamais ; de plus elles sont comparées aux flots de la mer en raison de leur grande amertume. Or, pendant qu'ils sont au sein de ces peines, les serviteurs de Marie reçoivent souvent sa visite et ses consolations. On voit donc, observe Novarin, combien il importe d'honorer sur la terre cette excellente Riene, puisqu'elle ne sait oublier ses serviteurs dans les flammes expiatrices ; il est vrai qu'elle secoure toutes les âmes qui y sont plongées ; cependant, ses dévôt serviteurs sont traités avec plus d'indulgence et sont de sa part l'objet de ses soins plus empressés.
Voici en quels termes la divine Mère s'exprimait dans une révélation à sainte Brigitte : Je suis la Mère de toutes les âmes captives en purgatoire ; car à toute heure mes prières adoucissent de quelque manière les châtiment dus aux fautes qu'elles ont commises pendant leur vie mortelle.
Cette Mère compatissante ne dédaigne même pas d'entrer de temps à autre dans cette sainte prison, afin de consoler par sa présence ses enfants affligés. C'est ce que nous assure saint Bonaventure, en appliquant à Marie ce texte sacré : J'ai pénétré dans les profondeurs de l'abîme. Oh ! s'écrie saint Vincent Ferrier, combien Marie se montre prévenante et bonne envers les âmes qui souffrent dans le purgatoire ! par ses soins, leur courage est continuellement relevé et leurs souffrances allégées.
Et quelle autre consolation peuvent-elles avoir dans leurs peines, si ce n'est Marie, et l'assistance de cette Mère de miséricorde ? Aussi sainte Brigitte entendit un jour le Sauveur qui disait à sa Mère : "Vous êtes ma Mère, vous êtes la Mère de miséricorde, vous êtes la consolation de ceux qui sont en purgatoire." Et, selon une révélation de la bienheureuse Vierge elle-même à la même sainte, comme une parole amie ranime un pauvre malade abandonné sur son lit de douleurs, ainsi ces âmes affligées se sentent toutes consolées, rien qu'à entendre le nom de Marie. Oui, reprend Novarin, le seul nom de Marie, nom d'espérance et de salut que ces bonnes âmes invoquent souvent du fond de leur prison, est déjà pour elles un grand soulagement ; mais les prières que cette tendre Mère adresse ensuite à Dieu, dès qu'elle s'entend invoquer par elles, sont comme une rosée céleste qui vient les rafraîchir dans les vives ardeurs dont elles sont consumées.
Mais Marie ne se borne pas à consoler et à soulager ses serviteurs dans le purgatoire; souvent encore, elle les en retire par son intercession. Le sjour de son Assomption glorieuse, comme Gerson l'assure, toute cette prison des âmes demeura vide. C'est ce que confirme Novarin : "D'après des auteurs graves," dit-il, "Marie, sur le point de monter au ciel, demanda à son Fils la faculté d'emmener avec elle toutes les âmes qui se trouvaient alors en purgatoire." "Depuis lors," continue Gerson, "la bienheureuse Vierge est en possession du privilège d'en délivrer ses pieux serviteurs." Saint Bernardin de Sienne affirme la même chose comme indibutable : "Ce pouvoir," ajoute-t-il, "elle l'exerce tant par ses prières que par l'application de ses mérites, et cela en faveur de toutes les âmes, mais principalement de celles qui lui furent dévotes." Novarin exprime le même sentiment, à savoir que, par les mérites de Marie, non seulement les perines des âmes du purgatoire sont adoucies, mais encore le temps de leur expiation est abrégé. Une prière d'elle suffit.
Saint Pierre Damien rapporte qu'une femme, nommé Marozie, apparut après sa mort à une de ses amies, et lui apprit que le jour de l'Assomption, elle avait été, par Marie, délivrée du purgatoire avec d'autres âmes, dont le nombre dépassait celui des habitants de Rome. Selon Denis le Chartreux, la même chose arrive à la fête de Noël et à celle de Pâques ; "ces jours-là, assure-t-il, Marie descend dans le purgatoire, accompagnée d'une multitude d'anges, et en retire un grand nombre d'âmes." "Et," ajoute Novarin, "j'incline à penser qu'elle fait de même à toutes les fêtes solennelles qui se célèbrent en son honneur."
On connaît la promesse faite par la Reine du ciel au pape Jean XXII, lorsqu'elle lui apparut et lui ordonna de faire savoir à tous ceux qui porteraient le saint Scapulaire du Carmel, qu'ils seraient délivrés du purgatoire le premier samedi après leur mort. C'est ce que le Pontife lui-même déclara par une Bulle, comme le rapporte le Père Crasset. Cette Bulle fut confirmée par Alexandre V, Clément VII, Pie V, Grégoire XII, et Paul V, lequel dans un Décret de l'an 1613, s'exprime ainsi : "Le peuple chrétien peut croire pieusement que la bienheureuse Vierge assistera de sa continuelle intercession, de ses mérites, de sa protection spéciale, après leur mort, et principalement le samedi, jour qui lui est consacré par l'Église, les âmes des membres de la Confrérie de Notre-Dame du Mont-Carmel, morts en état de grâce, pourvu qu'ils aient porté le Scapulaire en gardant la chasteté selon leur état, et qu'ils aient récité le petit Office de la sainte Vierge, ou, s'ils n'ont pu le réciter, qu'ils aient observé les jeûnes de l'Église et se soient abstenus de manger de la viande les mercredis et les samedis, excepté le jour de Noël." Et, dans l'office pour la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, on lit également : Selon une croyance pieuse, la sainte Vierge console les confrères du Mont-Carmel dans le purgatoire avec la tendresse d'une mère, et, par son intercession, elle ne tarde pas à les en retirer pour les introduire dans la céleste patrie.
Ces grâces, ces privilèges, pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, les espérer, si nous faisons profession d'une vraie dévotion à cette bonne Mère ? Et si, par un plus tendre amour, nous nous distinguons entre ses serviteurs, pourquoi ne pourrions-nous pas espérer même d'être admis dans le ciel aussitôt après la mort, et sans entrer dans le purgatoire ? Voici du moins ce que la sainte Vierge envoya dire par le frère Abond au bienheureux Godefroi, de l'abbaye de Viller en Brabant : "Dis au frère Godefroi qu'il s'efforce d'avancer dans les vertus ; par là, il se rendra cher à mon Fils et à moi ; et, quand son âme se séparera de son corps, je ne souffrirai pas qu'elle aille en purgatoire, mais je la prendrai et je l'offrirai à mon Fils."
Enfin, si nous désirons aider de nos suffrages les saintes âmes du purgatoire, ne manquons pas de les recommander à la glorieuse Vierge dans toutes nos prières ; appliquons-leur spécialement le saint Rosaire, qui leur procure un grand soulagement, comme on le verra par l'exemple qu'on va lire.
Le père Eusèbe Nieremberg rapporte que, dans une ville d'Aragon, une jeune fille nommée Alexandra, noble et d'une grande beauté, était recherchée avec passion par deux jeunes gens. Ceux-ci, emportés par la jalousie, se prirent un jour de querelle, tirère l'épée et se tuèrent l'un l'autre. Outrés de douleur, les prents tournèrent leur ressentiment contre la pauvre demoiselle, cause première d'un si grand malheur, la mirent à mort et lui coupèrent la tête, qu'ils jetèrent dans un puits. A quelque temps de là, saint Dominique passa par la ville, et, par une inspiration divine, il s'approcha du puits et s'écria : "Alexandra, venez dehors." O prodige ! la tête de la mort apparaît, se place sur le bord du puits, et prie le saint de l'entendre en confession. Il l'entend ; puis, en présence d'une foule immense attirée par cette merveille, il lui donne la communion. Saint Dominique lui commanda ensuite de déclarer comme elle avait obtenu une si grande grâce. Alexandra répondit qu'au moment où on lui avait tranché la tête, elle se trouvait en état de péché mortel, mais que la bienheureuse Vierge lui avait conservé la vie en récompense de sa dévotion à réciter le Rosaire.
Pendant deux jours, la tête demeura ainsi vivante sur le bord du puits, à la vue de tout le monde, après quoi l'âme d'Alexandra s'en alla en purgatoire. au bout de quinze jours, elle apparut à saint Dominique belle et resplendissante comme une étoile, et lui fit qu'un des principaux moyens de secourir les âmes dans les peines du Purgatoire, c'est de réciter pour elles le rosaire, et qu'en retour, une fois entrées en paradis, elles intercèdent pour ceux qui leur ont appliqué cette puissante prière. Quand elle eut fini de parler, le saint vit cette âme bienheureuse s'élever toute transportée de joie, vers le royaume des élus.
NOTE DU TRADUCTEUR : Le père Van Ketwigh, savant dominicain dAnvers, dans son excellent ouvrage publié en 1720 sous le titre de Panoplia Mariana, défend contre toute critique ce miracle de saint Dominique. Il prouve au long, d'après les meilleures autorités, à la tête desquelles figure le Docteur Angélique, ce que saint Alphonse dit brièvement au paragraphe précédent, savoir, que la Mère de Dieu peut sauver certains pécheurs, même quand ils sont morts en état de damnation, en obtenant que leur jugement demeure suspendu jusqu'à ce qu'ils se soient dûment réconciliés avec Dieu.
O Reine du ciel et de la terre, ô Mère du Souverain Seigneur de l'univers, ô Marie la plus grande, la plus élevée des créatures, il est vrai que, sur la terre, il en est beaucoup dont vous n'êtes ni aimée ni connue ; mais, dans le ciel, combien de millions d'anges et de bienheureux vous aiment et vous louent sans cesse ! Ici-bas même, combien d'âmes heureuses brûlent d'amour pour vous, et sont toutes éprises de votre bonté ! Ah ! puissé-je vous aimer aussi, ma très aimable Souveraine ! puissé-je ne penser qu'à vous servir, à vous louer, à vous honorer, et à vous gagner tous les coeurs. Vous avez gagné, par votre beauté, le coeur d'un Dieu; vous l'avez, pour ainsi dire, arraché du sein de son père éternel, pour se faire homme et votre Fils ; et moi, misérable vermisseau, je ne vous aimerais pas ? Ah ! ma très douce Mère, je veux vous aimer, et vous aimer beaucoup, et je veux faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour amener aussi les autres à vous aimer. Agréez donc, ô Marie, agréez le désir que j'ai de vous aimer, et secondez mes efforts pour y parvenir.
Je sais que votre Dieu regarde d'un oeil de complaisance ceux qui vous aiment; après sa propre gloire, il ne désire rien tant que la vôtre, il veut vous voir honorée et aimée de tous. C'est de vous, ô ma Reine, que j'espère toute ma félicité : c'est vous qui devez m'obtenir le pardon de tous mes péchés, et ensuite la persévérance ; c'est vous qui devez m'assister à l'heure de ma mort ; c'est vous qui devez me retirer du purgatoire ; c'est vous, enfin, qui devez me conduire en paradis. Toutes ces grâces, ceux qui vous aiment les attendent de vous, et moi aussi je les espère, moi qui vous aime de tout mon coeur et par-dessus toutes choses après Dieu.
Oh ! le beau signe de prédestination, que la dévotion à Marie ! La sainte Église, appliquant à cette divine Mère les paroles de l'Ecclésiastique, lui fait dire pour la consolation de ses serviteurs : J'ai cherché en tout mon repos, et je fixerai mon séjour dans l'héritage du Seigneur. -- Heureux donc, s'écrie le cardinal Hughes en commentant ce texte ; heureux celui en qui Marie aura trouvai son repos ! La sainte Vierge, parce qu'elle aime tous les hommes, s'efforce de faire régner dans tous les coeurs la dévotion envers elle-même ; mais beaucoup ne veulent pas la recevoir, ou ne la conservent pas ; heureux celui qui la reçoit et la conserve ! -- Je demeurerai dans l'héritage du Seigneur, c'est-à-dire, selon le docte cardinal, dans le coeur de ceux qui sont l'héritage du Seigneur. -- l'héritage du Seigneur, c'est-à-dire, qui sont destinés à le louer éternellement dans les cieux. - La bienheureuse Vierge continue de parler ainsi, dans le passage cité de l'Ecclésiastique : Celui qui m'a créée a reposé dans mon tavernacle ; il m'a dit : Habite en Jacob, prends Israël pour héritage, et enracine-toi dans mes élus ; ce qui signifie : Mon créateur a daigné venir reposer dans mon sein ; il a voulu que j'habite dans le coeur de tous les élus, dont Jacob fut la figure et qui sont mon héritage ; il a décrété que la dévotion et la confiance envers moi s'enracineraient dans le coeur de tous les prédestinés.
Ah ! combien de bienheureux qui ne seraient pas au ciel à l'heure qu'il est, si Marie ne les y avait introduits par sa puissante intercession ! C'est la réflexion du Cardinal Hughes à propos de cet autre verset de l'Ecclésiastique : J'ai fait briller dans les cieux une lumière inextinguible. Il y a au ciel autant de lumières éternelles qu'il y a eu sur la terre de serviteurs de Marie.
Saint Bonaventure dit que la porte du ciel s'ouvrira devant tous ceux qui se confient en la protection de Marie. Aussi, la dévotion à cette auguste Mère est de la céleste Jérusalem. Et le dévot Louis de Blois lui parle en ces termes : Grande Reine, c'est à vous que sont confiés les trésors et les clefs du royaume des cieux. -- Nous devons donc lui répéter avec saint Ambroise : Ouvrez-nous, ô Marie, les portes du paradis, car vous en avez les clefs, ou plutôt, comme le proclame la sainte Église, vous êtes vous-même la Porte du ciel.
Pour le même motif, l'Église appelle encore Marie l'Étoile de la mer : Ave Maris Stella ! car, dit saint Thomas, comem les navigateurs se dirigent vers le port par le moyen des étoiles, ainsi les chrétiens sont guidés vers le paradis par le moyen de la bienheureuse Vierge.
Pour le même motif encore, elle est appelée, par saint Fulgence, l'Échelle du ciel, parce que par elle Dieu est descendu du ciel sur la terre, afin que par elle aussi les hommes méritent de monter de la terre au ciel : "Vous avez été remplie de grâces, ô Marie, s'écrie saint Anathase le Sinaïte, afin de devenir pour nous la voie du salut, et l'échelle par où nous puissions arriver à la céleste patrie."
Enfin, et toujours pour la même raison, Marie est proclamée par saint Bernard et par Jean le Géomètre, le noble char qui transporte ses pieux serviteurs au ciel. Et saint Bonaventure lui tient ce langage : "Heureux ceux qui vous connaissent et vous louent ô Mère de Dieu ! car vous connaître, c'est avoir trouvé le chemin de l'immortalité ; et publier vos vertus, c'est marcher dans la voie du salut éternel."
On lit dans les chroniques franciscaines, que le frère Léon vit un jour une échelle rouge, au sommet de laquelle se tenait Jésus-Christ, et une échelle blanche, au haut de laquelle se tenait Marie. Plusieurs voulaient monter par l'échelle rouge ; mais, après avoir fait quelques degrés, ils tombaient ; ils recommençaient de nouveau, et ils tombaient de nouveau. Alors, saint François les engagea à prendre la voie de l'échelle blanche, et par là ils arrivèrent heureusement ; car la bienheureuse Vierge leur tendit la mains ; ils entrèrent ainsi sans obstacle en paradis.
Un auteur demande quel est celui qui se sauve, qui parvient à régner dans le ciel ? et il répond : Ceux-là se sauvent et arrivent certainement au royaume des cieux, pour qui la Reine de miséricorde offre à Dieu ses prières. Et Marie l'affirme elle-même lorsqu'elle dit : Par moi règnent les rois. Par l'effet de mon intercession, les âmes règnent d'abord sur la terre, le temps de leur vie mortelle, en dominant leurs passions ; et elles viennent régner éternellement dans le ciel, dont les habitants, suivant l'expression de saint Augustin, sont autant de rois : Quot cives, tot reges. En un mot, Marie est la Maîtresse du ciel, puisqu'elle y commande à son gré et y fait entrer ceux qu'elle veut, comme le dit Richard de Saint-Laurent, en lui appliquant ces paroles de l'Écriture : J'exerce ma puissance dans Jérusaleme. Et de fait, ajoute l'abbé Rupert, comme elle est la Mère du Roi du paradis, il est juste qu'elle soit Reine du paradis, et que tout l'empire de son Fils lui soit soumis.
Par ses prières, par son puissant secours, cette divine Mère nous a ouvert l'entrée du céleste royaume ; seulement ne mettons pas d'obstacle à notre bonheur. Celui donc qui sert Marie, et pour qui Marie intercède, est aussi sûr d'aller en paradis, ajoute l'abbé Guéric que s'il y était déjà. Selon la remarque de Richard, "être au service de Marie et faire partie de sa cour, c'est le plus grand honneur auquel nous puissions aspirer ; car, servir la Reine du ciel c'est déjà régner dans le ciel ; et être assujetti à ses lois, c'est la plus haute liberté. Par contre, point de salut pour ceux qui refusent de la servir ; car, privés des secours de cette auguste Mère, ils sont par là même abandonnés de son Fils et de toute la cour céleste."
Louée soit à jamais la bonté infinie de notre Dieu, qui a daigné nous donner Marie pour avocate dans le ciel, afin qu'en sa double qualité de Mère du Juge et de Mère de miséricorde, elle plaide par ses prières toujours efficaces, la grande affaire de notre salut. Cette pensée est de saint Bernard. Et le moine Jacques, compté parmi les Pères grecs, dit que Dieu a fait de Marie comme un pont de salut, à l'aide duquel nous pouvons franchir la mer agitée de ce monde et arriver à l'heureux port du paradis. Écoutez donc, ô peuples qui désirez arriver au ciel, s'écrie saint Bonaventure ; servez, honorez Marie, et vous obtiendrez sûrement la vie éternelle.
Ceux mêmes qui ont mérité l'enfer, ne doivent pas perdre l'espoir de parvenir à la vie bienheureuse, à condition d'être dorénavant les serviteurs fidèles de cette grande Reine. -- "O Marie, lui dit saint Germain, les pécheurs ont cherché Dieu par votre entremis, et ils sont sauvés." Richard de Saint-Laurent observe que, d'après saint Jean, la glorieuse Vierge est couronnée d'étoiles : Sur son front brillait un diadème de douze étoiles ; tandis que, d'après les Cantiques, sa couronne est composée de bêtes féroces, de lions, de léopards. N'y a-t-il pas là une contradiction ? Non, répond Richard ; par la faveur et l'intercession de Marie, les bêtes féroces ou les pécheurs se transforment en étoiles du paradis, et forment sur la tête de cette Reine de miséricorde, une couronne plus glorieuse pour elle que ne sauraient tous les astres du firmament.
Voici ce que nous lisons dans la vie de la servante de Dieu, soeur Séraphine de Capri. Étant un jour en prière pendant la neuvaine de l'Assomption de la très sainte Vierge, elle lui demanda la conversion de mille pécheurs, et elle craignit ensuite d'avoir demandé trop ; mais la Mère du Sauveur lui apparut et la reprit de cette vaine appréhension, en lui disant : "Pourquoi crains-tu ? ne suis-je pas assez puissante pour obtenir de mon Fils le salut de mille pécheurs ? Cela est déjà fait, les voilà." Alors elle la conduisit en esprit dans le paradis, où elle lui montra des âmes sans nombre, qui avaient mérité l'enfer, et qui, sauvés par son intercession, jouissaient de la béatitude éternelle.
Il est vrai qu'en cette vie nul ne peut être assuré de son salut : Nul ne sait s'il est digne d'amour ou de haine ; mais toutes choses demeurent incertaines jusqu'au siècle à venir. Toutefois, à la question du psalmiste : Seigneur, qui sera reçu dans votre tabernacle ? qui sera sauvé ? Saint Bonaventure répond : "Nous tous, pécheurs, baisons les traces des pieds de Marie, prosternons-nous à ses pieds sacrés, tenons-les embrassés, et ne la laissons point aller qu'elle ne nous ait bénis ; car sa bénédiction sera pour nous un gage certain du bonheur céleste."
O grande Reine, s'écrie saint Anselme, dites seulement que vous voulez notre salut, et nous ne pourrons manquer d'être sauvés. Saint Antonin ajoute que les âmes protégées par Marie se sauvent nécessairement.
Selon la remarque de saint Idelphonse, la sainte Vierge a eu raison de prédire que tous les générations la proclameraient Bienheureuse : Beatam me dicent omnes generationes, puisque c'est par elle que tous les élus parviennent à l'éternelle béatitude. De là, cette exclamation de saint Méthode : "Vous êtes, ô Mère de Dieu, le commencement, le milieu et la fin de notre félicité." -- Il dit : Le commencement, parce que Marie nous obtient le pardon de nos péchés ; le milieu, parce qu'elle nous obtient la persévérance dans la grâce ; la fin, parce qu'à la mort elle nous obtient le paradis. -- De là encore ces belles paroles de saint Bernard à Marie : "Par vous, le ciel a été rempli, par vous l'enfer a été dépeuplé (c'est-à-dire : l'enfer a perdu une multitude d'âmes qui, sans vous, y seraient tombés) ; par vous, les ruines du paradis ont été relevées ; par vous, en un mot, la vie éternelle a été accordée à une multitude de malheureux qui s'en étaient rendus indignes."
Mais ce qui doit surtout nous faire attendre avec une inébranlable confiance le bonheur céleste, c'est la magnifique promesse faite par Marie elle-même à ceux qui l'honorent, et spécialement à ceux qui, par leurs discours et leurs exemples, s'efforcent de la faire connaître et honorer aussi des autres : Ceux qui travaillent pour moi, ne tomberont pas dans le péché ; ceux qui me font connaître, auront la vie éternelle. Heureux donc, s'écrie saint Bonaventure, heureux ceux qui savent mériter les bonnes grâces de Marie ! Ils sont reconnus d'avance par les habitants de la céleste Jérusalem pour les compagnons de leur gloire ; et quiconque porte la marque de serviteur de Marie, a déjà son nom inscrit au livre de vie.
Que set-il après cela, de nous embarasser de la question tant agitée dans l'école : si la prédestination à la gloire précède ou suit la prévision des mérites, et de nous demander avec inquiétude si nous sommes inscrits, oui ou non, au livre de vie ? -- Pourvu que nous soyons de vrais serviteurs de Marie, et que nous obtenions sa protection, nous serons certainement du nombre des élus ; car, saint Jean Damascène nous l'assure, Dieu n'accorde la dévotion envers sa sainte Mère qu'à ceux qu'il a résolu de sauver. Cela paraît conforme à ce que le Seigneur révéla expressément par l'organe de saint Jean : Quiconque sera victorieux, j'écrirai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la cité de mon Dieu. Celui qui doit vaincre et se sauver, portera donc écrit sur son coeur le nom de la cité de Dieu ; et quelle est cette cité de Dieu, sinon Marie, comme l'explique saint Grégoire à propos de ce passage de David : On a dit de vous des choses glorieuses, ô cité de Dieu !
On peut donc très bien dire, en empruntant les expressions de saint Paul : A ce signe le seigneur reconnaît ceux qui sont à lui. Ce signe est la dévotion à Marie ; celui qui en est marqué, Dieu le reconnaît comme l'un des siens. Aussi Pelbart affirme que la dévotion à la Mère de Dieu est le signe le plus assuré qu'on fera son salut. Et Alain de la Roche dit que l'habitude d'honorer souvent la sainte Vierge par la récitation de la salutation angélique, est une très grande marque de prédestination. Il en dit autant de la fidélité à réciter chaque jour le saint Rosaire. Ce n'est pas tout, et les privilèges et les faveurs réservés aux serviteurs de la divine Mère ne se bornent pas à la vie présente ; dans le ciel encore, ils sont honorés d'une manière particulière, assure le père Nieremberg, et, à certaines marques distinctives et d'un éclat extraordinaire, on reconnaîtra en eux les familiers de la Reine du Ceil et les gens de sa cour : Tous ceux de sa maison, dit le sage, sont munis d'un double vêtement.
Sainte Marie-Madeleine de Pazzi vit un jour sur la mer une nacelle où s'étaient réfugiés tous les serviteurs de Marie, qui faisait elle-même l'office de pilote et les conduisait sûrement au port. Cette vision apprit à la sainte qu'au sein des périls de la vie présente, les protégés de Marie échappent au naufrage du péché et de la damnation, guidés qu'ils sont par elle vers le port du paradis. Hâtons-nous donc d'entrer dans cette heureuse nacelle, en méritant la protection de Marie, et là, tenons-nous assurés de parvenir au royaume céleste, puisque l'Église chante : Sainte Mère de Dieu, tous ceux qui participeront aux joies célestes, habitent en vous et vivent sous votre tutelle.
Césaire raconte qu'un cistercien, grandement dévot à Notre-Dame, désirait une visite de cette Reine bien-aimée, et lui en faisait continuellement la demande. Étant sorti, une nuit, au jardin, comme il regardait le ciel, en adressant d'ardents soupirs à celle qu'il brûlait de voir, il en vit tout à coups descendre une vierge éclatante de beauté et de lumière, qui lui dit : "Thomas, voutrais-tu m'entendre chanter" ? -- "Certainement," répondit-il. Aussit/t elle se mit à chanter, mais d'une voix si douce que le pieux moine se croyait en paradis. Après cela, elle disparut à ses yeux, non sans le laisser bien en peine de savoir qui elle était.
Mais voilà qu'o; se trouve en présence d'une autre jeune vierge non moins belle, qui lui fit aussi entendre son chant. Il ne put s'empêcher de lui demander qui elle était. Elle répondit : "Celle que tu viens de voir, c'est Catherine ; moi je suis Agnès. Nous sommes toutes les deux martyres de Jésus-christ, et notre Reine nous a envoyées te consoler. Rends grâce à Marie, et prépare-toi à une plus grande faveur." Cela dit, elle disparut comme la première ; mais le religieux conçut dès lors l'espérance de voir enfin ses voeux exaucés. Il ne fut pas trompé dans son attente ; car, peu après, il aperçut une grande lumière et sentit son coeur se remplir d'une joie toute nouvelle ; et voilà qu'au milieu de cette lumière lui apparaît la Mère de Dieu environnée d'anges, et surpassant immensément en beauté les deux martyres. Elle lui dit: "Mon cher serviteur et mon fils, j'ai agréé tes hommages et exaucé tes prières : tu as désiré me voir ; me voici, et, de plus, je veux aussi te faire entendre mon chant." Et la glorieuse Vierge chante, et, ravi hors de lui-même par la mélodie de ses accents, le dévot religieux tomba la face en terre.
Les Matines sonnèrent, et les moines se réunirent ; ne voyant point le frère Thomas, ils le cherchèrent d'abord dans sa cellule, puis dans d'autres endroits ; finalement, étant allés voir au jardin, ils le trouvèrent là comem mort. Le supérieur lui ordonna de dire ce qui était arrivé l alors, revenant à lui par la force de la sainte obéissance, il raconta toutes les faveurs qu'il avait reçues de la divine Mère.
O Reine du paradis, Mère du saint amour ! puisque vous êtes entre toutes les créatures la plus aimable, la plus aimée de Dieu, et sa première amante, ah ! daignez consentir à être aimé du pécheur le plus ingrat et le plus misérable qui soit sur la terre, mais qui, se voyant délivré de l'enfer par votre intercession et comblé de vos bienfaits sans aucun mérite de sa part, s'est épris d'amour pour vous. Je voudrais, s'il m'était possible, faire comprendre à tous les hommes qui ne vous connaissent pas, combien vous êtes digne d'être aimée, afin de les amener tous à vous aimer et à vous honorer. Je voudrais même mourir pour l'amour de vous, en défendant votre virginité, votre dignité de Mère de dieu, votre immaculée conception, si, pour défendre ces glorieuses prérogatives de votre personne sacrée, il me fallait mourir.
O Mère chérie, agréez cette expression de mes sentiments, et ne permettez pas qu'un de vos serviteurs qui vous aime, devienne jamais l'ennemi de votre Dieu, que vous aimez tant ! Ah ! malheureux, voilà ce que j'étais autrefois, quand j'offensais mon divin Maître. Mais alors, ô Marie, je ne vous aimais pas, et je ne me souciais guère d'être aimé de vous ; à cette heure, au contraire, je ne désire rien tant, après la grâce de Dieu, que de vous aimer et d'être aimé de vous. Mes fautes passées ne m'empêchent pas d'espérer cette faveur ; car, je le sais, ô ma douce et gracieuse Souveraine, vous ne dédaignez pas d'aimer même les plus misérables pécheurs dont vous vous voyez aimée ; au contraire, jamais vous ne vous laissez vaincre en amour par personne. Ah ! Reine tout aimable, je veux aller vous aimer en paradis : là, prosterné à vos pieds, je connaîtrai mieux combien vous êtes aimable, et combien vous avez contribué à mon salut ; et ainsi, je vous aimerai d'un plus grand amour, et je vous aimerai éternellement, sans crainte de jamais cesser de vous aimer. O Marie, j'espère avec une entière confiance d'être sauvé par votre secours. Priez Jésus pour moi ; cela suffit ; c'est à vous de me sauver ; vous êtes mon espérance. J'irai donc toujours chantant :
O mon unique espoir, sainte Vierge Marie,
A vous de me conduire à l'éternelle vie.
Pour exprimer la merveilleuse bonté de Marie envers nous, pauvres enfants d'Ève, saint Bernard l'appelle la véritable "terre promise où coulent le lait et le miel." Selon saint Léon, on devrait la nommer, non pas simplement Reine miséricordieuse, mais la miséricorde en personne, tellement ses entrailles maternelles surabondent de tendresse. Telle était également la pensée de saint Bonaventure. Voyant d'un côté Marie devenue Mère de Dieu en faveur des malheureux et investie de l'office de leur départir les grâces ; songeant d'un autre côté à sa vive sollicitude pour eux tous, et à l'extrême compassion qu'elel leur porte, et qui semble ne lui plus laisser qu'un désir, celui de subvenir à leurs besoins ; le saint disait qu'en présence de la bienheureuse Vierge, il oubliait presque la justice divine, pour ne plus voir que la divine miséricorde dont elle est toute remplie. Voici ce passage plein d'onction : "Oui, auguste Souveraine, quand je vous regarde, je ne vous plus que miséricorde ; car c'est pour les misérables que Dieu vous a faite sa Mère et vous a confié la charge de faire miséricorde ; il n'est pas une misère qui vous trouve indifférente ; vous êtes tout enveloppée de miséricorde ; vous semblez n'avoir à coeur que de faire miséricorde."
Telle est en un mot, la bonté du coeur compatissant de Marie, que, selon le mot de l'abbé Guéric, il ne peut cesser un instant de produire pour nous des fruits de bonté. Eh ! s'écrie saint Bernard, que pourrait-il jaillir d'une source de bonté, sinon de la bonté ?
Voilà pourquoi Marie elle-même se dit : Pareille à un bel olivier qui croît dans les champs. De l'olivier il ne sort que de l'huile, symbole de miséricorde ; et des mains de Marie il ne tombe que grâces et miséricordes. On pourrait donc, avec le vénérable Louis du Pont, appeler le coeur de Marie la source de l'huile, puisqu'il est la source de miséricorde. Ainsi, lorsque nous recourons à cette tendre Mère pour lui demander l'huile de sa bonté, nous n'avons pas à craindre qu'elle ne nous réponde par un refus, comme firent les vierges prudentes aux vierges folles, en alléguant l'insuffisance de leur provision. Non, l'huile de miséricorde ne saurait lui manquer ; car elle en est toute remplie, selon la remarque de saint Bonaventure. Aussi la sainte Église la proclame-t-elle, non pas seulement Vierge prudent, mais Vierge très prudente ; c'est nous donner à entendre, dit Hughes de Saint-Victor, qu'elle est assez riche de grâce et de bonté pour nous en pourvoir tous abondamment, sans courir le risque de la voir jamais s'épuiser: "O pleine de grâce, vous en êtes tellement pleine, que le monde entier peut aller puiser en vous et s'enrichir de votre surabondance ; les vierges prudentes prirent de l'huile dans leurs vases pour entretenir leurs lampes ; mais vous, qui êtes la Vierge très prudente, vous avez pris avec vous un vase inépuisable, et d'où l'huile de la miséricorde déborde et suffit à tenir enflammées les lampes de tous les mortels."
Mais pourquoi, dans le texte que nous expliquons, est-il dit de ce bel olivier qu'il se trouve au milieu des champs ? Pourquoi pas plutôt dans un jardin entouré de murs ou de haies ? C'est, répond Hughes de Saint-Victor, afin que tous puissent aisément le voir et s'en approcher, pour en obtenir le remède dont ils ont besoin. -- Saint Antonin confirme cette belle pensée. "Quand un olivier est exposé dans un champ ouvert à tout le monde, observe-t-il, chacun peut aller en cuillir les fruits ; ainsi en est-il de Marie : tous les hommes, justes et pécheurs, peuvent recourir à elle pour avoir part à ses bontés. Oh" ! continue le saint, "combien de sentences, de châtiments, la bienheureuse Vierge a su faire révoquer par ses charitables prières, en faveur des pécheurs qui ont recours à elle" ? -- "Et quel refuge plus assuré pour nous que le sein compatissant de Marie ? Là, le pauvre a un asile, le malade y puise des remèdes et l'affligé des consolations ; dans la perplexité on y trouve des conseils, et dans le délaissement un appui." Ainsi parle le dévot Thomas a Kempis.
Que nous serions à plaindre, si nous n'avions pas cette Mère de miséricorde, si attentive et si empressée à nous secourir dans nos misères ! Où la femme manque, dit l'Esprit-Saint, l'indigent souffre et gémit. Par cette femme, saint Jean Damascène entend Marie, sans laquelle nous sommes tous infirmes et souffrants. C'est bien dit, car, Dieu ayant décrété qu'aucune grâce ne s'accordera qu'à la prière de Marie, là où cette prière n'intervient pas, il n'est nul espoir de miséricorde ; ainsi le Seigneur lui-même l'a-t-il déclaré à sainte Brigitte.
Mais qui sait ? peut-être Marie ne voit pas nos misères, ou les voit sans compassion. Gardons-nou de cette pensée : bien mieux que nous-mêmes elle les voit et elle est loin d'y être insensible. "Entre tous les saints, il n'en est aucun qui compatisse comme elle à nos maux," dit saint Antonin. Aussi, "partout où elle aperçoit des souffrances, elle y court avec les remèdes de sa grande miséricorde." Cette pensée de Richard de Saint-Laurent est confirmée en ces termes par Mendoza : "Oui, ô Vierge bénie et notre Mère, vous répandez à pleines mains vos bienfaits là où vous rencontrez nos besoins." -- Et ce charitable office, notre bonne Mère ne cessera jamais de le remplir ; c'est elle qui nous l'assure ; Je ne cesserai jusqu'au siècle futur, de remplir mon ministère en présence du Seigneur dans la sainte demeure. Paroles que le cardinal Hughes commente ainsi : "Je ne cesserai pas, jusqu'à la fin du monde, de secourir les hommes dans leurs besoins, et de prier pour les pécheurs, afin qu'ils se sauvent et qu'ils soient préservés du malheur éternel."
Au rapport de Suétone, l'empreur Titus était si désireux d'accorder ses faveurs à qui les lui demandait que, si parfois il n'avait pas eu l'occasion d'accorder quelque grâce, il disait tout contristé : Diem perditi, ce jour est un jour perdu pour moi, puisque je l'ai passé sans faire de bien à personne. -- Vraisemblablement, Titus parlait ainsi plus par vanité, ou par recherche ambitieuse de l'estime du monde que par un sentiment d'humanité. Il n'en est pas ainsi de notre Reine Marie ; si jamais un de ses jours se passait sans être signalé par aucun bienfait, elle dirait aussi : J'ai perdu ma journée ; mais elle le dirait uniquement parce qu'elle est pleine de charité et animée du désir de nous faire du bien. Ce désir va si loin que, selon Bernardin de Bustis, il surpasse notre aividité à recevoir ses bienfaits. Aussi, ajoute le même, jamais nous ne recourrons à elle sans lui trouver les mains pleines de miséricorde et de libéralité.
Marie a été figurée par Rébecca, dont on sait l'histoire. Comme le serviteur d'Abraham lui demandait un peu d'eau à boire : Buvez, Seigneur, lui répondit-elle ; de plus je vais puiser de l'eau en assez grande quantité pour abreuver tous vos chameaux. Ce trait inspire au dévot saint Bernard les paroles suivantes qu'il adresse à la Vierge : Auguste Reine, le vaisseau de vos miséricordes déborde de toutes parts ; versez donc, non seulement au serviteur d'Abraham, mais aussi à ses chameaux. C'est-à-dire : Vous êtes pleine de bonté et plus libérale que Rébecca ; aussi, non contente de faire sentir les effets de votre immense miséricorde au serviteur d'Abraham, qui représente les fidèles serviteurs de Dieu, vous en faites encore part aux bêtes de somme, qui sont la figure des pécheurs. D'un autre côté, Rébecca donna plus qu'on lui demandait, et Marie donne toujours plus qu'on ne lui demande. La libéralité de Marie, dit Richard de Saint-Laurent, ressemble à celle de son Fils, dont les largesses vont toujours au-delà de nos requêtes, et qui, pour cette raison, est appelé par saint Paul un Dieu riche de grâces, et prodigue de ses dons à l'égard de tous ceux qui le prient. De là cette prière d'un pieux auteur à Marie : "Vierge sainte, daignez prier vous-même pour moi ; car vous solliciterez les grâces pour moi avec bien plus de dévotion que je ne saurais le faire, et vous m'obtiendrez beaucoup plus que je ne saurais demander."
Les Samaritains ayant refusé de recevoir Jésus-Christ et sa doctrine, saint Jacques et saint Jean dirent au divin Maître : "Seigneur, voulez-vous que nous commandions au feu du ciel de descendre sur eux et de les dévorer" ? Mais le Sauveur répondit : Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. C'est-à-dire : Mon esprit n'est que miséricorde et douceur ; car je suis venu du ciel pour sauver les pécheurs, et non pour les punir ; et vous demander leur perte Quoi ! du feu, des châtiments ! taisez-vous, ne me parlez plus de châtiments ; ce n'est pas là mon esprit. -- Or, l'esprit de Marie étant entièrement conforme à celui de son Fils, nous ne pouvons douter de son inclination à user de miséricorde ; elle-même disait un jour à sainte Brigitte : "On m'appelle la Mère de miséricorde ; c'est avec raisons, ma fille, car la miséricorde de mon Fils m'a rendue compatissante et douce envers tout le monde." C'est dans ce sens que saint Bernard interprète la vision où Marie fut montrée à saint Jean revêtue du soleil : "Céleste Reine, dit le saint Docteur, vous revêtez le soleil, et le soleil vous revêt" ; vous avez revêtu le Verbe divin de la chair humaine, et à son tour il vous a revêtue de sa puissance et de sa miséricorde.
Cette Reine est donc si clémente et si bonne que, quand un pécheur vient réclamer son assistance, elle ne commence point par examiner ses mérites, assure le même saint, ni s'il est digne ou non d'être exaucé ; mais elle exauce quiconque se présente. Voilà pourquoi, remarque saint Hildebert, elle est dite belle comme la lune. Elle éclaire et aide les plus indignes pécheurs, comme cet astre répand ici-bas sa douce et bienfaisante lumière sur les êtres les plus vils. D'autre part, bien que la lune emprunte au soleil toute sa lumière, elle la distribue en bien moins de temps que lui ne distribue la sienne : ce qu'il fait en un an, remarque un auteur, elle le fait en un mois. Et, selon saint Anselme, nous obtenons parfois plus promptement le secours du ciel en invoquant le nom de Marie qu'en invoquant le nom de Jésus. Hugues de Saint-Victor ajoute que, si nos péchés nous font nous craindre de s'approcher de Dieu, Majesté infinie et offensée par nous, du moins nous ne devons pas hésiter d'aller à Marie, en qui nous ne trouvons rien de redoutable. Sans doute, elle est sainte, elle est immaculée, elle est Reine de l'univers, elle est Mère de Dieu ; mais enfin elle est revêtue de la même chair que nous ; comme nous elle est enfant de Marie.
En un mot, dit saint Bernard, en Marie tout est grâce et bonté ; comme Mère de miséricorde, elle se fait tout à tous ; et, dans sa grande charité, elle s'est rendue débitrice à l'égard des justes et des pécheurs ; elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, afin que tous viennent y puiser. De même donc que le démon rôde sans cesse, cherchant quelqu'un à qui il puisse donner la mort, ou, selon le mot de saint Pierre, qu'il puisse dévorer, ainsi, remarque Bernardin de Bustis, Marie est sans cesse à la recherche d'âmes à qui elle puisse, au contraire, donner la vie et le salut.
Nous devons d'ailleurs être persuadés avec saint Germain que la protection de Marie est plus étendue et plus puissante que nous ne pouvons l'imaginer. "Et d'où vient, demande le Père Pelbart, que le Seigneur, qui, dans l'ancienne loi, punissait avec tant de rigueur les moindres fautes, use à présent de tant de miséricorde envers les plus grands coupables ? Dieu le fait, répond-il, pour l'amour de Marie et en considération de ses mérites." "Ah" ! s'écrie saint Fulgence, "depuis combien de temps le monde ne serait-il pas abîmé, si Marie ne l'avait soutenu par son intercession." "Mais nous pouvons," dit Arnauld de Chartres, "nous présenter à Dieu avec assurance et en espérer tous les biens, maintenant que le Fils est notre Médiateur auprès du Père, et que la Mère intercède pour nous auprès du Fils." En effet, comment le Père n'exaucerait-il pas son Fils, lui montrant les plaies qu'il a souffertes pour les pécheurs ? Et comment le Fils n'exaucerait-il pas sa Mère, lui montrant le sein qui l'a nourri ? Et saint Pierre Chrysologue assure, avec une énergie remarquable, que cette Vierge unique, ayant logé le Seigneur dans son chaste sein, en exige, pour prix de l'hospitalité qu'elle lui a donnée, la paix du monde, le salut de ceux qui étaient perdus, et la vie de ceux qui étaient morts.
Oh ! s'écrie l'abbé de Celles, combien de pécheurs qui mériteraient d'être condamnés par la justice de Dieu, sons sauvés par la miséricorde de Marie ! Car elle est le trésor de Dieu et la trésorière de toutes les grâces ; de sorte que notre salut est entre ses mains. Recourons donc toujours à cette auguste Mère de miséricorde, avec le ferme espoir d'être sauvés par son intercession ; car elle est, comme l'appelle Bernardin de Bustis, notre salut, notre vie, notre espérance, notre conseil, notre refuge, notre secours. Selon saint Antonin, Marie est ce trône de la grâce devant lequel l'Apôtre nous exhorte à nous présenter avec confiance, afin d'obtenir la divine miséricorde et tous les secours nécessaires à notre salut. Et sainte Catherine de Sienne avait coutume de l'appeler "la dispensatrice de la divine miséricorde."
Concluons par la belle et touchante exclamation de saint Bernard sur ces paroles : "O clémente, ô bonne, ô douce Vierge Marie" ! Voici comment il s'exprime : "O Marie ! vous êtes clémente envers les misérables, bonne envers ceux qui vous prient, douce envers ceux qui vous aiment. Vous êtes clémente envers les pénitents, bonne envers ceux qui font des progrès, douce envers ceux qui sont arrivés à la perfection. Vous montrez votre clémence en nous préservant des châtiments, votre bonté en nous dispensant les grâces, votre douceur en vous donnant à ceux qui vous cherchent."
Le père Charle Bovio rapporte qu'à Dormans, en Champagne, un homme marié entreprenait un commerce criminel avec une femme. Son épouse, indignée de cette conduite, ne faisait qu'appeler les châtiments de Dieu sur les deux coupables. Un jour entre autres, elle alla dans une église, devant l'autel de la sainte Vierge, pour demander justice conte celle qui lui avait ravi l'affection de son mari. Or, la femme pécheresse avait coutume de venir prier aussi devant cet autel, et y récitait chaque jour un Ave Maria. Une nuit, la divine Mère apparut en songe à l'épouse affligée ; celle-ci ne l'eut pas sitôt vue, qu'elle se mit à répéter son invocation ordinaire : "Justice, ô Mère de Dieu ! justice" ! Mais Marie lui répondit : "Quoi ! justice ! c'est à moi que tu demandes justice ? adresse-toi pour cela à quelque autre ; moi, je ne puis faire justice." Ensuite, elle ajouta : "Sache que cette pécheresse me récite chaque jour certaine prière, et je ne puis souffrir qu'aucune personne qui récite cette prière soit châtiée pour ses péchés."
Lorsqu'il fit jour, cette pauvre femme se rendit entendre la messe dans l'église susdite ; et, comme elle en sortait, elle rencontra celle qui lui causait tant de peine. Dès qu'elle l'aperçut, elle se mit à l'injurier, la traitant de sorcière, qui, par ses enchantements, était venue à bout d'ensorceler la sainte Vierge elle-même. "Taisez-vous, lui cria-t-on alors ; que dîtes-vous là ? -- Et pourquoi me tairais-je ? répondit-elle ; ce que je dis, n'est que trop vrai ; cette nuit, la sainte Vierge m'est apparue ; et, comme je lui demandais justice, elle m'a répondu qu'elle ne pouvait me satisfaire, à cause d'une prière que cette scélérate lui récite tous les jours."Là-dessus, on demanda de celle-ci quelle était la prière qu'elle récitait à la Mère de Dieu ; elle répondit que c'était l'Ave Maria. Mais, apprenant que la bienheureuse Vierge, pour cette simple dévotion, usait envers elle d'une si grande miséricorde, elle alla immédiatement se jeter aux pieds de son image ; et là,e n présence de tout le monde, elle demanda pardon du scandale qu'elle avait causé, et fit voeu de continence perpétuelle. De plus, s'étant revêtue d'un habit religieux, et s'étant construit une petite cellule dans le voisinage de cette église, elle s'y renferma, et persévéra dans les exercices de la pénitence jusqu'à sa mort.
O Mère de miséricorde, puisque vous êtes si compatissante, et que vous avez un sigrand désir de nous faire du bien, à nous, misérables pécheurs, et de nous accorder ce que nous vous demandons, moi, le plus misérable de tous les hommes, je viens implorer votre bonté ; daignez m'exaucer. Que d'autres vous demandent tout ce qu'ils voudront, santé, biens et avantages temporels ; pour moi, ô Marie, je vous demande ce que vous-même désirez trouver en moi, ce qui est le plus conforme et le plus agréable à votre très saint coeur. Vous êtes si humble ; obtenez-moi donc l'humilité et l'amour des mépris. Vous avez été si patiente dans les peines de cette vie ; obtenez-moi la patience dans les contrariétés. Vous êtes si remplie d'amour pour Dieu ; obtenez-moi le don du saint et pur amour. Vous êtes toute pleine de charité pour le prochain ; obtenez-moi la charité envers tous, et surtout envers ceux qui me sont opposés. Vous fûtes toujours unie à la volonté de Dieu ; obtenez-moi une entière conformité à toutes les dispositions de la providence qui me concernent.
En un mot, vous êtes la plus sainte de toutes les créature ; ô Marie, rendez-moi saint. L'amour ne vous manque point, vous pouvez et vous voulez me procurer tous les biens ; la seule chose donc qui puisse m'empêcher de recevoir vos grâces, c'est, ou ma négligence à vous invoquer, ou mon peu de confiance en votre intercession ; mais, ce deux dispositions essentielles, la fidélité à vous invoquer et la confiance en vous, c'est vous-même quid evez me les obtenir, et c'est à vous que je les demande, c'est de vous que je les veux, d'est de vous que je les espère, et je les attends de vous avec assurance, ô Marie, ma Mère, mon espérance, mon amour, ma vie, mon refuge, mon secours et ma consolation ! Amen.
L'auguste nom de la Mère de Dieu, le nom de Marie, n'est pas d'origine terrestre ; il ne fut pas, comme les autres noms, inventé par l'esprit des hommes ; il ne lui fut pas donné par livre choix : descendu du ciel, il lui fut imposé par un décret divin ; ainsi l'attestent saint Jérôme, saint Épiphane, saint Antonin et d'autres auteurs.
"Le nom de Marie, dit saint Pierre Damien, fut tiré du trésor de la Divinité." "Oui, ô Marie," ajoute Richard de Saint-Laurent, "votre nom sublime et admirable est sorti du trésor de la Divinité ; les trois personnes de la Trinité sainte vous l'ont donné d'un commun accord, ce nom qui éclipse tous les noms après celui de votre Fils ; elles l'ont rempli de tant de majesté et de puissance que, quand il est prononcé, il faut que tout se prosterne pour le vénérer, au ciel, sur la terre et dans les enfers." Mais, sans parler des autres prérogatives que le Seigneur a voulu attacher au nom de Marie, considérons ici combien il l'a rendu doux aux serviteurs de cette céleste Reine, soit pendant la vie, soit à l'heure de la mort.
Premièrement, le nom de Marie est doux à ses serviteurs pendant leur vie. Le saint anachorète Honorius le trouvait plein de tout ce qu'il y a de douceur et de suavité en Dieu ; et, pour le glorieux saint Antoine de Padoue, ce nom avait les mêmes charmes que saint Bernard trouvait dans celui de Jésus. "Le nom de Jésus," avait dit Bernard ; "le nom de Marie," reprenait Antoine, "est une joie au coeur de ses pieux serviteurs, un miel sur les lèvres, une mélodie pour leurs oreilles." Le vénérable Juvénal Ancina, évêque de Saluces, goûtait, en prononçant le nom de Marie, une douceur sensible telle, dit son historien, qu'il s'en léchait les lèvres. On lit la même chose d'une femme de Cologne : "Je ne prononce jamais le nom de Marie, assurait-elle à l'évêque Massilius sans que mon palais soit flatté d'une saveur supérieure à celle du miel." Massilius adopta sa pratique la même douceur.
Lors de l'Assomption de la Vierge, les anges demandèrent à trois reprises quel était son nom ; on peut le conclure de ces trois passages des Cantiques : "Quelle est celle-ci qui mont du désert comme un nuage d'encens ? -- Quelle est celle-ci qui s'avance comme une aurore naissante ? -- Quelle est celle-ci qui s'élève du désert, nageant dans les délices" ? "Pourquoi," se demande Richard, "pourquoi les anges répètent-ils tant de fois leur question : Quelle est celle-ci ?. . . C'est sans doute," répond-il, "afin d'entendre répéter le nom de Marie, tant ce nom résonne délicieusement à l'oreille des anges eux-mêmes."
Mais ce n'est pas de cette douceur sensible que j'entends parler ici : il n'est pas donné à tous de la sentir ; je veux parler d'une douceur spirituelle, d'un sentiment salutaire de consolation, d'amour, de joie, de confiance et de force, que le nom de Marie inspire communément à ceux qui le prononcent avec dévotion.
L'abbé Francon dit à ce sujet : "Après le saint nom de Jésus, le nom de Marie est si fécond en biens de tout genre, que, ni sur la terre, ni dans le ciel, on n'entend prononcer aucun nom qui remplisse les âmes dévotes d'autant de grâces, de consolation et d'espérance. En effet," continue le même auteur, "le nom de Marie renferme je ne sais quoi d'admirable, de doux et de divin, qui fait qu'il ne peut retentir dans un coeur aimant sans l'embaumer d'une odeur de sainte suavité. Et voici, dit-il en finissant, la merveille de cet auguste nom : mille fois répété, il paraît toujours nouveau à ceux qui aiment Marie, aussi bien que le plaisir avec lequel ils l'entendent."
Le bienheureux Henri Suso avait bien fait, lui aussi, l'expérience de cette douceur du nom de Marie. En le prononçant, il se sentait, disait-il lui-même, pénétré de confiance et enflammé d'amour ; aussi, versant des larmes de joie et transporté hors de lui-même, il eut voulu que le coeur lui bondît de la poitrine jusque sur les lèvres ; car, assurait-il, ce nom si doux, si cher, se liquéfiait au fond de son âme comme un rayon de miel. Après quoi, il s'écriait : "O nom plein de suavité ! O Marie ! que devez-vous donc être vous-même, si votre nom seul est déjà si aimable et si gracieux" ?
De son côté, saint Bernard, s'adressant à sa bonne Mère, lui disait, en ces termes pleins de tendresse, la flamme dont il brûlait pour elle : "O grande, ô clémente, ô admirable Marie ! ô Vierge très sainte et digne de toute louange, combien doux et aimable est votre nom ! On ne peut le prononcer sans se sentir embrasé d'amour et pour vous et pour Dieu ; il suffit même que ce nom se présente à la pensée de ceux qui vous aiment, pour accroître beaucoup leur amour et les consoler." -- Ah ! si les richesses consolent les pauvres, en les tirant de leur misère, ajoute Richard de Saint-Laurent, combien plus, ô Marie, votre nom nous console dans nos peines, car, bien mieux que les richesses de la terre, il adoucit les angoisses de la vie présente !
En un mot, ô Mère de Dieu, votre nom est tellement rempli, comme le dit saint Méthode, de grâces et de bénédictions divines, que, comme l'affirme saint Bonaventure, on ne saurait le prononcer dévotement sans en tirer quelque bien. Quelque endurci que puisse être un pécheur, eût-il même perdu toute confiance en Dieu, qu'il vous nomme seulement, ô Vierge pleine de bonté ; et, ajoute le pieux Idiot, telle est la vertu de votre nom qu'il sentira sa dureté s'ammolir d'une manière merveilleuse ; car c'est vous qui faites revivres les pécheurs à l'espérance du pardon et de la grâce.
Votre doux nom, dit à son tour saint Ambroise, est un baume qui répand l'odeur de la grâce ; ah ! que ce bauime de salut descende au fond de nos âmes ! Voici donc ce que le saint vous demandait par ces paroles, ô Marie, et ce que nous vous demandons après lui : faites que nous pensions souvent à invoquer votre nom avec amour et confiance ; car c'est là, sinon un signe de la présence de la grâce divine en nous, du moins un gage de son prochain retour. Il en est bien ainsi, car, ô Marie, selon la pensée de Ludolphe de Saxe, "le souvenir de votre nom console les affligés, remet dans la voie du salut ceux qui en sont sortis, et fortifie les pécheurs contre la tentation du désespoir."
"De même donc que, par ses cinq plaies, Jésus-Cbhrist a préparé le remède à tous les maux du monde ; ainsi, par la vertu de son très saint nom composé de cinq lettres, Marie ménage chaque jour aux pécheurs," observe Pelbart, "la rémission de leur faute." Voilà pourquoi il est dit dans les cantiques sacrés : Votre nom est comme une huile répandue ; paroles qu'Alain de l'Isle commente ainsi : "L'huile guérit les malades, répand une odeur agréable, et nourrit la flamme ; et le nom de Marie guérit les pécheurs, réjouit les âmes, et les embrase du divin amour." Aussi, Richard de Saint-Laurent exhorte tous les pécheurs à invoquer ce nom assez puissant à lui seul pour les délivrer de tous les maux ; car il n'est point de maladie si funeste, assure-t-il, qui ne cède aussitôt à sa vertu salutaire.
D'autre part, au témoignage de Thomas a Kempis "les démons redoutent à tel poinjt la Reine du ciel, que, si quelqu'un vient à prononcer son nom, ils fuient incontinent loin de lui, comme on fait pour échapper aux atteintes de la flamme." Et, d'après une révélation de la bienheureuse Vierge elle-même à sainte Brigitte, il n'est pas en cette vie de pécheur, si froid, si étranger soit-il à l'amour divin, qui ne puisse forcer l'esprit malin à s'éloigner, à la seule condition d'invoquer le saint nom de Marie avec le bon propos de se convertir. Une autre fois, revenant sur le même sujet, Marie disait à la même sainte : "Tous les démons révèrent mon nom et le redoutent ; et, rien qu'à l'entendre, ils relâchent au plus vite l'âme qu'ils tenaient déjà entre leurs griffes." Par contre, pendant que les anges rebelles s'éloignent des pécheurs qui incoquent le nom de Marie, les bons anges se rapprochent davantage des âmes justes qui le prononcent dévotement ; c'est ce qu'a dit encore Notre-Dame à sainte Brigitte.
Selon saint Germain, comme la respiration est un signe de vie, ainsi la répétition fréquente du nom de Marie est un signe, ou que déjà la grâce vit en nous, ou qu'elle y revivra bientôt ; car ce nom puissant a la vertu d'attirer en ceux qui l'invoquent, le secours de Dieu et la vie.
Enfin, Richard de Saint-Laurent dit que ce nom admirable est comme une forte tour où le pécheur qui s'y réfugie est à l'abri de la mort, où les plus désespérés trouvent une défense sûre et le salut. Mais, continue le même, cette tour céleste ne préserve pas seulement les pécheurs du châtiment qui leur serait dû ; elle protège encore les justes contre les assauts de l'enfer ; et, après le nom de Jésus, aucun nom n'est secourable aux hommes, aucun n'est salutaire à l'égal du grand nom de Marie.
Notamment, c'est chose universellement reconnue, et dont les serviteurs de Marie font tous les jours l'expérience, que son nom puissant donne la force de vaincre les tentations contre la chasteté. Sur ces paroles de saint Luc : "Et le nom de cette vierge est Marie," le même Richard observe que l'évangéliste a joint ensemble le nom de Marie et celui de Vierge, pour nous donner à entendre que le nom de cette Vierge très pure ne va jamais sans la chasteté. De là, cette sentence de saint Jean Chrysostôme : "Ce nom béni est indice de chasteté." C'est-à-dire : celui qui doute s'il n'a pas consenti à un tentation impure, mais qui se souvient en même temps d'avoir invoqué le nom de Marie, qu'il se rassure, il n'a pas blessé la sainte vertu ; cette invocation même en est un signe certain.
Puisqu'il en est ainsi, soyons fidèle à suivre le sage conseil de saint Bernard : "Dans les périls, dans les difficultés, dans les perplexictés, pensez à Marie, dit-il, invoquez Marie ; que son nom ne quitte jamais vos lèvres, qu'il soit consamment dans votre coeur." Oui, toutes les fois que nous sommes en danger de perdre la grâce de Dieu, pensons à Marie, invoquons le nom de Marie, conjointement avec celui de Jésus ; car ces deux noms ne doivent jamais se séparer. Que ces deux noms si doux et si puissants ne s'éloignent jamais de notre coeur ni de nos lèvres ; ils nous donneront la force de ne pas succomber et de vaincre toutes les tentations.
Admirables sont les faveurs promises par Jésus-Christ à ceux qui sont dévots au nom de Marie ; sainte Brigitte les apprit de la bouche du Sauveur lui-même s'entretenant avec sa sainte Mère : "Quiconque , lui disait-il, invoquera votre nom avec confiance et avec le propos de s'amender recevra trois grâces signalées, savoir : un parfait repentir de ses péchés, la grâce d'en faire pénitence avec la force de parvenir à la perfection, et finalement la gloire céleste. Car, ô ma Mère, ajouta le divin Sauvuer, vos paroles me sont si douces et si agréables, que je ne puis vous refuser aucune de vos demandes."
Saint Éphrem va jusqu'à dire que "le nom de Marie est la clef du ciel" pour ceux qui l'invoquent dévotement. Saint Bonaventure a donc raison de proclamer Marie le Salut de tous ceux qui l'invoquent : O salus te invocantium ! comme si c'était une même chose d'invoquer le nom de Marie et d'obtenir le salut éternel. Et, en effet, Richard de Saint-Laurent nous assure que, par l'invocation de ce nom si saint et si doux, nous acquérons une grâce surabondantes en cette vie et un sublime degré de gloire en l'autre.
Concluons par cette exhortation de Thomas a Kempis : "Voulez-vous donc, mes frères, être consolés dans toutes vos peines, recourez à Marie, invoquez Marie, recommandez-vous à Marie ; réjouissez-vous avec Marie, pleurez avec Marie, priez avec Marie, marchez avec Marie, cherchez Jésus avec Marie, désirez enfin vivre et mourir avec Jésus et Marie. Par ce moyen, ajoute-t-il, vous avancerez toujours dans la voie du Seigneur ; car Marie priera volontiers pour vous, et le Fils exaucera certainement sa Mère."
Le saint nom de Marie est donc pour ses serviteurs pendant leur vie la source de bien des douceurs et de grâces bien précieuses ; il nous reste à voir combien plus doux encore il leur devient au dernier moment, en rendant leur mort tranquille et sainte.
Le Père Sertorius Caputo de la Compagnie de Jésus, engageait tous ceux qui doivent assiter un mourant, à lui répéter fréquemment le nom de Marie ; prononcé à l'heure, disait-il, ce nom de vie et d'espérance suffit à lui seul pour mettre en fuite tous les démons et fortifier les mourants dans toutes leurs angoisses. Avec non moins de zèle, saint Camille de Lellis recommandait à ses religieux d'exciter souvent les moribonds à invoquer les noms de Jésus et de Marie. Après avoir lui-même suggéré toujours cette sainte pratique aux autres, il apprit par sa propre expérience combien elle est douce et salutaire à l'heure de la mort. En ce moment suprême, raconte l'auteur de sa vie, il prononçait avec tant de tendresses les noms, si chers à son coeur, de Jésus et de Marie, que les flammes dont il était consumé, se communiquaient aux assistants. Enfin, les yeux amoureusement fixés sur les images de Jésus et de Marie, le front serein et les bras en croix, il expira dans une paix céleste, en invoquant encore ces doux noms, qui furent les dernières paroles de sa vie.
Jésus ! Marie ! . . . est-il prière plus courte que celle-là ? et pourtant, remarque Thomas a Kempis, autant elle est facile à retenir, autant elle est douce à méditer, et elle est une puissante sauvegarde contre tous les ennemis de notre salut.
Heureux, s'écriait saint Bonaventure, heureux celui qui aime votre doux nom, ô Mère de Dieu ! Votre nom est si glorieux, si admirable en est la vertu, que tous ceux qui ont soin de l'invoquer à l'article de la mort, n'ont rien à craindre des attaques de l'ennemi.
Ah ! quel bonheur de mourir comme le Père Fulgence d'Ascoli, capucin, qui rendit le dernier soupir en chantant :
O beauté sans égale ! ô Marie, ô Marie !
Je veux quitter la terre en votre compagnie.
Quel bonheur de mourir comme le bienheureux Henri, moine de Citeaux, qui, d'après les annales de l'Ordre, sortit de ce monde en articulant le nom de Marie.
Prions donc, pieux lecteurs, prions Dieu de nous faire cette grâce que la dernière parole de nos lèvres mourantes soit le nom de Marie. Tels étaient le désir et la prière de saint Germain : "Que ma langue, au moment de se glacer, répète encore une fois le nom de Marie." Oh ! que la mort est douce et paisible, sous les auspices et la protection de ce nom de salut, de ce nom que Dieu accorde d'invoquer au moment de mourir, à ceux-là seuls qu'il veut voir sauvés !
Ma douce Souveraine et Mère, je vous aime beaucoup ; et par amour pour vous, j'aime aussi votre saint nom ; je suis résolu et j'espère, avec votre secours, de l'invoquer pendant toute ma vie, et à ma mort. Je vous adresse donc, en terminant, cette tendre prière de saint Bonaventure : Pour la gloire de votre nom lorsque mon âme sortira de ce monde, venez au-devant d'elle, ô Vierge bénie, et daignez la recevoir entre vos bras. Ayez la bonté de venir la consoler alors par votre douce présence : soyez pour elle l'échelle et la voie du ciel ; obtenez-lui la grâce du pardon et l'éternel repos. O Marie, notre Avocate, c'est à vous de défendre vos serviteurs et de plaider leur cause au tribunal de Jésus-Christ.
Le fait qu'on va lire est rapporté par le Père Rho et par le Père Lyroeus, comme arrivé vers l'an 1465, dans la province de Gueldre.
Une jeune fille nommée Marie fut un jour envoyée par son oncle au marché de Nimègue, pour acheter divers objests, avec ordre de se retirer le soir chez une tante qu'elle avait en cette ville. Elle obéit ; mais, le soir, étant allée trouver sa tante, elle en fut durement repousséee, et elle dut se remettre en chemin pour regagner sa maison. Mais bientôt, se voyant surprise par la nuit, elle entre dans une si grande colère, qu'elle appelle le démon à haute voix. Celui-ci lui apparaît aussitôt sous la forme d'un homme, et lui promet de l'aider, à une condition. "Je suis prête à tout faire," répond la malheureuse. "Tout ce que je veux, lui dit alors le malin esprit, c'est que dorénavant vous ne fassiez plus le signe de la croix, et que vous changiez de nom. -- Quant au signe de la croix, répliqua-t-elle, je ne le ferai plus ; mais, pour mon nom de Marie, il m'est trop cher, je ne veux pas le changer. -- Et moi, je ne vous aide pas, reprend le démon." Enfin, après beaucoup de débats, ils convinrent qu'elle s'appellerait de la première lettre du nom de Marie, Emme ou Emma. Cela conclu, ils se rendirent à Anvers, où la misérable passa six années de sa vie en cette détestable compagnie, et se livra au libertinage jusqu'à devenir le scandale de la ville entière.
Un jour, elle dit au démon qu'elle désirait revoir son pays. L'esprit infernal fit d'abord des difficultés, mais il dut finir par céder. Lorsqu'ils arrivèrent à Nimègue, on y représentait un drame tiré de la vie de la sainte Vierge. Ce spectacle toucha la pauvre Emma, qui avait conservé un reste de dévotion à la Mère de Dieu ; elle se mit à pleurer. "Que faisons-nous ici ? dit alors son compagnon ; allons-nous jouer, nous aussi, la comédie ?" Il la saisit en même temps pour l'entraîner ailleurs ; mais, voyant qu'elle résiste, et que déjà elle lui échappe, de rage, il l'élève en l'air et la jette au milieu du théâtre. Ainsi délivrée, la pauvre fille raconta ce qui lui était arrivé et se présenta ensuite au curé pour se confesser ; mauis le curé la renvoya à l'archevêque de Cologne, et l'archevêque au pape. Ce dernier entendit sa confession, et lui imposa pour pénitence de porter continuellement trois anneaux de fer, dont un au cou et un à chaque bras. Elle obéit, revint à Maestricht, et s'y renferma dans un couvent de repenties, où elle vécut quatorzes ans, dans l'exercice de rudes pénitences. Après ce laps de temps, un matin à son lever, elle trouva les trois anneaux brisés d'eux-mêmes. Deux ans plus tard, elle mourut en odeur de sainteté, et voulut qu'on l'ensevelît avec ces trois mêmes anneaux qui, d'esclave de l'enfer, l'avaient rendue l'heureuse captive de sa Libératrice.
O Marie, auguste Mère de Dieu et ma Mère, il est vrai que je ne suis pas digne de prononcer votre nom ; mais, puisque vous m'aimez et que vous désirez mon salut, vous m'accorderez de pouvoir toujours, quelque impure que soit ma langue, appeler à mon aide ce nom si saint et si puissant, notre soutien pendant la vie, et notre salut à l'heure de la mort. Ah ! Marie, vierge pleine de pureté et de douceur, faites que votre nom soit désormais la respiration de mon âme ; et ne tardez pas à me secourir, chaque fois que je vous invoquerai ; dans toutes les tentations et dans tous les besoins que j'éprouverai dorénavant, je suis résolu de recourir à vous, en répétant toujours : Marie ! Marie !
Voilà, je l'espère, ce que je ferai durant le reste de ma vie, et surtout dans les derniers moments, pour aller ensuite louer éternellement en paradis votre nom bien-aimé, ô clémente, ô bonne, ô douce Vierge Marie ! Ah ! aimable Marie, quelle consolation, quelle douceur, quelle confiance, quelle tendresse ressent mon âme, quand je prononce votre nom, ou seulement quand je pense à vous ! Je remercie le Seigneur mon Dieu de vous avoir donné, pour mon bonheur, ce nom si doux, si aimble et si puissant. Mais, ma Souveraine, je ne me contente pas de prononcer votre nom, je veux encore le prononcer avec amour, je veux que mon affection m'avertisse de répéter à toute heure, en sorte que je puisse m'écrier avec saint Anselme de Lucquers : O Nom de la Mère de Dieu, tu es mon amour !
Ma chère Marie, mon bien-aimé Jésus, que vos doux noms vivent à jamais dans mon coeur et dans tous les coeurs ! Que mon âme perde le souvenir de tous les autres noms, pour se rappeler uniquement et invoquer sans cesse vos noms vénérés ! Ah ! Jésus, mon Rédempteur, et Marie, ma Mère, quand je serai arrivé à l'article de la mort, à ce moment décisif où mon âme devra sortir de cette vie, je vous en conjure par vos mérites, accordez-moi cette grâce qu'avant de devenir à jamais muette, ma bouche répète une dernière fois ces mots : Je vous aime, Jésus et Marie ! -- Jésus et Marie ! je vous donne mon coeur et mon âme.
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